Le privé est-il plus efficace ? |
Philippe PIGNARRE in Comment sauver (vraiment) la Sécu. Et si les usagers s’en mêlaient ? L’exemple des médicaments.
Paris : La découverte, 2004, p. 69 – 70. Le problème des structures publiques, c’est que rien n’est fait pour qu’elles traduisent la mobilisation du public. Si les membres des agences peuvent être corrompus, ce n’est pas parce que ce sont des structures publiques mais, à l’inverse, parce qu’elles ne le sont pas assez.
Elles sont formées d’experts qui se flattent de leur neutralité et de leur indépendance. Peut-être serait-il préférable de mettre un terme à cette conception de l’expertise qui implique la remise du pouvoir du public entre les mains de personnes qui doivent être « sans intérêts ». Il serait peut-être moins hypocrite d’avoir des experts attachés à ceux pour qui ils travaillent : des experts représentant l’industrie pharmaceutique, des experts représentant les associations de patients et d’autres des équipes précises de chercheurs et les médecins, et que les débats entre eux soient publics. On saurait alors qui parle au nom de qui. On obtiendrait ainsi une politisation de chaque débat, ce qui favorise le rôle et la possibilité d’intervention du public. Mais c’est cette politisation que craignent le plus ceux qui ne veulent pas favoriser l’émergence d’un public et qui veulent consolider le pouvoir du privé. La logique actuelle est de « protéger » le public et non pas de le rendre plus fort en lui faisant jouer un rôle d’acteur.
Ce qui s’applique ici aux médicaments est également valable pour tous les autres biens de santé. Le maximum de transparence, d’évaluation ne peut pas être garanti par le privé et la mise en concurrence. Il l’est bien plus par l’implication du public. Les associations de patients se créent d’ailleurs le plus souvent pour réagir aux endroits où le système montre ses carences. Le caractère pervers du système actuel, c’est qu’on est toujours réticent à accueillir les représentants de ses associations alors que ce devrait être considéré par tous les acteurs du système public comme une opportunité et l’instauration d’une situation privilégiée pour se défendre contre le privé. Page 118 : L’exemple de l’industrie pharmaceutique montre que ceux qui profitent du système ne sont pas ceux qu’on croit. Du coup, c’est en réveillant le public qu’il est possible de faire jouer à l’assurance maladie le rôle pour lequel elle a été imaginée. Le choix est entre donner encore plus de pouvoir à l’offre de soins en généralisant l’offre privée et en la faisant pénétrer toujours plus profondément dans l’organisation de la Sécurité Sociale, et faire l’opération inverse : faire remonter en amont, de manière toujours plus exigeante, les prétentions du public dans un mouvement qui lui permettra d’apprendre en permanence de sa propre expérience, d’expérimenter.
Tout au long de ce livre, nous n’avons pas essayé de défendre de grands principes valables en tout temps. Nous avons plutôt essayé de concrétiser une autre démarche politique qui place en son centre la notion de « public ». Ce qui permet au public d’exister, de se développer, de surgir comme le principal interlocuteur, ce ne sont pas des critères a priori, des savoirs déjà constitués qu’il n’y aurait plus qu’à appliquer, c’est lorsque l’expérience (accumulée) nourrit l’expérimentation, lorsqu’on se donne les moyens de faire des apprentissages collectifs, de défier le pouvoir des experts neutres en produisant d’autres experts engagés. (Cité par Bernard Bel)
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