Une approche démocratique |
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Depuis les années 70, les plans périnatalité se sont succédés en France et ont permis de faire diminuer de manière notable la mortalité et la morbidité fœtale et maternelle. Ces dernières années en particulier, un effort important a été accompli sur les transferts in utero de manière à ce que les bébés prématurés ou de faible poids naissent dans les établissements dotés de tous les moyens médicaux et techniques appropriés (réanimation néonatale, néonatologie).
Cependant, malgré d’indéniables progrès, la situation générale est loin d’être satisfaisante, de l’avis des professionnels comme des usagers.
Les politiques décrites précédemment se sont traduites par deux grandes évolutions : une médicalisation très importante et la réduction drastique du nombre de maternités. La médicalisation s’étend à tout le processus de la maternité : multiplication des examens en routine durant la grossesse, travail « dirigé » à l’aide d’hormones de synthèse, monitoring en continu durant l’accouchement, gestes invasifs pratiqués dès la naissance, augmentation continue du pourcentage de césariennes qui avoisine les 20%, persistance de l’épisiotomie (plus de 70% pour un premier bébé en 1998)… Ces pratiques médicales – dont l’efficacité n’est pas toujours établie par la littérature internationale, bien au contraire – peuvent des effets iatrogènes graves, trop souvent ignorés. Elles ont aussi des effets sur les femmes, les enfants et les familles : trop de femmes sortent physiquement et psychologiquement meurtries de leur accouchement – l’épisiotomie est le prototype du geste complètement remis en cause par la médecine des preuves, et qui a des conséquences importantes, parfois dramatiques, sur le bien-être de la mère pendant des semaines voire des mois après la naissance. La place sans cesse accrue de la médecine dans ces processus a d’autres effets pervers : les parents se sentent peu sûrs d’eux, voire incompétents ; ils sont conduits à s’en remettre aux professionnels et perdent confiance dans leurs capacités. L’établissement de la relation parents/enfants, déjà potentiellement perturbée par les séparations précoces en salle de naissance, en est handicapé. Cette situation d’hyperprésence professionnelle contraste avec l’abandon qui caractérise le retour à domicile, et le peu d’attention qui est portée à la dépression post-partum (qui toucherait plus de 10% des femmes). Or, un certain nombre de travaux insistent sur l’importance de ces premiers jours de vie commune dans l’établissement du lien parents/enfants et la prévention de la maltraitance. Ce positionnement des professionnels du côté de l’omniscience et de l’omnipotence a aussi pour effet que les parents tolèrent de moins en moins les échecs, et ce, d’autant que leurs demandes d’explication sont souvent accueillies par le silence, voire le mépris. En conséquence, la judiciarisation des relations soignants/ soignés se développe et a des effets délétères tant sur le plan humain que sur le plan économique : le mouvement de protestation des obstétriciens de l’été 2006 en est un exemple flagrant. Parallèlement à la médicalisation, on a assisté à la fermeture d’un nombre important de maternités (815 maternités en 1997, 653 en 2002, 611 en 2004) au motif que leur petite taille ne permettait pas d’assurer la sécurité des naissances. Aujourd’hui ce mouvement, qui rend difficile de garantir proximité et continuité des soins pour des personnes en milieu rural, se poursuit pour des raisons ouvertement économiques. Partie prenante des dispositifs censés permettre la maîtrise des dépenses de santé, la tarification à l’acte est de l’avis même des professionnels un système pervers : pour assurer leur rentabilité et donc échapper à la fermeture, les maternités de niveau I, qui reçoivent les naissances sans complication, ont intérêt à « faire des gestes », donc à médicaliser des accouchements parfaitement nromaux, et en conséquence à prendre le risque d’une iatrogénicité accrue sans même parler des effets sur les familes évoqués plus haut. Par ailleurs, le choix pour les parents qui, dans les autres pays européens, s’est ouvert vers les maisons de naissance, l’accouchement à domicile, est cadenassé par les modes de rémunération des professionnels et des établissements… alors même que cette diversité de pratiques pourrait être un élément contribuant à la réduction des dépenses de santé. On ne pourra sortir de ces impasses qu’à la condition que le dialogue entre professionnels, décideurs et usagers se développe et permette d’élaborer des solutions acceptées par tous. Les dispositions de la loi de mars 2002 relative aux droits des malades ont permis que, progressivement, les usagers s’introduisent dans les instances qui permettent de réfléchir sur l’avenir du système de santé. Les Etats Généraux de la Naissance qui sont organisés à Chateauroux du 22 au 24 septembre 2006 sont une autre occasion, voulue par les usagers, de réfléchir ensemble à un niveau plus global. De premiers Etats Généraux avaient eu lieu à Paris en 2003 à l’initiative du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) ; à cette occasion, le CIANE (Collectif Interassociatif Autour de la NaissancE, http://ciane.net/) avait été formé (il compte aujourd’hui 132 associations membres). C’est le CIANE, fort de l’expertise accumulée en trois ans de participation à de nombreuses instances (Haute Autorité de la Santé, Mission sur la périnatalité, comités de projets au ministère de la santé, Commission Nationale de la Naissance etc.) qui a décidé d’organiser cette deuxième édition des Etats Généraux de la Naissance. Cette manifestation qui va rassembler environ 380 personnes, dont la moitié de professionnels de la périnatalité, présente un certain nombre de caractéristiques originales par rapport à l’édition 2003 des EGN, et plus généralement par rapport aux événements de ce type organisés jusqu’à présent. Il s’est agi de traduire les impératifs de la démocratie sanitaire en actes et d’ouvrir l’espace des débats le plus largement possible. Cette manifestation sera structurée autour de deux grands axes :
Dans tous les cas, ont été mis en place sur le site des EGN des dispositifs interactifs permettant à tous de réagir et d’influer sur l’organisation : résumé du thème, listes ouvertes d’intervenants, documents et liens en « ressources », forum ouvert à tout public, adresse de contact, etc. Les ateliers comprendront une première partie d’interventions courtes, synthétisant les documents mis à disposition, et une seconde partie de discussion générale qui doit déboucher sur des propositions concrètes. Toutes les organisations professionnelles ont été conviées à prendre une part active dans l’organisation et le déroulement de ces EGN. Les dirigeants de certaines d’entre elles, manifestement déroutés par ce mode de fonctionnement qui les dépossède en partie de la maîtrise des événements, ont choisi, dix jours avant l’événement, d’annoncer leur refus de participer. Ceci étant, le nombre important de professionnels de la périnatalité inscrits permet de garder confiance dans la dynamique lancée par cet événement, et l’avenir de la démocratie sanitaire. |
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