Doula ou pas doula ? |
|
(Ressource de l’atelier 3)
Point de vue d’une sage-femme Chantal Birman Un rappel historique rapide me paraît être le premier point permettant de comprendre le contexte sociologique dans lequel les doulas(*) sont apparues en France. a) Le déficit de la Sécurité Sociale va en être l’événement historique majeur. Nos représentants ministériels pour y remédier vont prendre un certain nombre de mesures qui vont entraîner l’apparition des doulas françaises.
En 2001, les sages-femmes, devant ce qu’elles jugeaient comme une grave dégradation des conditions de la naissance, mais également de leur travail, ont fait une grève suivie par l’ensemble de la profession.
Ce métier étant par essence même un métier de l’urgence, une grève se prolongeant dans le temps était intenable. Il suffisait au gouvernement de « faire durer » pour gagner ! C’est ce qu’ils feront, les sages-femmes n’obtenant dans ce premier grand mouvement de la profession qu’une année d’études supplémentaire (par la sélection du concours de première année de médecine : le P1) et l’expérience d’une première grève ! Pendant ce temps-là, le déficit de la Sécurité Sociale s’aggrave . Dans les hôpitaux, les conditions de la naissance et celles des conditions de travail du personnel continuent de se dégrader. Les femmes, sans doute moins mobilisables que leurs aînées (portées par le mouvement féministe), mais également parce qu’enceintes, seront absentes du mouvement de 2001. Devant la course des sages-femmes dans les couloirs des hôpitaux, les femmes comprendront que leur tenir la main devenait « mission impossible » pour les sages-femmes. Pourtant elles en avaient toujours besoin… Les doulas seront donc ces femmes qui, devant cette main ouverte, glisseront tout naturellement la leur. Si ce constat historique est simple et peu polémique je pressens que la suite de mon exposé va se dérouler sous une météo moins favorable… La conclusion de cette première partie est donc : que les doulas sont une mauvaise réponse à un vrai problème de santé. Pourquoi ?Parce qu’elles inscrivent leur profession en réponse « rustine » à la crise d’une autre profession : celle de sage-femme.
Par ailleurs leur présence auprès des femmes modifie obligatoirement celle de l’autre accompagnant permanent : le père. a) Pourquoi les doulas ne sont-elles pas la réponse à l’insuffisance bien réelle des sages-femmes ? Parce que le métier de sage-femme est d’abord un métier d’accompagnement. Cette fonction précède historiquement sa mutation scientifique et technique. L’aspect empirique fait toujours partie de notre démarche pré-diagnostique dans sa dimension intuitive. Les constats cliniques pathologiques succèdent donc à l’instant intuitif. C’est ce premier malaise qui va mettre la sage-femme en situation de vigilance intense. Elle fait alors appel à ses connaissances scientifiques et met en place les moyens techniques lui permettant d’infirmer ou d’affirmer la pathologie. Bien sûr les doulas développeront également, du fait même de leur intense présence auprès des femmes, l’aspect intuitif. N’ayant pas la culture scientifique elles feront alors appel aux sages-femmes de plus en plus occupées ailleurs, du fait même de la présence des doulas. Il y a là une double perte de temps : Celle entraînée par la succession des démarches : doula puis sage-femme. Celle imputable à l’appauvrissement de la dimension intuitive de la sage-femme, la mettant dans l’action avec retard. Les clignotants du temps intuitif ne s’allumeront plus, entraînant un décalage dans sa mobilisation préjudiciable à la santé des femmes et des enfants. Rappelons que l’ensemble des études montrent que la multiplication des intervenants auprès d’un patient nuit au patient lui même. Enfin, la présence des doulas ne permettrait-elle pas de poursuivre dans la voie des économies budgétaires en continuant à charger de façon éhontée le travail des sages-femmes ? On peut imaginer que la suroccupation des sages-femmes fera que tôt ou tard les doulas se retrouveront en situation d’assistance à personne en danger, répondant avec le cœur là où la compétence technique était nécessaire. Toutes ces raisons me font dire que la création d’un sous-prolétariat de la « sage-femmerie » en la profession de doula est dangereuse aussi bien pour les femmes, les sages-femmes, que les doulas elles-mêmes. b) La dimension politique L’arrivée des doulas en France au moment où les sages-femmes revendiquaient des conditions de travail et un salaire décents ne peut être vécu que comme la réponse scandaleuse à leur revendication. La polémique sur les doulas détourne du véritable problème qui est celui du doublement du nombre de sages-femmes françaises. Par voie de conséquence, les doulas se retrouvent, malgré elles, en position de « jaune » dans le mouvement de revendication des sages-femmes. Payer des gens moins qualifiés pour faire un travail c’est délégitimer ce travail. Les emplois jeunes, dans les lycées, ont été les « doulas » des professeurs et ont fait couler la même encre que la mienne aujourd’hui. Il y a là une entrée de la politique qui se met en concurrence avec la médecine scientifique et moderne. Dans la mesure où la profession de doula n’est pas légalisée, mes propos sont une mise en garde plutôt qu’une accusation. Toutefois son existence réelle dans les professions de santé illégales la fait entrer, de fait, dans ce qu’on appelle populairement les charlatans. Il y a, dans ces métiers marginalisés, un risque augmenté d’échange d’argent « de la main à la main ». On sait bien que ce type de rémunération risque d’échapper à la fiscalisation et aggrave donc d’autant le déficit de la sécurité sociale. Par ailleurs les doulas n’auraient aucune responsabilité juridique puisque les sages- femmes resteraient scandaleusement responsables de tout ! Comment rendre responsable quelqu’un qui ne se définit que dans l’accompagnement ? c) L’aspect plus psychologique Là encore je pressens un danger dans le fait que ce sont elles-mêmes qui définissent leurs compétences et leurs champs d’applications, sans contrôle des autorités de santé. Cette situation en marge les rend forcément vulnérables et attirera, en écho, la sympathie de la partie la plus fragile de la population. Enfin leur présence auprès des femmes en travail change forcément l’implication de leurs compagnons pendant ce moment unique. L’accouchement, dans sa mise en situation d’urgence des êtres, est révélateur. Il est banal de dire que c’est un moment initiatique pour la mère, le père, mais aussi le couple. N’y aurait-il pas dans une présence trop appuyée d’un professionnel un risque d’écrasement du rôle du père et donc de détournement de sens ? d) Le risque inhérent aux sages-femmes elles-mêmes Les sages-femmes peuvent mettre les doulas dans la même situation qu’elles ont elles-mêmes été face aux médecins. Pourquoi ne pas retarder le plus possible notre arrivée auprès des femmes grâce à la présence de la doula qui nous a précédé sur place ? Nous savons tous combien, dans les pratiques privées « le temps, c’est de l’argent ». En conclusion, je dirai que la France doit s’aligner en matière d’accompagnement sécuritaire de la naissance sur ses voisins européens. Une femme une sage-femme étant la norme, l’exception étant de deux. Il revient aux doulas le mérite d’avoir mis en lumière la situation d’abandon dans laquelle sont les femmes dans la période périnatale. La sortie précoce des institutions aggravant encore cette détresse. L’HAD, si elle prend en charge la surveillance médicale, ne répond pas aux besoins d’aide à domicile des femmes pendant cette période. Une profession déchargeant les femmes des charges matérielles de ce moment est effectivement à créer. Le travail des femmes et les mutations sociales ont modifié les mobilisations familiales autour des naissances. Jadis c’est la famille élargie qui prenait en charge la jeune accouchée. Aujourd’hui c’est une famille nucléarisée, réduite à papa-maman-bébé, qui va se retrouver à domicile deux jours après l’accouchement. Je n’ai aucune objection à ce qu’une aide à domicile spécialisée dans la périnatalité vienne pallier l’insuffisance de la famille nucléaire. Ce qui m’inquiète c’est la dérive possible dans une prétendue compétence médicale que je trouverai alors dangereuse. À l’heure ou l’allaitement maternel se réinvente, il est temps de réinventer la famille élargie. Aides à domicile et sages-femmes y ont toutes deux leur place. (*) Le mot « doula », (du grec ancien), est utilisé aujourd’hui dans le domaine de la périnatalité, pour nommer une femme qui a pour vocation d’aider une autre femme et son entourage pendant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale, grâce à son expérience et à sa formation
|
< Précédent |
Suivant > |
---|