Doulas |
Les Dossiers de l’Obstétrique, avril 2006, n°348
(En réponse à l’éditorial des DO de janvier 2006, n°345)
Parce qu’elles sont heureuses d’être femmes, qu’elles ont ressenti une profonde satisfaction à mettre leurs enfants au monde, parce qu’elles sont émerveillées de les voir grandir à leurs cotés et de grandir avec eux, parce qu’elles souhaitent mettre leur expérience à profit, de nombreuses femmes deviennent doulas. Elles prennent pour cela les dispositions nécessaires et suivent des formations qui visent à leur faire prendre de la distance par rapport au contexte social, historique et culturel et par rapport à leurs vécus personnels.Une doula est simplement une femme, une mère. Son expérience est avant tout celle d’être parent, comme les parents qu’elle accompagne. Elle propose aux deux parents de les recevoir : la mère mais également le père, pour accompagner la naissance mais aussi le devenir parent. Elle se rend disponible dans la continuité, à leur demande. Elle croit en l’unicité, la créativité, et les compétences de chacun. Elle a à l’esprit la dimension sacrée de la naissance : elle invite à la liberté de l’appropriation de ce moment unique. Par le toucher, le mouvement, la voix, le chant, dans la joie du donner et du recevoir, dans l’acceptation de ce qui est et de ce qui peut advenir. Femme au foyer ou professionnelle, sa fonction est avant tout d’honorer les espaces qui ne le sont pas dans l’environnement des parents, en un temps et un lieu donnés, à la demande des personnes qu’elle accompagne. Elle travaille en réseau avec des collectifs et associations d’usagers et de professionnels, au niveau local, national et international. Elle offre une écoute, et offre une documentation variée, permettant aux personnes de faire des choix en conscience.
Du point de vue des parents, la naissance est un moment charnière de leur vie, un temps de questionnement : valeurs et transmission, sens de l’existence, don et accompagnement de la vie, un temps de réaménagement de l’existence, matériel autant que psychique. Le besoin des parents d’être accompagnés lors d’une naissance se légitime par le simple fait qu’ils en émettent la demande. N’est-ce pas un moment auquel on devrait pouvoir choisir d’être accompagné par qui et comme on le souhaite, dans la limite du possible ? Une doula a conscience des interrelations multiples dans lesquelles se situe tout être : elle crée des passerelles entre le temps de la naissance et le reste de l’existence, entre les engagements citoyens en faveur d’une naissance heureuse et les engagements citoyens en faveur d’une remise en question globale des valeurs de nos sociétés occidentales contemporaines. Elle invite à prendre le temps de réfléchir et de faire des choix, compte tenu du contexte social, politique et économique local et mondial. Il n’est en effet plus question d’ignorer aujourd’hui les enjeux planétaires de nos existences et la nécessaire prise de conscience globale des interrelations qui nous unissent chacun, entre humains, mais qui nous unissent également au vivant et à la planète dans leur ensemble. Politique et économie mondiales sont le reflet grossi de nos habitudes journalières. Notre manière de donner naissance à nos enfants, mais également de manger, de nous loger, de pourvenir aux besoins de nos familles, participent d’un même avenir. Et nous rejoignons Doris Nadel évoquant la dimension sacrée de la naissance : c’est une certaine forme de spiritualité qui peut faire le lien entre nos divers engagements. La volonté de ne pas nuire prend place dans une écologie globale : l’environnement est concerné, tout autant que nos modes de relation à autrui. Les êtres humains ont certes besoin de nourriture et de chaleur, mais surtout de relations bienveillantes avec leurs semblables, de se sentir reliés à une communauté humaine (ancrage que n’offre pas toujours le groupe de référence, la famille ou les divers professionnels amenés à intervenir auprès des parents), de se sentir compétents, capables, bons suffisamment, valorisés dans leur rôle de parents et de citoyens. Faire de la naissance un projet particulier, c’est réaliser que l’on en est acteur, tout comme de sa société, de sa culture. C’est oser remettre en question un certain ordre des choses, et prendre du recul sur ses acquis, son expérience de la famille, de l’école, de la société en général. C’est apprendre à se positionner face aux institutions, face à tous les prêts-à-penser, prêts-à-consommer. Car les valeurs dominantes des sociétés, relayées par les institutions, dont le système de soin fait partie, agies par des rituels qui nous échappent, ne sont pas toujours celles que nous souhaitons vivre et transmettre à nos enfants. (Dont la méconsidération du féminin, dont sont victimes femmes, parents, enfants et leur défenseurs, dont les sage-femmes…) Les professionnels de la naissance pourraient donc se poser cette question : faut-il continuer à travailler d’une manière que l’on sait ne pas correspondre aux besoins, aux intérêts des personnes, des femmes, des bébés, ou trouver des alternatives à la perpétuation d’un système inadéquat ? La soumission librement consentie à un certain ordre culturel véhiculé par le langage, les non-dits, la gestuelle, l’organisation des services, les protocoles… reste une soumission. Les parents qui viennent donner naissance n’y sont pour rien. En tant que parents. La société est pour autant tout entière responsable. Donnons-nous donc les moyens qu’un véritable débat citoyen émerge. Les professionnels de la naissance ne peuvent avancer sans le soutien des parents et réciproquement : chacun doit se mettre à l’écoute de l’autre, oser engager un dialogue franc, malgré le risque évident d’avoir à se remettre durement en question : il n’y a pas d’évolution sans abandon, de naissance sans deuil. Les sage-femmes sont dépositaires du savoir relatif à la vie et à la santé des femmes, tant qu’elles savent rester reliées à la confiance du corps qui sait, à cette spécificité qu’est le soin aux bien portantes, leur accompagnement. Les femmes et doulas leur font confiance, les respectent, les soutiennent et les soutiendront toujours, parce qu’elles ont aussi besoins d’elles pour la naissance de leurs enfants. Que les femmes de toutes les générations se rencontrent, se parlent, se rendent compte qu’elles ne sont pas seules à vivre ce qu’elles vivent, créent des occasions d’échanges, de partages d’expériences, se souviennent et comprennent : voilà ce dont elles ont besoin. Que des rituels nouveaux émergent, fidèles à leurs valeurs, non seulement pour la naissance de leurs enfants, mais à tous les âges de leurs vies. Que chacune soit accompagnée vers une connaissance approfondie de soi, de la naissance à la mort, vers la pleine possession de ses moyens et dans l’acceptation de ses limites. Et que les hommes fassent de même s’ils en ressentent le besoin. Les doulas ne font que réorganiser à leur niveau ce qui n’aurait jamais du disparaître : la solidarité entre femmes, et plus généralement entre les personnes, tous âges et sexes confondus. Fleur MATHET-JOLLY
Femme, mère, amante, et fille. (Tiré du titre de l’ouvrage de Jacqueline Schaeffer, Clefs pour le féminin) Responsable de La Grande Ourse – Naissances et Parentalités. Cette association propose un accompagnement personnalisé autour de la naissance, des rencontres sur la naissance et la vie en famille, des ateliers de portage et de massage bébé ainsi que des ateliers pratiques de couture (fabrication de porte-bébé, de couches, de coussins) de création de comptines, de jardinage et de cuisine… Elle propose en outre la mise en place de groupes de parole, des formations au portage des bébés, ainsi que des conférences et ateliers sur différents thèmes. Un large fond documentaire est à la disposition des adhérents. Références :
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