Lettre ouverte à Madame la Gynécologue, |
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Madame, Il y a 33 mois, une vie naissait en moi. Dès les premiers instants, j’ai voulu comme on me l’avait bien appris, me faire « prendre en charge au plus tôt ». Dans la ville où j’habite vous avez bonne réputation et on dit de vous que vous avez de grandes compétences en matière obstétricale. C’est avec toute ma confiance et ma naïveté que je me suis remise entre vos mains un mois d’août 2003. Avec mon conjoint, nous avons franchi le seuil de votre cabinet où vous nous avez reçus. Vous m’avez questionnée sur la raison de ma visite. C’est avec beaucoup de fierté et d’enthousiasme que je vous ai répondu « je crois que je suis enceinte ». Vous vouliez vérifier tout ça et avez pris votre disque, avez calculé une éventuelle date présumée d’accouchement et m’avez regardée avec stupeur comme un enfant qui ment en me disant : « Mais enfin, comment savez vous que vous êtes enceinte alors que vous n’avez même pas encore de retard de règles ? » Vous m’avez fait une échographie. J’ai vu un rond tout blanc et vous m’avez dit : « Il n’y a rien, revenez quand vous aurez un retard d’au moins 10 jours car là on pourra parler de grossesse d’un point de vue médical… » Nous sommes ressortis de votre cabinet avec beaucoup de déception et sans réponses à nos questions. Mon conjoint m’a directement fait remarquer votre manque total d’empathie et de chaleur humaine. Ma grossesse m’avait rendue vulnérable et influençable, je ne m’étais pas rendue compte à quel point. J’ai dit à mon conjoint : « On va pas rester sur l’impression de cette seule visite, Madame la Gynécologue prend ses précautions au cas où… » Je trouvais des excuses pour poursuivre avec vous dans cette grossesse car à cette époque, je croyais en l’obstétrique et surtout je la voyais comme indispensable au bon déroulement de tout accouchement. Nous avons donc poursuivi au fil des mois les rendez-vous mensuels dans votre cabinet. Lors de la découverte de ma non-immunité à la rubéole vous m’avez réprimandée, m’avez mise en garde sur les risques et vous m’avez terrifiée. Cette fois là, je suis sortie bouleversée, envahie par de la colère contre ma mère qui ne voulait pas me faire vacciner enfant, et pleine de culpabilité à mon égard de n’avoir pas su que je n’étais pas immunisée. Désormais, pour ma punition, je vivais cette grossesse dans la peur, la crainte et l’obsession qu’à tout moment je pouvais contracter la rubéole lorsque je voyais des enfants. Les visites se suivirent et se ressemblèrent. On arrivait, prise de sang avec l’infirmière, prise de ma tension, déshabillée, pesée, décubitus dorsal et pieds dans les étriers, toucher vaginal (col long et fermé) et échographie d’une vingtaine de secondes, rhabillage, règlement de visite et merci/au revoir et au mois prochain. Lorsque je vous posais des questions, vous coupiez court rapidement avec un oui/non, vous disiez que j’étais trop stressée, que je me posais trop de questions… Peut-être est-ce cela finalement qui vous dérangeait le plus ? Vous me donniez le sentiment que j’étais une récalcitrante. Vous m’infantilisiez sans cesse, vous aviez pris la position de celui qui sait. Vous aviez pris votre rôle en l’associant au pouvoir. Vote diplôme, votre réputation, votre agenda de ministre, et sûrement votre manque d’humanité envers vos patientes vous ont sans doute poussée à n’être plus qu’un gynécologue obstétricien, même plus une femme, une maîtresse, une amie, une confidente, une mère… juste un diplôme dans un cadre en bois, tamponné « Approuvé pour Accoucher (sic) dans notre société ». Lors du 6e mois de grossesse, nous avons voulu faire une reconnaissance anticipée de maternité auprès de notre commune. Seulement, il nous manquait un papier attestant que j’étais bien arrivée à 6 mois de grossesse révolus et votre signature. Je vous ai contactée et vous m’avez envoyer gentiment balader me prétextant que ça pouvait attendre le mois prochain. J’ai été très choquée par votre attitude et blessée par votre réaction. J’ai voulu ne plus poursuivre avec vous, je me suis interrogée sur la suite des événements, j’ai douté mais j’ai eu peur. Peur d’interrompre ce suivi, peur que personne ne veuille prendre en cours une grossesse avancée, peur parce que j’allais enfanter pour la première fois… Alors j’ai continué en vous pensant à mes côtés. Ensuite, le dernier mois est arrivé. Vous m’avez dit que vous partiriez en vacances peu de temps avant ma date présumée d’accouchement calculée minutieusement par votre disque (29 avril 04). Pourtant, je vous avais dit que mon bébé avait été conçu le 01 août et qu’il naîtrait aux alentours du 24 avril. Mais les mesures de votre appareil échographique savaient mieux que moi, que nous, comme toujours. J’ai accouché le lendemain de votre retour de vacances. C’était il y a deux ans, par un doux et agréable dimanche d’avril que je me suis rendue où vous accompagnez quotidiennement des mamans dans ce moment si crucial qu’est de donner la vie à son enfant. Une fois de plus, j’avais cru très naïvement que vous seriez là durant le travail, ça me paraissait tellement évident. Lorsque j’ai compris au bout de plusieurs heures de travail que vous ne viendriez qu’à la fin, je vous en ai une fois de plus voulu. Comme un enfant qui croit au père Noël, je me suis sentie trahie, abandonné avec mes peurs, mes doutes et ma douleur. Je suis donc restée de longues heures durant gémissant, mon homme à mes côtés, m’épongeant, me gratifiant de mes efforts, sans cesse m’encourageant dans ce marathon, cet ouragan hormonal qu’est l’accouchement. Soudainement, une irrépressible envie de pousser est arrivée lors d’une contraction, ce que j’ai signalé… On m’a dit que vous terminiez votre café et que vous alliez arriver qu’en attendant je ne devais pas pousser. Mais ce fut plus fort que moi alors j’ai poussé comme mon corps indomptable me le faisait savoir et je l’ai accompagné contre la volonté de votre personnel. Vous êtes arrivée en vous écriant, comme si on vous aviez été bousculée dans votre planning : « Qu’est ce qu’il se passe ici ? ». Vous m’avez fait un toucher vaginal habillée en civil et quelques minutes plus tard, vous étiez toute vêtue de vert (masque, bonnet, gant, pantalon…). Si je ne connaissais pas votre regard, je ne vous aurais sans doute pas reconnue. À partir de là, vous avez définitivement ôté toute humanité dans chacun des gestes que vous avez posés sur mon corps et celui de mon bébé… Alors que je savais parfaitement lors de chacune de mes contractions à quel moment je devais pousser, vous m’avez dirigée, encouragée à pousser, et enfin coupée dans ma chair soit par facilité pour vous, soit par habitude, je ne sais pas ? Par toutes vos paroles, vous avez détruit la confiance en moi à enfanter seule. Une fois la tête sortie, vous avez pratiqué à la lettre et de façon rigoureuse le protocole bien connu de votre service. Enfin, pour je ne sais quelle raison encore, vous avez vous-même pratiqué, sans même laisser la moindre chance à mon corps de l’expulser seule, une délivrance manuelle. J’ai eu l’impression que vous m’arrachiez les viscères ! La cerise sur la gâteau c’est lorsque vous m’avez regardée avec votre sourire condescendant et m’avez dit : « La prochaine fois, Madame D., faites du yoga, ça évitera le ralentissement de votre accouchement » et vous m’avez piqué à vif le premier point qui allait refermer la mutilation dont je venais d’être victime, comme la plupart des femmes primipares qui enfantent dans votre établissement. Je vous ai demandé de m’anesthésier et vous m’avez dit : « Mais il n’y en a pas pour longtemps ». J’ai serré les dents et j’ai enfoui cette douleur durant des mois dans mon sexe qui lors de chaque étreinte sexuelle m’a rappelé durant des mois combien enfanter avec Madame la Gynécologue devait faire mal. J’ai quitté votre établissement, convaincue que vous m’aviez si bien aidé à mettre mon bébé au monde, que vous aviez fait tout ce qu’il fallait. Je vous ai même offert un ballotin de pralines à vous et votre équipe. Je suis rentrée chez moi et, des jours durant, cette épisiotomie m’a fait mal physiquement. Lorsque j’allais à selles, je n’osais pas pousser tellement je sentais que ça ne tenait pas… En effet, un point avait sauté (celui de la fourchette). Et ensuite la douleur physique a laissé place à la douleur morale des mois durant. Aujourd’hui, Je tenais à vous dire, Madame la Gynécologue, que je ne fais plus partie du troupeau de moutons endoctriné par votre meute. D’une certaine manière, vous m’avez rendu service en me poussant à la réflexion. Aujourd’hui, je ne suis plus ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Je suis enfin Moi. Catherine |