Le vécu de l’accouchement, la douleur et l’accompagnement |
Le vécu de l’accouchement, la douleur et l’accompagnement Résumé de mémoire de maîtrise – 1993 – Paris V René Descartes Danièle Bullaert, Psychologue en crèche Introduction
Lors d’un stage en maternité, ma participation à différents niveaux m’a permis de nombreuses observations. J’ai eu l’occasion de participer à des séances de préparation à l’accouchement. Ces séances se déroulaient dans un cadre véritablement sombre, lugubre et froid, avec du matériel ancien. La pièce était encombrée, il n’y avait aucune chaleur. Et je suis ressortie de ces séances tout à fait soulagée de ne pas être enceinte, tellement le cadre était décalé par rapport à ce que peut représenter une grossesse et une naissance : la vie ! Très peu de femmes osaient poser des questions. A une séance menée par un kinésithérapeute, j’ai également constaté que beaucoup de femmes étaient totalement désarmées face à des positions ou des mouvements simples à faire ; elles n’osaient pas, ne savaient pas investir leur corps. J’ai également participé à des séances de chant prénatal où là, à l’inverse, j’en suis ressortie avec le sentiment très fort que tout mon corps souriait ; je me sentais pleine du chant. Pourtant, lors de ces séances, certaines femmes n’investissaient pas le chant non plus. Elles ne chantaient pas ni avec leur corps ni avec leurs émotions. Elles étaient là régulièrement, et à la fois elles étaient absentes, certainement avec une demande non formulée. A plusieurs reprises, j’ai entendu des remarques sur les femmes qui crient pendant leur travail de dilatation ou d’expulsion. Visiblement, l’émotionnel est encore trop souvent refusé car il fait peur, surtout si nos propres émotions sont entassées, refoulées depuis des années. Les cris sont alors ressentis comme une véritable agression. Pourtant, l’émotion n’est rien d’autre que l’expression de la vie. De plus, au vu des dossiers médicaux, j’ai été très surprise par le nombre de préparations suivies par femme et le déroulement de leur accouchement ainsi que par le nombre de demandes de péridurale, malgré la variété des préparations proposées. Pourquoi j’ai choisi plus précisément le thème de la douleur et de l’accompagnement ? La raison principale est mon expérience personnelle. J’ai fait un travail sur moi par l’intermédiaire de la thérapie holotropique de Stanislas Grof. La méthode repose entre autre sur l’accélération simple du rythme respiratoire qui peut permettre le relâchement des défenses psychologiques, de revivre des expériences périnatales, de dénouer les traumatismes cristallisés dans les différentes phases de la naissance. Pour que ces expériences puissent avoir lieu et être maturantes, pour que les émotions archaïques liées à ces expériences puissent s’exprimer sans crainte, l’accompagnant doit être présent en permanence, étayer les tentatives du patient notamment aux moments de bascule, et par l’intermédiaire de sa parole si nécessaire, du toucher, de sa respiration, de ses gestes, assurer un effet de contenant, sous réserve de l’accord préalable avec la personne concernée. Et dans un deuxième temps, l’accompagnant doit aider à mettre des mots, une compréhension sur ce revécu. Par ce travail, j’ai pu constater l’importance de la présence de l’accompagnant, pour faire face à la douleur et la souffrance. En effet, chaque expérience, chaque revécu de traumatisme nécessite, pour qu’elle soit maturante, un étayage sur une mère suffisamment bonne, l’accompagnant en étant le substitut. La deuxième raison se situe au niveau de l’évolution historique de l’acte d’accoucher. Autrefois, la femme qui accouchait avait le droit de crier, de s’agiter, le droit et même le devoir. Le cri était la manifestation de la souffrance, permettait la libération de l’appréhension, de dire sa douleur pour l’atténuer ; mais c’était aussi et surtout un appel à l’aide et au réconfort, ce qui avait pour résultat immédiat de faire accourir toutes les voisines et plus particulièrement la matrone, la femme-sage, la sage-femme. Jacques Gelis dans son livre « L’arbre et le fruit » parle de « ruche bourdonnante » faite de solidarité féminine, où chaque femme avait sa fonction. Ainsi, à aucun moment la femme qui accouchait se retrouvait seule. À partir des premières contractions jusqu’à l’expulsion, il n’y avait aucun temps mort. C’était une suite d’interventions permanentes de toutes sortes. La femme qui accouchait recherchait du secours à l’extérieur mais découvrait aussi par elle-même des attitudes, des postures qui la soulageaient, facilitaient et activaient le travail de dilatation. Aussi j’ai voulu étudier l’influence de la péridurale sur le vécu de l’accouchement, sa place et son rôle, la présence d’éventuels facteurs prédéterminants le déroulement de l’accouchement. J’ai donc comparé le vécu des femmes ayant accouché sous péridurale au vécu de femmes ayant accouché naturellement, l’ensemble étant constitué de femmes primipares, toutes de nationalité française afin d’éviter les influences culturelles. Résultats Chez les femmes qui ont accouché sous péridurale, j’ai noté qu’elles étaient majoritairement multi-gestes, donc présentant plus d’antécédents (FCS, IVG). Elles sont globalement plus préparées (jusqu’à trois préparations); certaines d’entre elles ne vivent pas avec le père ou le père est parti. La moyenne d’âge est plus élevée et certaines d’entre elles ont décidé de leur grossesse sans l’accord ou à l’encontre du désir du père. Les femmes qui ont accouché naturellement, elles, sont majoritairement primi-gestes et ont plus fréquemment : soit une pratique de sport régulière (actuelle ou dans le passé) soit une pratique d’instrument à vent, activités qui impliquent un investissement du corps et de la respiration. Elles sont plus jeunes et vivent avec le père de l’enfant. J’ai noté quatre secteurs de facteurs d’angoisse potentielle au moment de l’accouchement pour lesquels l’indice est plus élevé chez les femmes qui ont accouché sous péridurale. Deux secteurs concernent la biographie de la femme et deux autres leur grossesse. Le premier secteur est celui de la pathologie personnelle qui regroupe : Le deuxième secteur est celui de la féminité qui regroupe : A noter que si l’on supprime les FCS et les IVG de ce secteur, il n’est plus significatif. Ce qui confirmerait que le fait d’être multi-gestes est une caractéristique importante chez les femmes qui ont accouché sous péridurale. Le troisième secteur est celui des troubles de la maternalité, c’est-à-dire Enfin le dernier secteur d’angoisse potentielle est celui des symptômes psychopathologiques qui peuvent être : Au niveau des peurs, globalement, les entretiens des femmes qui ont accouché naturellement reflètent plus de peurs mais elles sont concises, précises, moins fantasmatiques, comme si ces femmes avaient posé leurs peurs pour passer à autre chose. Alors que les femmes qui ont accouché sous péridurale parlent de leurs peurs de façon beaucoup plus chargée de termes anxiogènes et de fantasmes. Pourtant, elles sont globalement plus préparées. Peut-être que l’élaboration psychique des peurs serait proportionnelle à la difficulté de traverser ces peurs et de faire avec, et sans doute servirait à cacher une autre peur, une autre angoisse beaucoup plus profonde qui serait restée sous silence. La péridurale aurait un rôle d’isolement pour tenter d’éviter une hémorragie psychique face à ce flot de paroles au sujet des peurs à un moment où la femme est extrêmement fragilisée psychologiquement. La péridurale serait une tentative d’anesthésie de la souffrance psychique A noter qu’une seule femme ayant accouché sous péridurale a parlé de peur par rapport à la solitude pendant l’accouchement. De même, comme on le verra plus loin, les femmes qui ont accouché sous péridurale parlent beaucoup moins de leur mari et de l’entourage, l’accompagnement ne fait partie de leur critère d’accouchement idéal. Par rapport à la place du père, de façon générale, les femmes qui ont accouché naturellement sont plus en relation avec leur mari ; le père occupe une place plus importante notamment au moment de l’accouchement (trois fois plus de citations). En ce qui concerne la place de l’accouchement dans la vie d’une femme, les réponses de celles qui ont accouché naturellement concernent plus l’enfant, le couple, leur nouvelle place, donc le résultat de l’accouchement et ce qu’il implique, plutôt que l’accouchement lui-même. Sans doute, ces femmes ont une image différente de la famille et du couple. A l’inverse, les femmes qui ont accouché sous péridurale donnent des réponses beaucoup plus par rapport à l’acte d’accoucher. Visiblement, pour ces dernières, l’accouchement a une place beaucoup plus importante dans leur vie, ce qui irait dans le sens d’une représentation différente de la maternité et d’un besoin de revalorisation narcissique. Et ce qui est le plus important entre la conception et le jour de l’entretien pour les femmes qui ont accouché naturellement, c’est la naissance de la famille, la transformation dans leur relation de couple alors qu’à nouveau pour celles qui ont accouché sous péridurale, c’est leur accouchement, leur grossesse, elle-même. A la question « A quoi pourriez-vous comparer l’accouchement », j’ai constaté que les femmes qui ont accouché sous péridurale n’ont pas pu comparer l’accouchement à quoi que ce soit, ou encore, leurs réponses se référaient à elles-mêmes avec une connotation de soulagement et une certaine satisfaction comme si la péridurale leur avait permis d’atteindre cette image de mère qu’autrement elles craignaient peut-être de ne pas atteindre. Alors que celles qui ont accouché naturellement ont donné des réponses souvent plus élaborées, en référence à la nature, à la vie. Pour ce qui est de l’expression « accouchement sans douleur », pour la majorité, dans les deux groupes, l’accouchement sans douleur véritable, à l’heure actuelle, c’est la péridurale. Toutefois, le thème des femmes qui ont accouché naturellement, évoque le contrôle, la maîtrise, la conscience, la concentration ; chez les autres femmes, leur thème, curieusement, évoque la douleur (inévitable, c’est normal, c’est logique, il faut un minimum de douleur). Et à nouveau, peut-être peut-on y voir l’indice d’une douleur psychique qui persiste derrière la péridurale, et donc l’échec de l’anesthésie psychologique. L’accouchement idéal n’est pas défini par les mêmes critères dans les deux groupes. Chez les femmes qui ont accouché naturellement, le premier critère fait référence à l’entourage, sa fonction (être aidée moralement, faire les choses ensemble, ne pas être seule, une équipe médicale en harmonie, tenir les mains, respirer avec nous) alors que chez les femmes qui ont accouché sous péridurale, il n’y a pas de référence à l’entourage. Leur premier critère d’accouchement idéal concerne la douleur (avec un minimum de douleurs, moins de douleurs, pas douloureux, si les douleurs sont gérables) et leur deuxième critère porte sur le déroulement de l’accouchement (par vois basse, l’épisiotomie, les forceps). A nouveau l’intérêt des femmes qui ont accouché sous péridurale est directement porté sur l’accouchement lui-même. Conclusions et réflexions Suite à l’analyse de ces résultats, j’ai émis l’hypothèse que si la maternité et la féminité sont acceptées sans difficulté importante alors l’accouchement est accepté en tant que tel, comme une étape, et l’intérêt de la femme porte sur ce que l’accouchement va entraîner. Alors que pour les femmes qui ont accouché sous péridurale, qui sont en moyenne plus fréquemment multi-gestes, le refus de la douleur et faire avec, symboliserait toutes les difficultés d’adaptation face à la situation nouvelle d’intégration de leur nouveau rôle de mère. La péridurale serait demandée en tant qu’objet transitionnel pour leur permettre Pour situer la place de la péridurale, j’ai utilisé aussi bien ce que l’on peut observer pendant un accouchement aujourd’hui, dans les siècles passés, mais aussi dans d’autres pays, notamment en Inde et en Afrique. Si la médecine a réussi à transformer la naissance en acte médical, c’est, antre autre, parce que la plupart des femmes sont d’accord avec cette situation ; et ce pour plusieurs raisons que je qualifierai de confort immédiat dans une situation où elle est extrêmement fragilisée et où elle ne peut pas remettre en question toutes les influences conscientes et inconscientes qui constituent le répertoire des comportements acceptés dans une société donnée. La raison la plus ancienne est l’isolement, dû à la naissance de la famille nucléaire courant du 17ème siècle. La deuxième raison est le type de maternage distal, avec un minimum de contacts physiques, qui comporte outre la nécessité de l’objet transitionnel, de nombreux autres objets intermédiaires (boites à musique, nombreux jouets) alors que la maternage proximal, en Inde et en Afrique, comporte entre autre des massages rituels intenses de l’enfant qui contribuent à l’acquisition d’une enveloppe corporelle. La troisième raison est le désinvestissement progressif du corps que nous pouvons observer au niveau de la vie de tous les jours : respiration, toucher, sport, musique, travail. Le corps devient une machine sans âme ni coeur, ce qui entraîne une déshumanisation des rites de passage, une misère psychique intense quotidienne et donc un refus total de douleur supplémentaire. Je pense que si une femme n’investit pas son corps pour elle-même dès le plus jeune âge, elle ne peut pas l’investir pour son enfant au moment de l’accouchement, surtout si elle n’est pas accompagnée. Et comment pourrait-elle investir son corps pour elle-même si sa propre mère ne l’a pas investi pour elle dès sa naissance ? Maintenant que j’ai situé la place de la péridurale, je voudrais situer le rôle de l’expression de la douleur et de l’accompagnement pendant l’accouchement. Pour cela, j’ai mis en parallèle deux situations : celle du bébé qui vient de naître, et celles de la femme qui accouche. Pourquoi ce parallèle ? Pour plusieurs raisons : Le deuxième point est celui de l’angoisse originaire qui est celle du vide, de l’abandon, de la chute sans fin, de la perte des étayages, d’être laissé tombé. Le troisième point est celui de la séparation qui peut être vécu comme un arrachage de la peau. Le quatrième point est celui de la nécessité de la naissance psychique pour que l’expérience soit maturante. Quand je parle de points communs, c’est dans le sens où tout enfant qui vient de naître passe par les trois premières étapes : la situation extrême, l’angoisse originaire et la séparation ; et pour accéder à la naissance psychique, il faut un accompagnement suffisamment bon et des expériences suffisamment positives, sinon l’enfant bascule dans l’autisme primaire. La femme qui accouche, elle, est aussi passée par les trois premières étapes. En effet, le degré de régression, le retour au vécu de sa propre naissance, et la résolution plus ou moins harmonieuse de ses propres conflits et émois archaïques peuvent amener la femme à réaffronter l’expérience de situation extrême, d’angoisse originaire, de séparation-arrachage de la peau et entraîner des conséquences psychologiques graves. Afin d’écarter au maximum ces risques, un accompagnement spécifique suffisamment bon est nécessaire. Pour définir cet accompagnement nécessaire à l’enfant qui naît et à la femme qui accouche, j’ai utilisé la notion de Moi-peau et de peau psychique empruntée à Didier Anzieu et Esther Bick. Le Moi-peau s’étaye sur les trois principales fonctions de la peau : Il a été démontré, notamment par Hélène Stork, que, par l’apprentissage primaire procédant d’une imprégnation de niveau cutané ou tonico-moteur, le bébé acquiert les limites de son corps, le sens d’un dedans et d’un dehors. C’est ainsi que naît l’enveloppe peau. A noter qu’en Inde et en Afrique, le bébé acquiert les limites de son corps par imprégnation des massages rituels alors qu’en France par exemple, l’enveloppe peau s’acquiert essentiellement par l’intermédiaire des vêtements. Pour que ce Moi-peau se transforme en Moi psychique, l’accompagnement doit remplir deux fonctions : S’il y a carence d’une des deux fonctions de l’accompagnement, différentes formes d’angoisse peuvent apparaître : l’angoisse de mort, l’angoisse de morcellement, d’anéantissement avec différentes conséquences psychologiques graves Et la femme qui accouche, si elle n’est pas suffisamment bien accompagnée va chercher Avant de conclure, je voudrais parler de l’empreinte de la naissance. Au cours d’une séance de relaxation, une personne a revécu certains moments de sa naissance ; pour l’avoir observée et entendue après son expérience, je peux affirmer que les contractions, leurs rythmes deviennent un souvenir. Voici un extrait de son témoignage : « J’ai notamment revécu le dernier instant de l’expulsion : j’ai senti l’ouverture du vagin sur tout le cuir chevelu, ça s’ouvrait doucement, jusqu’au moment où j’ai senti que ma tête était sortie ; tout de suite après, c’était une chute soudaine, sans fin, avec une angoisse originaire, une angoisse d’anéantissement ; puis tout a basculé, je me suis sentie tenue par les pieds, la tête en bas. » Cette jeune femme qui a bien voulu partager son expérience de relaxation nous a parlé un peu plus longuement de sa naissance : « Pour ma naissance, une des difficultés a été à la fin du travail de dilatation. Je ne m’engageais pas. Comme m’a dit ma mère, « tu n’as vraiment rien fait pour m’aider ! » et c’est une sage-femme, debout sur un tabouret, qui a appuyé de tout son poids sur le ventre de ma mère pour m’engager dans le travail d’expulsion. » C’est ce qui va former la « réaction prototypique » d’Arthur Janov. En effet, Cette empreinte de la naissance et la réaction prototypique expliquent : En effet, certaines sages-femmes se sentent débordées par les émotions de celle qui accouche. Et mon travail, depuis plusieurs années en thérapie émotionnelle, et plus récemment en thérapie holotropique, m’a permis de me sentir réellement à l’aise face au vécu émotionnel des femmes que j’ai accompagnées. Je me suis sentie libre par rapport à ma propre naissance, et donc totalement disponible pour la femme qui accouchait. En conclusion, - Étant données toutes les influences subies qui constituent le répertoire des comportements acceptés dans notre société , l’isolement dû à la famille nucléaire, le maternage distal, le désinvestissement progressif du corps - Étant donnée l’importance de l’empreinte de la naissance et de la réaction prototypique, la nécessité du bon déroulement de la naissance psychique de la nouvelle mère et de l’expression de sa souffrance, il me paraît indispensable que : • l’accompagnement soit proposé de façon systématique afin de limiter l’utilisation de la péridurale |
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