Le vécu de l’ac­cou­che­ment, la dou­leur et l’accompagnement
Le vécu de l’ac­cou­che­ment, la dou­leur et l’accompagnement
Résu­mé de mémoire de maî­trise – 1993 – Paris V René Descartes
Danièle Bul­laert, Psy­cho­logue en crèche
Introduction

Lors d’un stage en mater­ni­té, ma par­ti­ci­pa­tion à dif­fé­rents niveaux m’a per­mis de nom­breuses observations.

J’ai eu l’occasion de par­ti­ci­per à des séances de pré­pa­ra­tion à l’accouchement. Ces séances se dérou­laient dans un cadre véri­ta­ble­ment sombre, lugubre et froid, avec du maté­riel ancien. La pièce était encom­brée, il n’y avait aucune cha­leur. Et je suis res­sor­tie de ces séances tout à fait sou­la­gée de ne pas être enceinte, tel­le­ment le cadre était déca­lé par rap­port à ce que peut repré­sen­ter une gros­sesse et une nais­sance : la vie !

Très peu de femmes osaient poser des ques­tions. A une séance menée par un kiné­si­thé­ra­peute, j’ai éga­le­ment consta­té que beau­coup de femmes étaient tota­le­ment désar­mées face à des posi­tions ou des mou­ve­ments simples à faire ; elles n’osaient pas, ne savaient pas inves­tir leur corps.

J’ai éga­le­ment par­ti­ci­pé à des séances de chant pré­na­tal où là, à l’inverse, j’en suis res­sor­tie avec le sen­ti­ment très fort que tout mon corps sou­riait ; je me sen­tais pleine du chant. Pour­tant, lors de ces séances, cer­taines femmes n’investissaient pas le chant non plus. Elles ne chan­taient pas ni avec leur corps ni avec leurs émo­tions. Elles étaient là régu­liè­re­ment, et à la fois elles étaient absentes, cer­tai­ne­ment avec une demande non formulée.

A plu­sieurs reprises, j’ai enten­du des remarques sur les femmes qui crient pen­dant leur tra­vail de dila­ta­tion ou d’expulsion. Visi­ble­ment, l’émotionnel est encore trop sou­vent refu­sé car il fait peur, sur­tout si nos propres émo­tions sont entas­sées, refou­lées depuis des années. Les cris sont alors res­sen­tis comme une véri­table agres­sion. Pour­tant, l’émotion n’est rien d’autre que l’expression de la vie.

De plus, au vu des dos­siers médi­caux, j’ai été très sur­prise par le nombre de pré­pa­ra­tions sui­vies par femme et le dérou­le­ment de leur accou­che­ment ain­si que par le nombre de demandes de péri­du­rale, mal­gré la varié­té des pré­pa­ra­tions proposées.

Pour­quoi j’ai choi­si plus pré­ci­sé­ment le thème de la dou­leur et de l’accompagnement ?

La rai­son prin­ci­pale est mon expé­rience per­son­nelle. J’ai fait un tra­vail sur moi par l’intermédiaire de la thé­ra­pie holo­tro­pique de Sta­nis­las Grof. La méthode repose entre autre sur l’accélération simple du rythme res­pi­ra­toire qui peut per­mettre le relâ­che­ment des défenses psy­cho­lo­giques, de revivre des expé­riences péri­na­tales, de dénouer les trau­ma­tismes cris­tal­li­sés dans les dif­fé­rentes phases de la nais­sance. Pour que ces expé­riences puissent avoir lieu et être matu­rantes, pour que les émo­tions archaïques liées à ces expé­riences puissent s’exprimer sans crainte, l’accompagnant doit être pré­sent en per­ma­nence, étayer les ten­ta­tives du patient notam­ment aux moments de bas­cule, et par l’intermédiaire de sa parole si néces­saire, du tou­cher, de sa res­pi­ra­tion, de ses gestes, assu­rer un effet de conte­nant, sous réserve de l’accord préa­lable avec la per­sonne concer­née. Et dans un deuxième temps, l’accompagnant doit aider à mettre des mots, une com­pré­hen­sion sur ce revécu.

Par ce tra­vail, j’ai pu consta­ter l’importance de la pré­sence de l’accompagnant, pour faire face à la dou­leur et la souf­france. En effet, chaque expé­rience, chaque revé­cu de trau­ma­tisme néces­site, pour qu’elle soit matu­rante, un étayage sur une mère suf­fi­sam­ment bonne, l’accompagnant en étant le substitut.

La deuxième rai­son se situe au niveau de l’évolution his­to­rique de l’acte d’accoucher. Autre­fois, la femme qui accou­chait avait le droit de crier, de s’agiter, le droit et même le devoir. Le cri était la mani­fes­ta­tion de la souf­france, per­met­tait la libé­ra­tion de l’appréhension, de dire sa dou­leur pour l’atténuer ; mais c’était aus­si et sur­tout un appel à l’aide et au récon­fort, ce qui avait pour résul­tat immé­diat de faire accou­rir toutes les voi­sines et plus par­ti­cu­liè­re­ment la matrone, la femme-sage, la sage-femme.

Jacques Gelis dans son livre « L’arbre et le fruit » parle de « ruche bour­don­nante » faite de soli­da­ri­té fémi­nine, où chaque femme avait sa fonc­tion. Ain­si, à aucun moment la femme qui accou­chait se retrou­vait seule. À par­tir des pre­mières contrac­tions jusqu’à l’expulsion, il n’y avait aucun temps mort. C’était une suite d’interventions per­ma­nentes de toutes sortes. La femme qui accou­chait recher­chait du secours à l’extérieur mais décou­vrait aus­si par elle-même des atti­tudes, des pos­tures qui la sou­la­geaient, faci­li­taient et acti­vaient le tra­vail de dilatation.

Aus­si j’ai vou­lu étu­dier l’influence de la péri­du­rale sur le vécu de l’accouchement, sa place et son rôle, la pré­sence d’éventuels fac­teurs pré­dé­ter­mi­nants le dérou­le­ment de l’accouchement.

J’ai donc com­pa­ré le vécu des femmes ayant accou­ché sous péri­du­rale au vécu de femmes ayant accou­ché natu­rel­le­ment, l’ensemble étant consti­tué de femmes pri­mi­pares, toutes de natio­na­li­té fran­çaise afin d’éviter les influences culturelles.

Résul­tats

Chez les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale, j’ai noté qu’elles étaient majo­ri­tai­re­ment multi-gestes, donc pré­sen­tant plus d’antécédents (FCS, IVG). Elles sont glo­ba­le­ment plus pré­pa­rées (jusqu’à trois pré­pa­ra­tions); cer­taines d’entre elles ne vivent pas avec le père ou le père est par­ti. La moyenne d’âge est plus éle­vée et cer­taines d’entre elles ont déci­dé de leur gros­sesse sans l’accord ou à l’encontre du désir du père.

Les femmes qui ont accou­ché natu­rel­le­ment, elles, sont majo­ri­tai­re­ment primi-gestes et ont plus fré­quem­ment : soit une pra­tique de sport régu­lière (actuelle ou dans le pas­sé) soit une pra­tique d’instrument à vent, acti­vi­tés qui impliquent un inves­tis­se­ment du corps et de la res­pi­ra­tion. Elles sont plus jeunes et vivent avec le père de l’enfant.

J’ai noté quatre sec­teurs de fac­teurs d’angoisse poten­tielle au moment de l’accouchement pour les­quels l’indice est plus éle­vé chez les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale. Deux sec­teurs concernent la bio­gra­phie de la femme et deux autres leur grossesse.

Le pre­mier sec­teur est celui de la patho­lo­gie per­son­nelle qui regroupe :
• les trau­ma­tismes cau­sés par des opé­ra­tions graves
• les mala­dies graves
• les acci­dents corporels
• la patho­lo­gie psychosomatique

Le deuxième sec­teur est celui de la fémi­ni­té qui regroupe :
• la patho­lo­gie gynéco-obstétricale (FCS, IVG entre autres)
• les infor­ma­tions sexuelles et obstétricales
• les évé­ne­ments néga­tifs dans la tra­jec­toire de la vie féminine
• les per­tur­ba­tions du vécu féminin

A noter que si l’on sup­prime les FCS et les IVG de ce sec­teur, il n’est plus signi­fi­ca­tif. Ce qui confir­me­rait que le fait d’être multi-gestes est une carac­té­ris­tique impor­tante chez les femmes qui ont accou­ché sous péridurale.

Le troi­sième sec­teur est celui des troubles de la mater­na­li­té, c’est-à-dire
• la non accep­ta­tion de l’enfant
• la crainte de ne pas savoir s’occuper de l’enfant
• les pro­blèmes de sexualité
• ou encore les rap­ports sexuels douloureux.

Enfin le der­nier sec­teur d’angoisse poten­tielle est celui des symp­tômes psy­cho­pa­tho­lo­giques qui peuvent être :
• les craintes avouées
• les fantasmes
• les cauchemars
• les angoisses rela­tives à la femme :
– la peur de l’accouchement : peur de mou­rir, de souffrir
– les craintes nar­cis­siques (rela­tives aux défor­ma­tions corporelles)
– les angoisses rela­tives à l’enfant : la peur d’anormalité, la peur de pré­ma­tu­ri­té, les angoisses dif­fuses, les rêves d’angoisse.

Au niveau des peurs, glo­ba­le­ment, les entre­tiens des femmes qui ont accou­ché natu­rel­le­ment reflètent plus de peurs mais elles sont concises, pré­cises, moins fan­tas­ma­tiques, comme si ces femmes avaient posé leurs peurs pour pas­ser à autre chose.

Alors que les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale parlent de leurs peurs de façon beau­coup plus char­gée de termes anxio­gènes et de fan­tasmes. Pour­tant, elles sont glo­ba­le­ment plus pré­pa­rées. Peut-être que l’élaboration psy­chique des peurs serait pro­por­tion­nelle à la dif­fi­cul­té de tra­ver­ser ces peurs et de faire avec, et sans doute ser­vi­rait à cacher une autre peur, une autre angoisse beau­coup plus pro­fonde qui serait res­tée sous silence.

La péri­du­rale aurait un rôle d’isolement pour ten­ter d’éviter une hémor­ra­gie psy­chique face à ce flot de paroles au sujet des peurs à un moment où la femme est extrê­me­ment fra­gi­li­sée psy­cho­lo­gi­que­ment. La péri­du­rale serait une ten­ta­tive d’anesthésie de la souf­france psychique

A noter qu’une seule femme ayant accou­ché sous péri­du­rale a par­lé de peur par rap­port à la soli­tude pen­dant l’accouchement. De même, comme on le ver­ra plus loin, les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale parlent beau­coup moins de leur mari et de l’entourage, l’accompagnement ne fait par­tie de leur cri­tère d’accouchement idéal.

Par rap­port à la place du père, de façon géné­rale, les femmes qui ont accou­ché natu­rel­le­ment sont plus en rela­tion avec leur mari ; le père occupe une place plus impor­tante notam­ment au moment de l’accouchement (trois fois plus de citations).

En ce qui concerne la place de l’accouchement dans la vie d’une femme, les réponses de celles qui ont accou­ché natu­rel­le­ment concernent plus l’enfant, le couple, leur nou­velle place, donc le résul­tat de l’accouchement et ce qu’il implique, plu­tôt que l’accouchement lui-même. Sans doute, ces femmes ont une image dif­fé­rente de la famille et du couple. A l’inverse, les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale donnent des réponses beau­coup plus par rap­port à l’acte d’accoucher. Visi­ble­ment, pour ces der­nières, l’accouchement a une place beau­coup plus impor­tante dans leur vie, ce qui irait dans le sens d’une repré­sen­ta­tion dif­fé­rente de la mater­ni­té et d’un besoin de reva­lo­ri­sa­tion narcissique.

Et ce qui est le plus impor­tant entre la concep­tion et le jour de l’entretien pour les femmes qui ont accou­ché natu­rel­le­ment, c’est la nais­sance de la famille, la trans­for­ma­tion dans leur rela­tion de couple alors qu’à nou­veau pour celles qui ont accou­ché sous péri­du­rale, c’est leur accou­che­ment, leur gros­sesse, elle-même.

A la ques­tion « A quoi pourriez-vous com­pa­rer l’accouchement », j’ai consta­té que les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale n’ont pas pu com­pa­rer l’accouchement à quoi que ce soit, ou encore, leurs réponses se réfé­raient à elles-mêmes avec une conno­ta­tion de sou­la­ge­ment et une cer­taine satis­fac­tion comme si la péri­du­rale leur avait per­mis d’atteindre cette image de mère qu’autrement elles crai­gnaient peut-être de ne pas atteindre. Alors que celles qui ont accou­ché natu­rel­le­ment ont don­né des réponses sou­vent plus éla­bo­rées, en réfé­rence à la nature, à la vie.

Pour ce qui est de l’expression « accou­che­ment sans dou­leur », pour la majo­ri­té, dans les deux groupes, l’accouchement sans dou­leur véri­table, à l’heure actuelle, c’est la péri­du­rale. Tou­te­fois, le thème des femmes qui ont accou­ché natu­rel­le­ment, évoque le contrôle, la maî­trise, la conscience, la concen­tra­tion ; chez les autres femmes, leur thème, curieu­se­ment, évoque la dou­leur (inévi­table, c’est nor­mal, c’est logique, il faut un mini­mum de dou­leur). Et à nou­veau, peut-être peut-on y voir l’indice d’une dou­leur psy­chique qui per­siste der­rière la péri­du­rale, et donc l’échec de l’anesthésie psychologique.

L’accouchement idéal n’est pas défi­ni par les mêmes cri­tères dans les deux groupes. Chez les femmes qui ont accou­ché natu­rel­le­ment, le pre­mier cri­tère fait réfé­rence à l’entourage, sa fonc­tion (être aidée mora­le­ment, faire les choses ensemble, ne pas être seule, une équipe médi­cale en har­mo­nie, tenir les mains, res­pi­rer avec nous) alors que chez les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale, il n’y a pas de réfé­rence à l’entourage. Leur pre­mier cri­tère d’accouchement idéal concerne la dou­leur (avec un mini­mum de dou­leurs, moins de dou­leurs, pas dou­lou­reux, si les dou­leurs sont gérables) et leur deuxième cri­tère porte sur le dérou­le­ment de l’accouchement (par vois basse, l’épisiotomie, les for­ceps). A nou­veau l’intérêt des femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale est direc­te­ment por­té sur l’accouchement lui-même.

Conclu­sions et réflexions

Suite à l’analyse de ces résul­tats, j’ai émis l’hypothèse que si la mater­ni­té et la fémi­ni­té sont accep­tées sans dif­fi­cul­té impor­tante alors l’accouchement est accep­té en tant que tel, comme une étape, et l’intérêt de la femme porte sur ce que l’accouchement va entraî­ner. Alors que pour les femmes qui ont accou­ché sous péri­du­rale, qui sont en moyenne plus fré­quem­ment multi-gestes, le refus de la dou­leur et faire avec, sym­bo­li­se­rait toutes les dif­fi­cul­tés d’adaptation face à la situa­tion nou­velle d’intégration de leur nou­veau rôle de mère.

La péri­du­rale serait deman­dée en tant qu’objet tran­si­tion­nel pour leur permettre
• une ten­ta­tive d’anesthésie de la dou­leur psy­chique face à un deuil dif­fi­cile à éla­bo­rer qui est
• de quit­ter leur iden­ti­té de fille et d’aborder celle de mère
• et de palier à l’absence de sub­sti­tut mater­nel pen­dant l’accouchement

Pour situer la place de la péri­du­rale, j’ai uti­li­sé aus­si bien ce que l’on peut obser­ver pen­dant un accou­che­ment aujourd’hui, dans les siècles pas­sés, mais aus­si dans d’autres pays, notam­ment en Inde et en Afrique. Si la méde­cine a réus­si à trans­for­mer la nais­sance en acte médi­cal, c’est, antre autre, parce que la plu­part des femmes sont d’accord avec cette situa­tion ; et ce pour plu­sieurs rai­sons que je qua­li­fie­rai de confort immé­diat dans une situa­tion où elle est extrê­me­ment fra­gi­li­sée et où elle ne peut pas remettre en ques­tion toutes les influences conscientes et incons­cientes qui consti­tuent le réper­toire des com­por­te­ments accep­tés dans une socié­té donnée.

La rai­son la plus ancienne est l’isolement, dû à la nais­sance de la famille nucléaire cou­rant du 17ème siècle.

La deuxième rai­son est le type de mater­nage dis­tal, avec un mini­mum de contacts phy­siques, qui com­porte outre la néces­si­té de l’objet tran­si­tion­nel, de nom­breux autres objets inter­mé­diaires (boites à musique, nom­breux jouets) alors que la mater­nage proxi­mal, en Inde et en Afrique, com­porte entre autre des mas­sages rituels intenses de l’enfant qui contri­buent à l’acquisition d’une enve­loppe corporelle.

La troi­sième rai­son est le dés­in­ves­tis­se­ment pro­gres­sif du corps que nous pou­vons obser­ver au niveau de la vie de tous les jours : res­pi­ra­tion, tou­cher, sport, musique, tra­vail. Le corps devient une machine sans âme ni coeur, ce qui entraîne une déshu­ma­ni­sa­tion des rites de pas­sage, une misère psy­chique intense quo­ti­dienne et donc un refus total de dou­leur sup­plé­men­taire. Je pense que si une femme n’investit pas son corps pour elle-même dès le plus jeune âge, elle ne peut pas l’investir pour son enfant au moment de l’accouchement, sur­tout si elle n’est pas accom­pa­gnée. Et com­ment pourrait-elle inves­tir son corps pour elle-même si sa propre mère ne l’a pas inves­ti pour elle dès sa naissance ?

Main­te­nant que j’ai situé la place de la péri­du­rale, je vou­drais situer le rôle de l’expression de la dou­leur et de l’accompagnement pen­dant l’accouchement. Pour cela, j’ai mis en paral­lèle deux situa­tions : celle du bébé qui vient de naître, et celles de la femme qui accouche.

Pour­quoi ce paral­lèle ? Pour plu­sieurs raisons :
• d’abord ces deux situa­tions entraînent une souf­france qui a besoin de s’exprimer et néces­sitent toutes les deux un accom­pa­gne­ment suf­fi­sam­ment bon
• ensuite, elles ont plu­sieurs point communs :
Le pre­mier point est celui de situa­tion extrême qui peut être l’élément pri­mor­dial de la dés­in­té­gra­tion psy­chique, voire de non déve­lop­pe­ment psychique.

Le deuxième point est celui de l’angoisse ori­gi­naire qui est celle du vide, de l’abandon, de la chute sans fin, de la perte des étayages, d’être lais­sé tombé.

Le troi­sième point est celui de la sépa­ra­tion qui peut être vécu comme un arra­chage de la peau.

Le qua­trième point est celui de la néces­si­té de la nais­sance psy­chique pour que l’expérience soit matu­rante. Quand je parle de points com­muns, c’est dans le sens où tout enfant qui vient de naître passe par les trois pre­mières étapes : la situa­tion extrême, l’angoisse ori­gi­naire et la sépa­ra­tion ; et pour accé­der à la nais­sance psy­chique, il faut un accom­pa­gne­ment suf­fi­sam­ment bon et des expé­riences suf­fi­sam­ment posi­tives, sinon l’enfant bas­cule dans l’autisme pri­maire. La femme qui accouche, elle, est aus­si pas­sée par les trois pre­mières étapes. En effet, le degré de régres­sion, le retour au vécu de sa propre nais­sance, et la réso­lu­tion plus ou moins har­mo­nieuse de ses propres conflits et émois archaïques peuvent ame­ner la femme à réaf­fron­ter l’expérience de situa­tion extrême, d’angoisse ori­gi­naire, de séparation-arrachage de la peau et entraî­ner des consé­quences psy­cho­lo­giques graves. Afin d’écarter au maxi­mum ces risques, un accom­pa­gne­ment spé­ci­fique suf­fi­sam­ment bon est néces­saire. Pour défi­nir cet accom­pa­gne­ment néces­saire à l’enfant qui naît et à la femme qui accouche, j’ai uti­li­sé la notion de Moi-peau et de peau psy­chique emprun­tée à Didier Anzieu et Esther Bick.

Le Moi-peau s’étaye sur les trois prin­ci­pales fonc­tions de la peau :
• conte­nir et rete­nir ce qui est bon
• mar­quer la limite avec le dehors et le main­te­nir à l’extérieur
• c’est aus­si un moyen pri­maire de com­mu­ni­ca­tion avec autrui.

Il a été démon­tré, notam­ment par Hélène Stork, que, par l’apprentissage pri­maire pro­cé­dant d’une impré­gna­tion de niveau cuta­né ou tonico-moteur, le bébé acquiert les limites de son corps, le sens d’un dedans et d’un dehors. C’est ain­si que naît l’enveloppe peau. A noter qu’en Inde et en Afrique, le bébé acquiert les limites de son corps par impré­gna­tion des mas­sages rituels alors qu’en France par exemple, l’enveloppe peau s’acquiert essen­tiel­le­ment par l’intermédiaire des vêtements.

Pour que ce Moi-peau se trans­forme en Moi psy­chique, l’accompagnement doit rem­plir deux fonctions :
• celle de conte­nir les mou­ve­ments pul­sion­nels du bébé qui vient de naître, de la femme qui accouche ; C’est-à-dire que le conte­nant (la mère, le thé­ra­peute, le sub­sti­tut mater­nel) stable, doit s’offrir dans un pre­mier temps en récep­tacle pas­sif au dépôt des « sensations-émotions-images », du bébé, de la femme qui accouche. Ces sensations-émotions-images sont ain­si neu­tra­li­sées sans être détruites. Le conte­nant doit donc per­mettre l’expression émotionnelle.
• la deuxième fonc­tion cor­res­pond à l’aspect actif de trans­for­ma­tion des sensations-émotions-images qui doivent être res­ti­tuées au bébé, à la femme qui accouche, en repré­sen­ta­tions éla­bo­rées ren­dues ain­si tolé­rables et uti­li­sables pour consti­tuer des pen­sées, pour qu’il y ait nais­sance psychique

S’il y a carence d’une des deux fonc­tions de l’accompagnement, dif­fé­rentes formes d’angoisse peuvent appa­raître : l’angoisse de mort, l’angoisse de mor­cel­le­ment, d’anéantissement avec dif­fé­rentes consé­quences psy­cho­lo­giques graves

Et la femme qui accouche, si elle n’est pas suf­fi­sam­ment bien accom­pa­gnée va chercher
• à étan­cher l’hémorragie psy­chique, à détour­ner ses conflits et émois archaïques
• en obs­truant la bles­sure, et ce, en fai­sant de la péri­du­rale une uti­li­sa­tion pathologique.

Avant de conclure, je vou­drais par­ler de l’empreinte de la nais­sance. Au cours d’une séance de relaxa­tion, une per­sonne a revé­cu cer­tains moments de sa nais­sance ; pour l’avoir obser­vée et enten­due après son expé­rience, je peux affir­mer que les contrac­tions, leurs rythmes deviennent un sou­ve­nir. Voi­ci un extrait de son témoignage :

« J’ai notam­ment revé­cu le der­nier ins­tant de l’expulsion : j’ai sen­ti l’ouverture du vagin sur tout le cuir che­ve­lu, ça s’ouvrait dou­ce­ment, jusqu’au moment où j’ai sen­ti que ma tête était sor­tie ; tout de suite après, c’était une chute sou­daine, sans fin, avec une angoisse ori­gi­naire, une angoisse d’anéantissement ; puis tout a bas­cu­lé, je me suis sen­tie tenue par les pieds, la tête en bas. »

Cette jeune femme qui a bien vou­lu par­ta­ger son expé­rience de relaxa­tion nous a par­lé un peu plus lon­gue­ment de sa naissance :

« Pour ma nais­sance, une des dif­fi­cul­tés a été à la fin du tra­vail de dila­ta­tion. Je ne m’engageais pas. Comme m’a dit ma mère, « tu n’as vrai­ment rien fait pour m’aider ! » et c’est une sage-femme, debout sur un tabou­ret, qui a appuyé de tout son poids sur le ventre de ma mère pour m’engager dans le tra­vail d’expulsion. »

C’est ce qui va for­mer la « réac­tion pro­to­ty­pique » d’Arthur Janov. En effet,
• com­ment, quand un enfant ne par­ti­cipe pas au choix pri­mor­dial “d’entrer dans la vie”, peut-il prendre des déci­sions impor­tantes dans sa vie d’adulte sans avoir ce besoin constant d’être poussé ?
• com­ment un adulte peut-il por­ter un réel inté­rêt à la vie quand il n’a pas choi­si lui-même de naître ?
• quels sens les contacts phy­siques peuvent-ils avoir lorsque ces pre­miers contacts ont été un poids écra­sant d’adulte sur soi ?

Cette empreinte de la nais­sance et la réac­tion pro­to­ty­pique expliquent :
• la dif­fé­rence de com­por­te­ments chez les femmes qui accouchent, cer­taines deman­de­ront plus vite la péri­du­rale : en effet, plus grande est la valeur de charge de la souf­france pré­coce, moins forts doivent être les sti­mu­li externes qui la déclenchent.
• la dif­fé­rence de com­por­te­ments au sein d’une équipe médi­cale. Dans les accom­pa­gne­ments que j’ai pu réa­li­ser, j’ai réel­le­ment consta­té une dif­fé­rence impor­tante au niveau des sages-femmes vis à vis de la femme qui accouche, qui souffre, qui crie, qui bouge, qui pleure, qui pose des ques­tions, qui refuse de res­ter sur la table, qui refuse de gar­der le monitoring

En effet, cer­taines sages-femmes se sentent débor­dées par les émo­tions de celle qui accouche. Et mon tra­vail, depuis plu­sieurs années en thé­ra­pie émo­tion­nelle, et plus récem­ment en thé­ra­pie holo­tro­pique, m’a per­mis de me sen­tir réel­le­ment à l’aise face au vécu émo­tion­nel des femmes que j’ai accom­pa­gnées. Je me suis sen­tie libre par rap­port à ma propre nais­sance, et donc tota­le­ment dis­po­nible pour la femme qui accouchait.

En conclu­sion,

- Étant don­nées toutes les influences subies qui consti­tuent le réper­toire des com­por­te­ments accep­tés dans notre socié­té , l’isolement dû à la famille nucléaire, le mater­nage dis­tal, le dés­in­ves­tis­se­ment pro­gres­sif du corps

- Étant don­née l’importance de l’empreinte de la nais­sance et de la réac­tion pro­to­ty­pique, la néces­si­té du bon dérou­le­ment de la nais­sance psy­chique de la nou­velle mère et de l’expression de sa souffrance,

il me paraît indis­pen­sable que :

• l’accompagnement soit pro­po­sé de façon sys­té­ma­tique afin de limi­ter l’utilisation de la péridurale
• par une femme (sub­sti­tut mater­nel) ayant effec­tué un tra­vail émo­tion­nel et un tra­vail sur sa propre nais­sance pour être tota­le­ment déga­gée de ses propres souf­frances, donc disponible,
• et pour effec­tuer un entre­tien quelques jours plus tard, dans un but de pré­ven­tion, de dépis­tage de pro­blèmes pré­coces mère-enfant,
• et plus sim­ple­ment pour mettre des mots sur le vécu de l’accouchement, aider à inté­grer le nou­veau rôle de mère, répondre à son besoin de recon­nais­sance et de reva­lo­ri­sa­tion nar­cis­sique à un moment où elle est par­fois délais­sée au pro­fit du nouveau-né.


< Précédent

Suivant >
 
   
 
 
  LE CIANE Ville de Chateauroux Conseil général de l'indre Région Centre Mutualite de l'indre