La place du père pen­dant la grossesse

Entre­tien de Carine PHUNG avec Michel ODENT, chi­rur­gien et obs­té­tri­cien, expert auprès de l’OMS et fon­da­teur du Pri­mal Health Research Centre

- Dans votre livre Le fer­mier et l’accoucheur, vous expli­quez que l’im­pli­ca­tion du père dans la nais­sance de l’en­fant est récente, que c’est un phé­no­mène notam­ment lié à la mul­ti­pli­ca­tion des nais­sances à l’hô­pi­tal. Com­ment expliquez-vous que ce sou­ci de par­ti­ci­pa­tion soit main­te­nant pré­sent chez le père dès la gros­sesse de sa compagne ?

La famille nucléaire est une struc­ture fami­liale d’ap­pa­ri­tion très récente, et propre à notre socié­té. Dans ce contexte nou­veau le père du bébé est habi­tuel­le­ment le seul per­son­nage fami­lier dans la vie quo­ti­dienne d’une femme enceinte et d’une jeune mère. Ain­si pou­vons nous faci­le­ment expli­quer que le père soit, par la force des choses, de plus en plus impli­qué dans le dérou­le­ment de la gros­sesse et qu’il éta­blisse rapi­de­ment des liens plus directs avec le bébé. D’une façon plus géné­rale la spé­ci­fi­ci­té « mam­ma­lienne » des rôles mas­cu­lins et fémi­nins s’est rapi­de­ment estom­pée au cours des der­nières décen­nies. Le rôle de gagne-pain est sou­vent par­ta­gé entre les deux membres de la famille nucléaire. Les soins au bébé le sont aussi.

- Vous mon­trez éga­le­ment que la pré­sence du père lors de l’ac­cou­che­ment peut rendre un accou­che­ment plus facile ou plus dif­fi­cile selon la façon dont le père par­ti­cipe : pensez-vous qu’il puisse avant l’ac­cou­che­ment se pré­pa­rer pour être une aide effi­cace ? Et vous expli­quez qu’il connaît sou­vent ensuite une dépres­sion post-natale plus ou moins cachée : pensez-vous qu’il puisse se pré­pa­rer à la charge émo­tion­nelle qu’il va subir et évi­ter ain­si un trop grand stress pour lui et éven­tuel­le­ment pour le dérou­le­ment har­mo­nieux de la naissance ? 

Avant de poser toutes ces ques­tions propres à notre milieu cultu­rel très spé­cial, il serait pré­fé­rable de prendre pour point de départ les ques­tions pri­mor­diales que l’on a pris l’ha­bi­tude de contourner.
La pre­mière de ces ques­tions est : quels sont les besoins de base des femmes enceintes en géné­ral ? Pour qui­conque a côtoyé des mil­liers de femmes enceintes, il est évident que les femmes enceintes sont avides de com­mu­ni­ca­tion avec d’autres femmes, par­ti­cu­liè­re­ment d’autres femmes enceintes. Dans notre socié­té, la meilleure façon d’ai­der les femmes enceintes, c’est de faci­li­ter des ren­contres. A la mater­ni­té de l’hô­pi­tal de Pithi­viers les femmes enceintes se réunis­saient autre­fois le mar­di soir autour du pia­no pour chan­ter. C’é­tait une mer­veilleuse occa­sion d’échange. Que ce soit pour chan­ter, pour nager, pour faire du yoga ou pour tri­co­ter, l’im­por­tant est d’abord de satis­faire ce besoin uni­ver­sel. Lorsque les besoins de base de la femme enceinte sont satis­faits cela aide indi­rec­te­ment le père.
La deuxième ques­tion est : quels sont les besoins de base de la femme qui accouche ? La phy­sio­lo­gie nous aide à com­prendre qu’une femme ne peut accou­cher par elle-même que si elle ne secrète pas trop d’adrénaline et si son néo­cor­tex (le cer­veau de l’intellect) par­vient à se mettre au repos. En d’autres termes la femme qui accouche a besoin de se sen­tir en sécu­ri­té, sans se sen­tir obser­vée et jugée. Il devrait être facile de com­prendre que la proxi­mi­té d’une femme qui a elle-même mis au monde des bébés risque beau­coup moins d’inhiber les pro­ces­sus phy­sio­lo­giques que la par­ti­ci­pa­tion d’un homme qui n’est pas en mesure de com­prendre ce qui se passe. Lorsqu’un homme aime sa femme, il est nor­mal qu’il soit anxieux pen­dant l’accouchement. Il est nor­mal qu’il secrète de l’adrénaline. Rien n’est plus conta­gieux qu’une sécré­tion d’adrénaline. On ne peut plus aujourd’hui évo­quer les doc­trines rela­tives à la par­ti­ci­pa­tion du père sans évo­quer le « phé­no­mène dou­la ». Dans des pays comme la Grande Bre­tagne, de plus en plus de femmes recherchent aujourd’hui la proxi­mi­té d’une vraie figure mater­nelle, d’une « femme sage » (une dou­la) dans la période qui entoure la nais­sance. Le phé­no­mène dou­la appa­raît comme une occa­sion inat­ten­due de redé­cou­vrir le rôle spé­ci­fique de la sage-femme et sa rai­son d’être ori­gi­nelle. Il s’agit là de consi­dé­ra­tions impor­tantes dans un pays où il n’y aura plus bien­tôt que des « méde­cins à com­pé­tence limi­tée » (que l’on conti­nue­ra à appe­ler sages-femmes). A une époque où il est très rare de ren­con­trer des femmes qui ont mis au monde leur bébé (et le pla­cen­ta) sans aucune inter­ven­tion médi­cale, nous devons oser remettre en cause les doc­trines et effon­drer les limites de la cor­rec­tion politique.

Cette article est offert en avant-première par le maga­zine paren­tal Gran­dir Autre­ment qui paraî­tra en sep­tembre 2006.


< Précédent

Suivant >
 
   
 
 
  LE CIANE Ville de Chateauroux Conseil général de l'indre Région Centre Mutualite de l'indre