Le pri­vé est-il plus efficace ?

Le pro­blème des struc­tures publiques, c’est que rien n’est fait pour qu’elles tra­duisent la mobi­li­sa­tion du public. Si les membres des agences peuvent être cor­rom­pus, ce n’est pas parce que ce sont des struc­tures publiques mais, à l’in­verse, parce qu’elles ne le sont pas assez.

Elles sont for­mées d’ex­perts qui se flattent de leur neu­tra­li­té et de leur indé­pen­dance. Peut-être serait-il pré­fé­rable de mettre un terme à cette concep­tion de l’ex­per­tise qui implique la remise du pou­voir du public entre les mains de per­sonnes qui doivent être « sans inté­rêts ». Il serait peut-être moins hypo­crite d’a­voir des experts atta­chés à ceux pour qui ils tra­vaillent : des experts repré­sen­tant l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, des experts repré­sen­tant les asso­cia­tions de patients et d’autres des équipes pré­cises de cher­cheurs et les méde­cins, et que les débats entre eux soient publics. On sau­rait alors qui parle au nom de qui. On obtien­drait ain­si une poli­ti­sa­tion de chaque débat, ce qui favo­rise le rôle et la pos­si­bi­li­té d’in­ter­ven­tion du public. Mais c’est cette poli­ti­sa­tion que craignent le plus ceux qui ne veulent pas favo­ri­ser l’é­mer­gence d’un public et qui veulent conso­li­der le pou­voir du pri­vé. La logique actuelle est de « pro­té­ger » le public et non pas de le rendre plus fort en lui fai­sant jouer un rôle d’acteur.

Ce qui s’ap­plique ici aux médi­ca­ments est éga­le­ment valable pour tous les autres biens de san­té. Le maxi­mum de trans­pa­rence, d’é­va­lua­tion ne peut pas être garan­ti par le pri­vé et la mise en concur­rence. Il l’est bien plus par l’im­pli­ca­tion du public. Les asso­cia­tions de patients se créent d’ailleurs le plus sou­vent pour réagir aux endroits où le sys­tème montre ses carences. Le carac­tère per­vers du sys­tème actuel, c’est qu’on est tou­jours réti­cent à accueillir les repré­sen­tants de ses asso­cia­tions alors que ce devrait être consi­dé­ré par tous les acteurs du sys­tème public comme une oppor­tu­ni­té et l’ins­tau­ra­tion d’une situa­tion pri­vi­lé­giée pour se défendre contre le privé.


Page 118 :

L’exemple de l’industrie phar­ma­ceu­tique montre que ceux qui pro­fitent du sys­tème ne sont pas ceux qu’on croit. Du coup, c’est en réveillant le public qu’il est pos­sible de faire jouer à l’assurance mala­die le rôle pour lequel elle a été ima­gi­née. Le choix est entre don­ner encore plus de pou­voir à l’offre de soins en géné­ra­li­sant l’offre pri­vée et en la fai­sant péné­trer tou­jours plus pro­fon­dé­ment dans l’organisation de la Sécu­ri­té Sociale, et faire l’opération inverse : faire remon­ter en amont, de manière tou­jours plus exi­geante, les pré­ten­tions du public dans un mou­ve­ment qui lui per­met­tra d’apprendre en per­ma­nence de sa propre expé­rience, d’expérimenter.

Tout au long de ce livre, nous n’avons pas essayé de défendre de grands prin­cipes valables en tout temps. Nous avons plu­tôt essayé de concré­ti­ser une autre démarche poli­tique qui place en son centre la notion de « public ». Ce qui per­met au public d’exister, de se déve­lop­per, de sur­gir comme le prin­ci­pal inter­lo­cu­teur, ce ne sont pas des cri­tères a prio­ri, des savoirs déjà consti­tués qu’il n’y aurait plus qu’à appli­quer, c’est lorsque l’expérience (accu­mu­lée) nour­rit l’expérimentation, lorsqu’on se donne les moyens de faire des appren­tis­sages col­lec­tifs, de défier le pou­voir des experts neutres en pro­dui­sant d’autres experts engagés.

(Cité par Ber­nard Bel)


< Précédent

Suivant >
 
   
 
 
  LE CIANE Ville de Chateauroux Conseil général de l'indre Région Centre Mutualite de l'indre