L‘enfant maltraité : un Naissant qui s‘obstine à naître |
Claude-Émile TOURNÉ In Naissance et Société, 5, Naissance et maltraitance Actes du Colloque “Évaluation des pratiques médicales autour de la naissance”, 12 juin 1998 Nous sommes réunis aujourd’hui pour un colloque, troisième d’une série : sous le titre général d’“Évaluation des Pratiques Médicales autour de la Naissance”, nous avons depuis 3 ans essayé de nous interroger sur ce qu’il en est des pratiques médicales autour de la Naissance en tant qu’intervention de la Société sur le phénomène de venue au monde d’un de ses membres. Le cadre général de ces colloques est en effet le Diplôme d’Université Naissance et Société. Né il y a 9 ans de la volonté de réfléchir sur les interactions du phénomène Naissance et du phénomène Société, cet enseignement nous a conduit à élargir la vision que nous pouvions avoir de la naissance. En même temps, il nous a permis de préciser avec de plus en plus de rigueur ce qui dans la Naissance ressortit à la nature de l’Homme et ce qui est de fait dépendant des conditions socioculturelles du lieu et du moment où chacune d’entre elles se produit. Le présupposé de départ était le suivant : Cette pétition de principe nous a conduit à demander leur intervention à des spécialistes de domaines aussi divers que la philosophie, la littérature, la démographie, l’archéologie, la psychologie, l’économie, l’histoire de l’art etc. Dans le même temps, un espoir qui était le nôtre devait constituer un retour pour les intervenants qui accepteraient de participer, et c’était la deuxième proposition de notre présupposé : Les deux propositions ont, de façon complémentaire, montré leur pertinence et leur efficacité. La Naissance a révélé grâce à ce travail des facettes aussi nombreuses qu’insoupçonnées. Et les enseignants et chercheurs qui se sont joints à nous en ont, chacun pour lui, trouvé des applications et des voies de recherche. Ce corpus nouveau a permis, au fur et à mesure que passait le temps et que s’accumulaient les notions nouvelles, d’envisager certains aspects de la Naissance habituellement considérés comme dévolus exclusivement au corps social des soignants avec des outils d’analyse plus performants. En même temps il apparaissait que les pratiques sociales exprimées par les soignants, impliquaient de façon directe l’état de la société, sa structure et la manière dont elle donne du sens aux choses et aux gens. C’est ainsi que, frappés par ce qui nous apparaissait comme des dérives, nous avons résolu de nous interroger sur les pratiques médicales autour de la naissance comme manifestation la plus directe de l’intervention de la société. Le premier colloque a cherché à définir les questions qui se posent et chercher les moyens de les poser correctement. Le deuxième colloque a mis en place les responsabilités, les rôles et les statuts des différents intervenants du phénomène Naissance. Il nous a conduit en particulier à commencer à définir une notion nouvelle, celle de Naissant comme acteur principal de cette Naissance à côté de la mère et du père, à côté des soignants et des autres membres de l’espèce, tous concernés, tous plus ou moins acteurs. Des deux premiers colloques il ressortait que le Naissant, individu ignoré dans sa responsabilité et dans son rôle, ne bénéficie donc d’aucun statut ? Pourtant il est au centre du phénomène, constituant sa structure au cours de cette période, structure avec laquelle il devra exprimer par la suite l’ensemble de sa vie. Il est le principal bénéficiaire du processus quand il se déroule de façon satisfaisante. Il en est la principale victime lorsque les choses se passent mal, voire lorsqu’elles ne se passent pas comme on pourrait l’espérer. Lorsque sa structure est mise ainsi à mal, elle donne lieu à tous les développements des sciences périnatales. Mais lorsque c’est de sa place dans la société qu’il s’agit, lorsque son statut de naissant ignoré débouche sur un statut d’enfant refusé et en conséquence maltraité, alors les sciences périnatales se déclarent incompétentes. Les psychiatres d’enfant et les travailleurs sociaux prennent le relais. Progressivement, des chercheurs ont établi que le problème était alors l’établissement du lien entre l’enfant et ses parents. Enfin dans la dernière décennie, JM Delassus a montré qu’il s’agissait du problème d’une maternité psychique de la mère qui n’avait pas abouti à son accomplissement. Mais l’implication de la Naissance, celle du Naissant, celle de celui que cela concerne au premier chef, reste occultée, oubliée ou ignorée. Une espèce d’interdit, de tabou, s emble interdire de s’interroger réellement sur ce qui s’y passe. Et cela est vrai lorsque cela se passe bien : il s’agit alors de quelque chose qui ressemblerait fortement à une grâce et son résultat à un miracle quotidien. Mais c’est encore plus vrai lorsque cela se passe mal : il semble alors impossible de s’interroger vraiment sans encourir les foudres des censeurs que la socioculture pose en chiens de garde autour des valeurs qu’elle entend privilégier. C’est pourtant ce à quoi nous vous convions aujourd’hui avec la question posée par ce colloque : la maltraitance a‑t-elle quelque chose à voir avec la Naissance, et plus particulièrement avec les pratiques médicales qui s’expriment alentour. La première constatation que nous ferons en exergue de notre réflexion, c’est que la société s’occupe de plus en plus de la grossesse, de l’accouchement et de tout ce qui les entoure, et de moins en moins de la Naissance des individus. Le développement des sciences et des techniques a abouti à une amélioration de la sécurité de l’accouchement sans aucune commune mesure avec ce qui se passait il y a seulement une trentaine d’années. La mortalité et la morbidité périnatales ont drastiquement été diminuées. La mortalité et la morbidité maternelles ont quasiment disparu en tant que telles. Pourtant, quand on s’intéresse à un phénomène comme la menace d’accouchement prématuré, les résultats de trente années de recherche, de dépistage, de diagnostic et de traitement sont clairs : en déployant des trésors d’ingénierie, en utilisant des merveilles de technologie, en déversant des tombereaux de médicaments dans les veines et dans les fesses des femmes enceintes, le gain moyen en prolongation d’une grossesse menacée d’accouchement prématuré est de DEUX JOURS. Or cette lutte contre l’accouchement prématuré a été considérée comme la priorité des priorités et son résultat comme le marqueur de l’efficacité des méthodes modernes de la périnatologie. Il faut bien se rendre à l’évidence : l’échec est cinglant. La raison nous paraît être dans l’ignorance voire l’occultation délibérées de la réalité suivante : la Naissance est un phénomène naturel de notre espèce ; par contre la grossesse et l’accouchement sont des phénomènes culturels. C’est vrai dans toutes les cultures. Chaque société humaine imprime aux grossesses et aux accouchements la marque de ses présupposés. L’importance de la naissance comme phénomène central de l’espèce conduit chaque groupe humain à rechercher les voies et les moyens de son optimisation. Mais, c e faisant, il imprime aux processus une marque culturelle. Cette marque sera d’autant plus prégnante que les sciences et les techniques seront plus évoluées. Mais les cultures sont devenues sociocultures. En effet le développement des sociétés humaines s’accompagne du développement du langage comme véhicule de l’information et de la division technique du travail comme moyen d’augmenter l’efficacité et la productivité de cette activité humaine spécifique. Il s’ensuit une structure progressivement de plus en plus désintégrée de la conscience des hommes. Il s’ensuit aussi une organisation sociale fixant une hiérarchie de dominance basée sur l’établissement des rapports de production qui naissent à l’occasion de l’activité spécifique de travail. Il s’ensuit que la soci oculture est l’expression de cette hiérarchie de dominances. L’idéologie dominante qu’elle sécrète et impose est donc l’expression de la pensée, de l’idéologie des dominants. On ne sera donc pas surpris que dans nos systèmes le développement des sciences et des techniques ait conduit, en matière de naissance comme en toute autre matière, à privilégier le côté “rentable” des comportements sociaux qui s’y rapportent, tant en matériel et en organisation. Pendant des millénaires, dans des sociétés où le facteur humain de production était le facteur le plus important, la reproduction était privilégiée. Le sens donné à la reproduction était positif. La production (qui profite aux dominants) apparaissait comme un élément déterminé dans ses possibilités de dévelo ppement par la démographie et donc par la reproduction. Les reproducteurs étaient valorisés. Les gains de productivité, dus au développement des sciences et des techniques ont progressivement fait passer au second plan dans la production les facteurs humains comme forces productives par rapport au capital investi. Il s’en est suivi une dévalorisation du reproducteur qui ne fait que produire, et à long terme encore, du facteur humain, par rapport au producteur qui produit, à court terme, de la plus-value. Citons deux manifestations de cette tendance : l’importation massive de main d’œuvre étrangère dans un temps cède la place à une volonté de la rejeter dès que sa productivité immédiate n’est plus intéressante. Toutes les justifications idéologiques sont alors utilisées jusques et y compris celles qui lui dénient la dignité humaine. Une autre manifestation de la même tendance est la valorisation des comportements “maternels” de nos ministres ou présentatrices télé qui travaillent jusqu’à la veill e de leur accouchement et reprennent le travail le lendemain. Elles sont le porte-parole d’un sens social de la procréation qui dit : moins de temps on y passe et mieux ça vaut. On comprend ainsi que le phénomène NAISSANCE en tant que fait de NATURE soit un obstacle objectif au développement de la GROSSESSE et l’ACCOUCHEMENT comme fait de culture. Il faut donc l’occulter au maximum, seul le fait de culture doit être privilégié. Moins on parlera de la Naissance et mieux cela vaudra. Une des manières les plus efficaces d’utiliser le langage et ses perversions pour aboutir à ce résultat ce sera d’utiliser le mot naissance pour désigner tout et n’importe quoi. Habituellement le mot courant désigne des temps, des moments, le plus souvent l’accouchement, parfois la grossesse. Mais surtout pas la Naissance, période de structuration de l’humain, période où il constitue son être matériel et social. La signification de la Naissance, fait de Nature, est de plus en plus éloignée du sens que lui donne la socioculture. Il est donc indispensable de l’occulter au maximum. Les individus de l’espèce humaine ont la particularité de savoir qu’ils sont mortels, de se savoir mortels. C’est presque une définition. On pourrait ajouter que du coup, surtout et dans le même temps, ils se savent vivants. Ils se regardent vivre, mourir certes, mais naître aussi. Ils deviennent conscients du fait qu’ils sont mortels, donc vivants. Cette prise de conscience est plus vague, moins présente. Elle a beaucoup moins été développée par les p orte-parole autorisés de la socioculture que sont les philosophes et les théologiens. Cela est probablement dû au fait que le vivant, du fait de son organisation qui le pousse à maintenir sa structure coûte que coûte pour assurer sa survie est un rebelle en puissance. Que dire alors du fait qu’il serait né d’autre chose que d’une volonté “transcendante”, que dire du fait qu’il aurait pu être acteur à part entière de sa structuration, qu’il aurait eu sa part de responsabilité dès l’origine dans son advenue dans la société. Le moins possible bien sûr. Car la prise de conscience de cette responsabilité le poserait comme sujet dès l’initiation du processus de Naissance avec toutes conséquences que cela entraînerait pour les autres d’exigence d’en respecter le déroulement. D’où cette conscience pour chacun de nous, impérative du fait de son origine, mais maintenue dans le vague par sa non valorisation systématique, qu’il a été cet acteur central de sa Naissance, ce nouveau venu qui fait sa structure et sa place avec et dans la structure et la place des autres. A cause probablement de ce mode de mémorisation particulière en structure et non en mémoire de la période où chacun de nous a été ce passager du ventre maternel, fruit d’un désir et porteur d’un espoir, mais surtout acteur d’un processus qui l’amènera à venir se confronter pour faire sa place, à l’image que l’on s’est faite de lui. D’où surtout cette conscience du fait que quand on parle de Naissance, chacun entend que l’on parle de sa Naissance à lui. On glose int erminablement sur la mort, et cela est facile car il s’agit nécessairement de la mort des autres, puisque nous sommes des vivants et que la mort est exclusive de la vie. Par contre, quand il entend parler de Naissance chacun entend non moins nécessairement parler de celui qu’il a été, et qui ne peut, sauf à être disqualifié de son autonomie et de sa compétence actuelle, qu’avoir été un acteur authentique et responsable du processus. Alors ou bien on parle vite d’autre chose, ou bien on doit accepter de donner un statut à cet individu au rôle et à la responsabilité évidente : ce statut, c’est celui du Naissant. Seulement voilà, la prise de conscience passe par le reflet. Le reflet, c’est ce qui émerge à la conscience pour le reflet conscient. C’est aussi tout ce qui, de l’environnement et du milieu, “affecte” le système nerveux central. Toute stimulation d’un organe sensoriel aboutira à produire dans les structures nerveuses central es une “perturbation”, un “affect” provoquant la chaîne décodage – réponse. Cet affect né à l’interface de l’individu et du monde par l’intermédiaire des organes sensoriels est une sensation. Les sensations issues de l’intérieur du corps (le milieu intérieur) se comportent de la même façon. Ceci nous amène déjà à concevoir que les phénomènes qui se produisent dans les structures nerveuses et qui viennent affecter le corps physique (le soma) par leurs servomécanismes en retour, se produisent dans un espace différent de l’espace somatique. Cet espace est celui du psychisme. La plupart des sensations restent non conscientes. Mais toutes peuvent devenir conscientes sous la pression de la nécessité adaptatrice ou du choix délibéré. L’impression est un processus différent : il concerne les mêmes affects mais il les traite de façon inconsciente pour en laisser une trace dans les structures nerveuses. Cette trace correspond au codage particulier d’un réseau d’interconnexions neuronales. Elle s’installe dans les structures nerveuses soit de façon labile (c’est la mémoire à court terme), soit de façon durable (c’est la mémoire à long terme). Dans la période de Naissance, l’impression se fait de manière différente. Nous avons défini la Naissance comme la période la vie où l’information-structure de l’individu est ouverte et soumise aux servomécanismes en provenance de l’environnement. Cette période, nous avons proposé de lui trouver un terme au moment où la plupart des études psychologiques et psychanalytiques montrent qu’avant lui il n’y a pas de mémoire. Or d’autres travaux ont montré que des traces mémorielles peuvent être retrouvées chez l’individu de cette période “sans mémoire”. Nous pensons que, si cette période est sans mémoire, c’ est parce que ce qui s’imprime alors le fait sur la structure en formation. Il n’y a pas de mémoire, il n’y a que de la structure. L’impression, à ce stade, participe à la formation de la structure du système nerveux. Le reflet psychique est donc l’activateur, le modem du SNC, ce qui affleure aux surfaces du “conscient” et de l’ “automatique”, c’est ce qui est utilisable et utilisé. En même temps le reflet est instantané, totalement labile. C’est lui qui fait agir, penser, réagir, dans le ici et maintenant. Il peut laisser une trace mémorielle s’il est traité par le mécanisme d’impression. Il est probablement traité systématiquement de cette manière, mais c’est la labilité de l’impression qui commandera sa durée dans les structures nerveuses. L’impression, la trace mémorisée des affects, stockée dans la mémoire ou dans la structure, se comportera comme un affect particulier. Il faudr a qu’elle “affecte”, qu’elle “émerge”c’est-à-dire qu’elle soit reflétée pour pouvoir être utilisée et utilisable. La trace mémorisée des affects constitue pour le sujet un des matériaux avec lesquels il va constituer sa conscience. Pour affleurer à la surface de cette conscience, pour devenir objet de pensée, elle doit subir le même traitement que tout autre affect, sensoriel par exemple. En particulier, le reflet qui s’en formera doit être acceptable sinon il sera traité comme un élément intrus agressif et traité comme tel. Une des conditions de la formation du reflet est donc l’acceptabilité à l’interface. Comme le reflet est par structure composite, et que cette acceptabilité avec ses conséquences va déterminer un des éléments qui le composent, elle va le déterminer complètement. Cela mérite une explication. Le reflet est le résultat d’une série de fonctions conditionnelles (structure de l’affect, sensa tion, transport, etc…). Chacun des maillons de la chaîne transforme radicalement le résultat. Ce qui, au bout de la chaîne, va faire agir ou réagir les structures réflexes ou émerger à la conscience sera un affect composite dont le changement, la transformation voire la simple variation d’un seul élément change radicalement la “valeur”. Le reflet est une image psychique dont le comportement en tant qu’affect sera identique à celui d’une image classique de la réalité telle que chacun peut l’expérimenter à tout instant. Nous sommes en effet dans la loi du tout ou rien par le jeu du saut qualitatif. Les éléments composant le reflet sont chacun composites avec à la base une structure qualitative et un variateur quantitatif dépendant du “ici et maintenant”. Le”tout”constituant le reflet qui se forme sera signifiant d’un aspect de la réalité dans le ”ici et maintenant”. Il sera différent de moment en m oment. L’écoulement du temps fait que le reflet d’une même chose sera en permanence différent, qu’à chaque instant du temps les structures nerveuses seront affectées différemment par la même chose. D’autant qu’en fait la chose change aussi avec le temps. Elle ne parait immuable que sur un laps de temps suffisamment court. Et la vie d’un individu est suffisamment courte pour que les reflets successifs de la même chose apparaissent comme équivalents pour l’observateur. Ses structures nerveuses changent aussi avec leurs éléments de référence, leurs conditions émotionnelles etc. Et leur transformation est suffisamment rapide pour que le sujet puisse percevoir la même chose avec des traces mémorisées consciemment différentes. (Exemples :la taille des mêmes objets n’est pas la même pour un enfant et pour la même personne devenue adulte). Notion d’agression et de réponse à l’agression en matière de reflet Si l’acceptabilité du reflet de l’affect est mauvaise, il se comporte comme un agent agressif auquel l’organisme va répondre suivant les modes habituels de réponse à l’agression, soit la fuite soit la lutte ou réponse agressive. Ce filtre d’acceptabilité ne concerne que la formation du reflet conscient. La fuite consistera en une occultation de l’affect, un refus de le laisser émerger tel quel à la conscience . La lutte ou réponse agressive consistera en une distorsion du reflet qui émerge. C’est ce que le langage courant désigne sous les termes de “refus de regarder la réalité en face”. C’est aussi le mécanisme du refoulement de l’affect mémorisé. En même temps, plus le reflet tel qu’il émerge sera gratifiant, plus il bénéficiera de réenforcement. L’individu vit dans un environnement dont il n’appréhende qu’une partie de la réalité. Elle dépend de ses sens, de leur qualité de réception, de la qualité de décodage de l’information reçue. Le monde est pour lui un ensemble d’“impressions” dont les associations sont infinies dans leurs “possibilités” (théoriquement infinies) mais le nombre des affects possibles est limité (par les sens). Seul change le niveau d’intensité de chacun d’eux et leur répartition dans l’association qui conduit au reflet. Ce reflet est appelé image quand il concerne une chose. L’image est un ensemble d’affects associés : forme, couleur, odeur etc. On réservera le mot “impression” à ce qui s’imprime comme mémoire de l’être : Par comparaison avec ce qu’il est convenu d’appeler l’intelligen ce artificielle, les éléments imprimés en structure correspondront au système de l’ordinateur, les éléments mémorisés à la mémoire, les éléments stockés dans l’inconscient au logiciel. Le système conditionnera tout le fonctionnement de l’ordinateur quelle que soit la taille et le contenu de la mémoire, quelle que soit la diversité et la qualité des logiciels. Ceux-ci devront d’ailleurs lui être ”compatibles”. Les logiciels associés au système conditionneront la forme de stockage et l’utilisation des éléments stockés en mémoire. Mais en tout état de cause, ce qui émerge à la conscience, ce qui apparaît sur l’écran de l’ordinateur, c’est toujours le reflet Le reflet dépend de toute une série d’éléments dont chacun aura une influence déterminante sur le résultat final uti lisable. Il dépendra d’abord de la réalité de la chose reflétée, de ses qualités physiques (taille, poids, température, structure…), chimiques (composition), de son accessibilité… Il dépendra en outre de la qualité de la réception, c’est-à-dire du signal devenu signifiant au sortir des organes récepteurs puis des systèmes transmetteurs et enfin des centres intégrateurs. Il dépendra enfin de la qualité de la reconstruction de l’image c’est-à-dire de sa perception consciente en fonction des modèles expérimentaux ou culturels, en fonction du sens donné à cet affect par la socioculture. Il dépendra surtout in fine de l’acceptabilité de cette image. Car a l’interface sujet-monde, au moment d e laisser pénétrer un affect sous forme de reflet dans les structures nerveuses, l’organisme PSYOCMHAOTIQUE se comportera vis-à-vis de cet affect comme vis-à-vis de toute tentative d’effraction de la réalité extérieure soit dans son entité somatique, soit dans son territoire. L’identification de cet affect comme gratifiant ou agressif sera une mesure systématique comme pour toute situation extérieure. L’affect identifié comme gratifiant sera réenforcé et s’exprimera dans toutes ses qualités positives, y compris si au passage quelques éléments négatifs se perdent en route. L’affect identifié comme agressif fera l’objet d’une réaction de fuite ou de lutte. Mais en tout état de cause cette réaction par rapport à cet affect se mettra en œuvre avant la formation du reflet. Notons immédiatement qu’elle restera donc parfaitement inconsciente. Le reflet est le mode utilisable par les structures nerveuses de l’information-circulante. Au-delà de la période de Naissance, l’information-circulante ne changera plus les caractéristiques de l’information-structure. Elle déterminera, par servomécanisme, les comportements de l’individu organisme total PSYOCMHAOTIQUE. Mais l’Information-circulante n’interviendra en pratique que par l’int ermédiaire de son reflet. L’Information-circulante a une signification (suivant la définition ci-dessus). Elle n’acquiert un sens que sous la forme de son reflet. La société est l’ensemble interactif des individus et de leurs groupes. Les relations sociales dans une société donnée sont le résultat d’une combinatoire “acceptable” par tous les individus qui la compose dans le “Ici et Maintenant” du reflet psychique que chacun a de la réalité. Combinatoire “acceptable” ne signifie pas acceptée. Elle peut, elle est souvent imposée aux individus par les systèmes répressifs plus ou moins apparents et physiquement actifs. En fait l’enseignement, la morale, l’éducation, l’utilisation des mass médias façonne le reflet psychique des individus. Confrontés chacun à ses problèmes de survie immédiate, les individus ne peuvent refléter de la réalité que ce qui s’en pré sente (l’environnement immédiatement accessible à la perception sensible) ou ce qui en est présenté par les moyens de communication, individuel et collectifs. Les média aux mains des dominants du système imposent des représentations de la réalité qui seront à la base de la formation du reflet psychique des individus. La combinatoire des reflets psychiques sera d’autan t plus acceptable que d’une part les reflets psychiques seront plus proches, et que d’autre part la combinatoire “la meilleure” sera proposée parmi les éléments d’information transmises par les médias. Et je soulignerai à ce propos que l’utilisation du mot information pour désigner ce que transmettent les médias et moyens d’éducation n’est ni fortuite ni ironique. Il s’agit bien d’éléments d’information. Il faut simplement ajouter ce qui est habituellement sous-entendu (la composante illocutoire du mot), information du reflet psychique individuel, c’est-à-dire mise en forme, mise sous une forme déterminée, de ce reflet psychique individuel. La combinatoire des reflets psychiques, informés de façon identique, y compris sur ce qui est une “combinatoire acceptable” des reflets psychiques, sera sans grand conteste “acceptable” pour le plus grand nombre. Cette combinatoire résulte dans un reflet social : c’est le sens imposé par la forme ¡ sociale. C’est lui qui rend “acceptable” au bout du compte le mode d’interaction entre les individus et les groupes d’individus. Pour les individus, la mise en place des modèles donne du sens aux affects et permet de les classer comme acceptables ou inacceptables, avouables ou non quand ils s’originent à l’intérieur de l’individu. Ces modèles participeront ainsi tout naturellement à la mise en place et au fonctionnement des filtres d’affects dont nous avons vu qu’ils sont un élément déterminant de la formation du reflet psychique de chacun. Le langage, par sa structure même et son mode de formation dans l’évolution du reflet psychique de l’espèce, fixe et stabilise la signification. Cette signi fication est et reste inconsciente dans le sens où elle est ce qui, dans la réalité des choses qu’elle désigne, préexiste à la conscience que le sujet peut en avoir. Par fonction structurelle, il véhicule cette signification : c’est sa fonction locutoire. Ce que dit le langage, c’est la signification, c’est-à-dire ce qui, de la réalité des choses, est et restera absent de la conscience. Mais il véhicule aussi le sens grâce à sa fonction illocutoire. Plus ou moins des-intégré de sa signification en fonction du degré d’évolution de la société dans laquelle il est utilisé, le sens est ce qui, du langage, apparaîtra à la conscience du sujet. Sa forme d’apparition sera le reflet de la réalité qu’il est censé représenter, reflet qui se forme avec toutes les contingences et avatars que nous en avons précédemment décrits. Travaillant au niveau du langage qui constitue la conscience pra tique de l’individu, la base et le mode de fonctionnement de sa conscience, la mise en forme de ce reflet sera à la base du travail de mise en forme de ce qu’il est convenu d’appeler la pensée de cet individu. Au bout du compte le reflet psychique donnera un sens à la réalité plus ou moins éloigné de sa signification. Dépendant de ses modèles de référence, le sens donné par l’individu est donc très dépendant de la socioculture et l’information est une mise en forme du reflet. L’asymétrie d’information qui donne aux dominants un outil de pouvoir, le fait par l’intermédiaire d’une mise en forme du reflet des individus qui donne du sens à la réalité. Le sens donné par les individus à la réalité dépend donc de la socioculture. Ceci explique l’invraisemblable dérive de la profession obstétricale : dans la dernière période le nombre d’interventions au cours des a ccouchements ne cesse d’augmenter : Car les modèles qu’impose la socioculture prennent des formes de diffusion qui en font aujourd’hui une obligation pour le professionnels. Les conférences de consensus sont des réunions de spécialistes qui font semblant de confronter le points de vue. En fait ces derniers sont soigneusement choisis pour aller tous dans le même sens. De leurs travaux ressort ce que l’on appelle un consensus. Sur un thème donné il donne alors les directives du bien faire. Ceci pourrait n’avoir qu’un intérêt anecdotique si dans le même temps les tribunaux ne jugeaient pas en matière médico-légale sur la base des “données acquises de science”. Ne pas faire ce qui est requis par la socioculture devient alors passible de condamnation judiciaire. Or la Naissance (surgissement d’un être dans un monde fini, limité, dont il va modifier les limites et la structure) c’est d’abord un reflet pour les autres. A côté des mécanismes propres au développement somatique génétiquement programmé la Naissance c’est d’abord l’apparition de l’être en tant que reflet pour les autres : cela se traduit par les notions de La maternité est un état psychique. C’est quelque chose qui se joue dans les structures nerveuses indépendamment des processus biologiques. C’est un phénomène qui va s’apparenter de ce point de vue à la paternité par exemple. Une première question se pose en effet me semble-t-il au moment de parler de maternité : la maternité exige-t-elle un enfant pour se produire ? On sait par exemple que la grossesse dite nerveuse conduit une femme non enceinte a vivre la plupart des symptômes de grossesse. Biologiquement dans ces situations il se produit un blocage de l’activité menstruelle. L’apparition du gros ventre est le produit artificiel de la prise de poids et des intestins dilatés. En fait sur le plan biologique, il se produit un blocage d’une structure nerveuse de commande cherchant à reproduire un “modèle” de type conscient. A l’origine on peut inférer des habitudes de pensée qu’il y aurait le “désir”. Mais le désir de quoi ? Est-ce un désir de maternité ? Cela voudrait dire que la maternité est un état désirable. Peut-on désirer être mère comme on peut désirer être nonne, institutrice ou capitaine des pompiers ? Cela dépend évidemment du modèle de mère que l’on a à sa disposition. Cela dépend de la construction, du mode de structuration de ce modèle. D’emblée nous postulerons qu’il n’y a pas d’être sans mère, au moins biologiquement, donc il n’y a pas d’individu sans modèle de mère. Nécessairement ce modèle est construit en deux ”strates” successives. En structure : pendant toute la période de Naissance l’individu se structure avec cette relation fondamentale à la mère. Trois temps successifs peuvent être décrits :le temps de la symbiose, le temps de la dépendance, le temps de la frustration-autonomisation-ouverture sur le monde. Deux termes de passage séparent les trois temps : La symbiose : c’est le temps de la grossesse. C’est bien une symbiose entre l’organisme maternel ”parasité” et qui accepte le parasitisme et l’organisme fœtal qui se nourrit du maternel. L’organisme maternel conserve sa mobilité, son autonomie motrice dans l’environnement et ses relations avec les autres. Sa vie continue avec deux exigences : manger et boire, le “copuler” étant devenu secondaire. L’organisme fœta l dispose d’une complète autonomie de fonctionnement tout en étant totalement dépendant. Par l’intermédiaire du placenta, il récupère de quoi satisfaire ses besoins fondamentaux. Il transforme, comme tout être vivant, son environnement (maternel) à son profit. Il s’agit bien d’une symbiose puisque l’organisme maternel acquiert des caractéristiques propres à assurer le processus de grossesse puis d’enfantement tandis que l’organisme fœtal profite totalement de la situation. Sa structure se constitue grâce à deux types d’informations : l’information génétique, prédominante à ce moment, et l’information environnementale qui peut, dès ce moment, imposer des modifications au déroulement du programme. Cette période de symbiose est déjà un moment où le reflet du maternel s’inscrit dans les structures nerveuses du fœtus. Les affects qui en proviennent — sonores comme la voix, le cœur, les gargouillis — olfactifs et gustatifs par les modi fications chimiques de l’environnement fœtal — proprioceptifs par les modifications adaptatives aux variations de l’homéostasie maternelle — se reflètent en structure dans le système nerveux du bébé, par interférence avec le programme génétique de développement À ce stade, la mère imprime la marque cosmique d’un tout environnant. Elle est le monde dans sa totalité puisque le monde n’affecte le bébé que par son intermédiaire. Elle est en même temps par exemple la voix du père que le bébé retrouvera, distincte, quand sera intervenue la première rupture. L’accouchement constitue la rupture de cette symbiose. Il marque la fin de la période cosmique de la mère pour le bébé. Il en sort pour accéder un autre monde. Il sort du monde-mère pour venir dans un monde dont la mère n’est que partie. La dépendance : les retrouvailles avec la mère-partie du monde permettent de combler à nouveau le manque prévisible. Les affects changent. La reconnaissance /retrouvailles de quelques-uns des affects antérieurs permet de survivre. La dépendance va avec la perte de l’autonomie. Les commandes ne sont plus des servomécanismes. L’apprentissage de l’attente fait faire celui de la tension, rapidement compensé par la détente de la satisfaction. Du fonctionnement linéaire de la symbiose où les seuls rythmes étaient les rythmes biologiques maternels sans conséquences sur la satisfaction des besoins fondamentaux, bébé passe brutalement à un fonctionnement sinusoïde fait de périodes de réplétion- satisfaction-détente et de périodes de vide-frustration-tension. Le maternage (câlins, caresses, peau à peau…) permet de passer le temps en attendant les périodes fastes. Il acquiert une valeur de satisfaction, ou plutôt d’équivalent-satisfaction. S’impriment alors en structure ce qui sera nommé un jour le désir et le plaisir. La bouche se repère comme organe premier médiateur et origine de ce couple désir-plaisir. S ‘imprime aussi l’attente confortable de la satisfaction du désir par le maternage et la peau, l’odorat et l’ouïe comme organes seconds dans la sinusoïde plaisir-désir . Dans cette période le modèle-mère perd sa dimension cosmique pour revêtir celle d’une dea ex machina. Dans un monde où elle n’est plus le tout, elle conserve la toute puissance de combler le manque, de remplir le vide, de compenser le défaut et d’apporter un type nouveau de satisfaction par le maternage : celui de combler le manque de présence, de “chaleur humaine”, de communication. La mère qui va et vient dans le monde devient très rapidement un autre. C’est la première expérience de l’AUTRE comme différent de SOI, comme partenaire d’une relation qui peut manquer. A côté de la connaissance du couple désir-plaisir, s’installe, par la nécessité des rythmes biologiques, la connaissance du couple absence-présence qui revêt des caractéristiques semblables. Le désir est impérieusement représenté par la sensation cénesthésique du vide, du manque, du déséquilibre homéostatique menaçant. Le manque-absence de la mère, l’AUTRE tout-puissant compétent pour ramener le plaisir, aiguisera les sens, organes capables de déceler dans l’environnement la présence de cet AUTRE et d’en faire, par assimilation, un succédané de plaisir. C’est le plaisir des sens, c’est-à-dire procuré par des sensations. Sans base matérielle de satisfaction d’un manque, dérive de ce manque premier, il investit l’AUTRE-mère de toutes les qualités du désirable. Le modèle de mère qui s’imprime dans la structure est, dans cette période où alternent les phases de la sinusoïde, et où la dépendance se double rapidement de la frustration, celui d’un autre ( à qui on pourra s’identifier), TOUT-PUISSANT pour satisfaire les manques, et capable d’AUTONOMIE dans la relation. On retrouve là le désir( sexuel) tel que le définit Platon : la poursuite du TOUT que nous appellerons l’amour. L’amour est la situation psychoaffective du désirant du TOUT perdu. La mère recherchera indéfiniment cette intimité perdue et la remplacera par tout et n’importe quoi plutôt que de la perdre. Le bébé fera ainsi l’apprentissage par la perte du TOUT où la mère-cosmos comblait nécessairement tous les manques potentiels, de ce qu’il y a de plus fondamental à rechercher pour retrouver l’équilibre fondamental perdu par l’expulsion du paradis terrestre. Chaque fois qu’il l’aura trouvé en tout ou en partie, il dira “je t’aime”. Quand le bébé déclenche le processus d’accouchement (il est actuellement admis que dans notre espèce, c’est ainsi que cela se passe quand le phénomène de la mise au monde est autorisé à se produire spontanément) il prend par rapport a la dea qui le contient, le porte et le satisfait probablement de moins en moins, la responsabi lité de décider d’aller voir ailleurs si c’est mieux. Comme l’Eternel de la Bible une voix lui dit alors : “Tu veux savoir ? Vas‑y ! Mais tu ne reviendras pas. Tu regretteras indéfiniment d’avoir voulu savoir.“ Le regret et la recherche de ce paradis perdu est à la base de ce que nous nommons l’amour. L’amour sera ce sentiment qui porte vers l’autre de façon L’amour maternel sera celui de la mère pour son petit expulsé. Ayant été expulsé et ayant fait l’expérience du manque qui en résulte il va :
La mère, vécue par son bébé, d’abord comme un TOUT cosmique, puis comme une dea ex machina, objectivement en situation d’être comme Dieu le Père chasseur du paradis terrestre, n’est pas un DIEU. Petit à petit il se découvrira un AUTRE encore plus puissant puisqu’il pourra l’éloigner, faire obstacle à sa tentative permanente de retrouver la symbiose. C’est le Père ou une quelconque personne de la horde vers laquelle la mère tournera son désir, en se détournant de celui de l’enfant. Un beau jour l’enfant découvre que le ”Roi est nu”. La mère toute puissante n’est pas si puissante que ça. Il me semble que c’est à ce moment-là que l’on peut commencer à parler d’amour. Le désir du TOUT est le moteur. La découverte de l’imperfection soit casse le désir, soit engendre l’Amour. L’enfant est un reflet pour les autres avant même que d’exister : dans le processus de maternogénése ce reflet va occuper une place déterminante dans la structuration psychique de la maternité. L’ambivalence maternelle expulser-retenir sera certainement un moteur de la maternogénése qui est le fruit de la symbiose. Le sentiment maternel est exacerbé par la culpabilité de l’expulsion. L’idée que la Naissance est d’abord l’apparition de l’être en tant q ue reflet pour les autres permet de comprendre les interactions précoces, celles qui se mettent en place avant même la réalité de l’individu. Il en sera ainsi de ce que l’on nomme le projet d’enfant, le désir d’enfant, le désir de grossesse. Certes on peut continuer à les concevoir comme de simples mécanismes internes à l’individu qui les vit avec les références à sa propre vie, ses frustrations, ses manques à être, ses désirs, indépendamment de toute relation avec un autre, un enfant, un naissant. Mais alors comment expliquer les relations positives qui se créent dès la révélation du phénomène Naissance en cours dans le corps devenu maternel : réactions dites ambivalentes devant les perturbations actuelles et prévisibles, les difficultés potentielles, les risques encourus. L’ambivalence ne peut s ‘imaginer que par rapport à un être non pas projeté mais actuel, objet d’amour et de haine, porteur d’espoir et de crainte, facteur unique de la réalisation culminante, explosive, orgasmique, de la féminité après laquelle plus rien ne sera pareil. Il en sera ainsi du devenir mère. Cette maternogénése permet de remettre en place et de comprendre les relations dramatiquement vécues au décours de l’accouchement dans des couples mère-enfant où le lien entre projet, désir et réalité n’a pu être authentiquement fait. La maternité psychique qui se met en place très tôt dans l’organisme total de la petite fille est déjà un projet relationnel avec l’en fant qui sera la continuité du monde. Le reflet de cet autre futur se précisera au fil des années de l’enfance puis de l’adolescence. Il se nourrira des images des protagonistes de la relation qui se donnent à voir et à connaître autour de la petite puis jeune fille. Il se constituera suivant des courbes sinusoïdes superposées d’ambivalences évolutives d’un imaginaire nourri des couples amour-haine, désir-plaisir, mutation-refus mutatoire, développement-stagnation, grandir-rester petite etc. Avec le temps de l’évolution biosociopsychologique, ces sinusoïdes deviendront progressivement congruentes en même temps que leur amplitude diminuera et que leur ligne de base ira plus vers l’amour, le désir, la mutation, le développement, le grandir… Mais dans une évolution harmonieusement gérée entre les écueils des contraires, ce qui sera le point de mire, le but ultime à concrétiser, c’est la rela tion à cet autre dont le reflet se précise au fil du temps qui passe. La maternogénése ne peut se faire sans cette référence mentale à un autre qui sera pour soi, en soi puis hors de soi, le sauveur de soi et du monde. Et les perturbations de cette maternogénése avec les dégâts qu’elle fait à la venue au monde des enfants seront entre autres à chercher dans un déficit de constitution de ce reflet. Il en sera ainsi du devenir père. Comment imaginer, pour celui qui devient père, un autre mode de relation que dans le reflet psychique avec cet individu révélé par la technique, inconnu, inconnaissable dans l’instant. Comment imaginer l’invraisemblable transformation des comportements de cet individu dont le corps, au contraire de la mère, n’est pas directement affecté par le processus, dont l’organisme n’est pas concerné autrement que dans le reflet qu’il en construit dans ses structures nerveuses. L’acceptation enthousiaste ou le re fus absolu de la paternité ne peuvent être le fait que d’une mentalisation d’une relation avec un autre, une relation faite d’un contrat où les contraintes sont prévisibles et les gratifications impossibles à imaginer. C’est en référence à cette situation qui conduit un homme à se sentir père sans autre référence que la révélation de l’intrusion d’un autre dans le corps de sa compagne de jeux sexuels que j’avais proposé de l’identifier comme “l’envoûté de l’intrus magique”. Toute la période de Naissance (qu’on peut donc faire remonter au début de mise en place du projet) sera en même temps réalisation de l’être POUR LUI (mise en forme de sa structure) et idéalisation de l’être par les autres (mise en forme de son reflet). La mise en forme de la structure, la création de ce que nous appelons à la suite de LABORIT l’information-structure, c’est-à-dire la mise en forme de l’organisme PSYOCMHAOTIQUE a : La mise en forme du reflet est par contre instantanée. Elle est en perpétuelle évolution, en perpétuelle transformation ; elle diffère d’un instant à l’autre. Ce qu’est le reflet dans le moment et dans le lieu, différent du moment précédent et de l’endroit où il se forme dépend : Il dépend en plus des affects contingents de l’environnement c’est-à-dire de tout ce qui peut venir interférer entre le sujet et la réalité de la naissance, particulièrement les modèles que lui impose la société . Car c’est de cette ensemble composite que surgit le reflet avec l’individu fonctionne, pense, mais aussi et surtout agit. Et cet ensemble composite fonctionne comme une image. Constituée de toute une série d’éléments correspondants aux possibilités de perception du sujet en relation avec les caractéristiques de la réalité qu’elle reflète, l’image est totalement transformée par la modification, même imperceptible d’un seul des éléments qui la composent. C’est ainsi qu’un peintre peut indéfiniment peindre la même montagne qui ne sera jamais la même suivant l’heure du jour, la saison ou le temps qu’il fait. Il sait que c’est la même réalité qu’il peint, pourtant chacune des images qu’il reproduit sur la toile est suffisamment différente des autres pour produire chez l’observateur toute une palette de sentiments différents. Or la maltraitance, ce comportement délétère des parents vis-à-vis de l’enfant, intègre la notion d’un lien mal construit. Les sévices, les violences, les coups et les blessures qui s’ensu ivent manifestent de la part des parents une incapacité à considérer cet individu sans défense, à leur merci, ce n’est pas un enfant désiré qu’ils ont mis au monde et dont, comme parents, ils ont naturellement la garde et la responsabilité dans le but de lui permettre de se faire une place autonome dans le monde. Il n’a pas de place dans leur vie où il s’est introduit par effraction sans qu’à aucun moment le reflet que les parents s’en forment approche tant soit peu la réalité de ce qu’il est. En fait, le maltraité est quelqu’un qui n’est pas à la place que l’autre voudrait lui assigner. Que l’on pense au vieillard maltraité parce que sa survie gêne les autres. Que l’on pense à l’immigré maltraité parce qu’il n’a plus sa place dans la société. Que l’on pense à ce que cela donne lorsque la différence et la faiblesse privées de la protection minimale de la morale et de l’éthique jette des groupes humains entiers dans la situation d’indésirables et que la solution envisagée pour le problème qu’ils posent alors fut dite “solution finale”. C’est le même mécanisme qui se met en place. C’est une affaire de reflet dans les structures psychiques des puissants par rapport aux faibles. Si le comportement protecteur n’est pas privilégié, le comportement maltraitant devient la règle. Si l’autre est vécu comme occupant indûment une place qui n’est pas la sienne, son élimination devient pour celui qu’il dérange l’équivalent d’une nécessité pour sa survie. Son occultation voire son élimination, d’abord symbolique, aboutit rapidement à l’élimination physique ou à ses succédanés que sont les mauvais traitements. Aucune éthique ne protège contre les comportements dictés par les exigences de la survie. Pour l’enfant qui advient, ce reflet se construit pendant la période de Naissance. La signification de cet enfant est claire : c’est un Naissant. Nouveau membre de l’espèce, il en permet la survie par la “reproduction”. Il doit donc “naturellement” bénéficier d’un statut lui permettant de refuser les dysfonctionnements imposés à son dév eloppement et en même temps d’exiger que se mettent en place des statuts complémentaires que sont les parents et le reste du corps social. Mais le sens de cet individu qui naît dépend du reflet que s’en forment les autres : il dépend en particulier de ce qui, à son origine était ou non projet d’enfant, du désir qui a présidé à sa mise en route, des conditions de sa mise en route. Des questions se posent dont les réponses auront une importance capitale pour la formation du reflet : le Naissant qui se profile comble-t-il un manque ?ou au contraire prend-il une place là où il n’y en a pas ? Résultat d’une procréation médicalement assistée ou échec de contraception, conception à la suite d’un viol, échec ou refus d’IVG, ou naissance issue d’un projet de couple ou d’un acte amoureux intense même si inopiné, le Naissant sera vécu de façon différente. Quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été conçu, si son “image” est transformée dans un sens contraire à l’espérance, par exemple par la révélation d’une anomalie mineure ou tout simplement du sexe qui ne correspondrait pas au sexe désiré, le reflet du Naissant peut être totalement négativé. Le reflet de l’enfant qui vient au monde est le résultat de la confrontation entre la perception de sa réalité et le fantasme dans lequel ses parents ont noué avec lui la relation première. S’il n’y a pas eu d’enfant fantasmé ou si le fantasme a été d’emblée négatif, c’est-à-dire s’il n’y a pas eu de reflet d’un Naissant attendu, le reflet de l’enfant réel est impossible à positiver. L’accueil de l’enfant qui advient se fera sur la confrontation de son reflet et du reflet du Naissant qui lui a préparé la place. Le vécu de la naissance par les parents aura dans la formation du reflet une importance déterminante. Le dé sir ou le non désir de cette grossesse lui donnera une coloration affective dès le départ. Si la grossesse est bien ou mal vécue, que ce soit pour des raisons physiques, psychologiques, sociales, économiques, la tolérance psychosomatique à la mutation qu’elle constitue pour la mère influencera l’accueil du Naissant dans le reflet, et ce jour après jour. Si la dynamique n’est pas respectée, par exemple par un déclenchement artificiel de l’accouchement, la tolérance psychosomatique au processus de naissance sera modifiée. Au bout de la grossesse, l’accouchement peut-être bien ou mal vécu, soit comme ressenti du corps, soit comme projet personnel réalisé ou non. L’anesthésie, l’analgésie, les opiacés peuvent perturber durablement les premiers contacts avec l’enfant. Les interventions sur le corps peuvent laisser des cicatrices psychosomatiques indélébiles. La qualité du premier contact, immédiat ou différé, visuel ou charnel, peau à peau ou yeux à couveuse laissera des traces dans le vécu. Un allaitement réussi ou non aura aussi son importance. Et la qualité de ce vécu sera déterminante car elle sera garante de la qualité de la relation. Or une relation cela commence par une rencontre et la rencontre c’est toujours un choc. Le choc de la rencontre c’est bien entendu l’interaction primaire entre les efférences et les afférences croisées de deux individus. Afférences et efférences physiques, qui se doublent instantanément du fait des mod èles enregistrés, de phénomènes psychosomatiques profonds. Conscient ou inconscient de ce choc, l’individu le ressent pourtant et ce dernier, comme toutes les “expériences” au sens large du terme, va laisser une trace dans les systèmes de mémorisation. Le sens général de toute rencontre est clair. C’est le tissu psychosocial humain qui se trame de chacune d’elle, c’est l’individu en tant que nœud de relations qui se structure de chacune un peu plus. Mais il est clair aussi que chaque rencontre ne va pas, ne peut pas avoir la même signification. Le temps, le lieu, les interactions réciproques sur la base de modèles conscients ou inconscients, la répétition des rencontres et la poursuite ou non des relations qui s’ensuivent vont en conditionner la signification. Pour devenir une relation, la rencontre doit se continuer par un contrat qui en constituera les conditions et les bases. Et le contrat de fond, celui qui conditionne le fonctionnement de la relation, chacun le signe dans sa tête avec ce de l’a utre qui interagit avec lui. Et ce sera un contrat de confiance, de méfiance, des deux à la fois souvent. En tous cas ce sera un contrat d’autant plus multiforme que chaque rencontre va irrémédiablement le modifier, peu ou beaucoup, sur le fond ou sur la forme, sur tout ou partie de ses éléments. Une relation durable ne pourra ainsi se constituer que tout autant que deux conditions seront réunies : Ainsi chaque rencontre sera susceptible d’aller dans le sens d’un renforcement de la relation tout autant qu’elle fera coïncider un peu plus l’image que renvoie l’autre avec celle que l’on avait de lui et donc validera un contrat dont cette image est le signataire involontaire. Un corollaire bien commode de cette condition, c’est que chacun s’aveugle sur la partie non conforme de l’image de l’autre. On voit ainsi qu’une relation durable a habituellement fort peu de chances de s’installer du fait simplement que ses conditions sont rarement réalisées dans la personnalité fondamentale de chacun, permettant la signature d’un contrat de chacun avec l’image qu’il a de l’autre, qui soit bien, et par hasar d, un contrat de l’un avec l’autre. Dans la plupart des cas c’est la volonté de poursuivre qui va entraîner les deux comportements conditionnels que j’ai cités plus haut. En tout état de cause une relation, commencée par une rencontre, ne peut donc se continuer que par la mise en place d’un contrat que chacun signe non pas avec l’autre, mais avec le reflet qu’il a de l’autre. La relation qui dure sera le fait de la volonté de chacun des partenaires de ressembler le plus possible au reflet que l’autre se forme de lui. Elle est faite d’exigences et de concessions. Il va sans dire que si d’emblée le reflet es t mauvais il n’y a pas de relations possible. Or dans la Naissance la rencontre se fait dans l’imaginaire, dans le fantasme, dans le reflet que les parents se forment du Naissant. Quant-au contrat il se conclut à sens unique, avec un reflet imaginaire et sans que l’autre, le Naissant, puisse faire quoi que ce soit pour tendre à l’améliorer. Si le reflet de la Naissance est mauvais, si le ou les parents refusent de reflet le Naissant comme tel, si le reflet qui s’en forme est celui d’un importun, voire d’un danger potentiel, alors la relation sera immédiatement une relation agressive. Et lorsque l’enfant venu au monde, il faudra bien faire avec lui, la relation sera faite uniquement d’exigences, sans aucune volonté de compensation ni de tolérance. L’asymétrie de puissance entre les deux parties du contrat aggravera encore la situation. L’enfant sera vécu comme persécuteur de ses parents et traité comme tel. L’hypothèse que nous faisons est que ce qui se passe pendant la période de Naissan ce est déterminant pour cette relation. L’année dernière au cours du précédent colloque consacré aux responsabilités, rôles et statuts des intervenants dans la Naissance, Henry SOLANS concluait à propos du Naissant : “Dans les conditions de notre société, le Naissant ne peut pas naître.“ Seule la surcompensation psychologique grâce au reflet que se forment de lui ses parents permet de lui trouver habituellement quand même une place dans la famille sinon dans la société. Mais cette surcompensation psychologiqu e peut être rendue difficile voire impossible par les conditions sociales, économiques, culturelles, par le vécu de la grossesse, de l’accouchement. Lorsque dans ces conditions délétères pour la formation de son reflet de Naissant, l’enfant vient quand même au jour, il sera rejeté dans la situation de quelqu’un qui a pris une place qui ne lui était pas destinée, qui s’est introduit dans un espace où rien ne le faisait désirer. Il a fait ce qu’il ne devait pas faire. Il a transgressé l’interdit. C’est ce Naissant qui s’obstine à naître qui sera l’enfant maltraité. |
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