Le proto-regard
Extrait de Psy­cha­na­lyse de la nais­sance (Jean-Marie DELASSUS). Paris : Dunod, 2005, p. 117

Les pre­miers cris marquent la fin de l’accouchement et expriment l’éprouvé dou­lou­reux de la dif­fé­rence natale. Le pre­mier regard — après un court moment de silence — indique le début effec­tif mais encore pas­sif de la nais­sance psychique.

Ces don­nées sont encore mal dis­tin­guées et l’habitude d’attendre le cri comme signe de nais­sance et de vita­li­té a empê­ché que l’on se rende compte de la réa­li­té et de l’importance de ce qu’il faut appe­ler le proto-regard, terme qui convien­drait pour le dis­tin­guer des levers des yeux ulté­rieurs et lui attri­buer un sens et une fonc­tion spécifiques.

Anté­cé­dents du regard

Quand l’enfant vient au monde, il est depuis long­temps un habi­tué du regard. C’est un très ancien regard qui cor­res­pond au déve­lop­pe­ment de la vision inté­rieure. Nais­sant au-dedans, ayant une nati­vi­té anté­rieure, le fœtus s’est mis peu à peu à voir, et d’emblée il s’est ouvert à l’invisible. Invi­sible pour nous, visible pour lui sous la forme d’aucune forme, mais qui était la tota­li­té elle-même. Le regard a com­men­cé avec la per­cep­tion de la tota­li­té, dans la lumi­neuse obs­cu­ri­té prénatale.

Si le nouveau-né ouvre main­te­nant les yeux, c’est parce qu’il s’attend à voir encore et à voir la même chose, à retrou­ver la per­ma­nence de la vision inté­rieure. Mais elle vient d’être per­tur­bée, si ce n’est bru­ta­le­ment inter­rom­pue. Il s’est pro­duit comme une panne de vision au moment de l’entrée dans le monde. Ouvrir les yeux, à ce moment-là, n’est pas per­ce­voir ce qu’il y a devant ou autour de soi, mais seule­ment réagir au fait que la lumière et l’horizon de la tota­li­té ne sont plus visibles. Le nouveau-né est d’ailleurs ébloui par la lumière exté­rieure qui n’est plus sa lumière, la lumi­no­si­té inhé­rente à l’étendue intérieure.

Aupa­ra­vant, l’extérieur et l’intérieur ne fai­saient qu’un ; tout d’un coup, ils se dif­fé­ren­cient. La nais­sance, au sens cou­rant du terme, débute à ce moment-là, quand l’œil, par un début de retour­ne­ment natal qu’il subit, est pous­sé à cher­cher hors de soi ce qu’il trou­vait en lui.

Par la suite, beau­coup de choses vont se pro­duire au niveau du regard qui évo­lue en regard d’objet, sans perdre tou­te­fois sa capa­ci­té à reve­nir par­fois abrup­te­ment à un état de vision. Pour le moment, à l’instant de la nais­sance phy­sique, bien long­temps après la nati­vi­té, l’œil ne s’ouvre que dans la stu­pé­fac­tion pro­vo­quée par la sus­pen­sion de sa vision inté­rieure dont il attend la reprise immé­diate. C’est le moment inau­gu­ral du proto-regard.

Extraits de débats à l’Assemblée nationale — Mission d’information sur la famille et les droits des enfants

Table ronde ouverte à la presse sur la pré­ven­tion et la détec­tion de l’enfance en dan­ger, séance du 4 mai 2005 (voir source)

Jean-Marie Delas­sus : Les pro­blèmes évo­qués prennent à la gorge, si bien que l’on risque de voir émer­ger le « syn­drome du del­ta » et, avec lui, la demande de mul­ti­pli­ca­tion de moyens, les­quels ne résou­dront pas tout, tant s’en faut, étant don­né l’évolution des mœurs et de la paren­ta­li­té. Celle-ci n’est pas un lien inné ; c’est un affect qui ne s’impose pas d’emblée à tous, mais qui, lorsqu’il est res­sen­ti, garan­tit que les enfants seront aimés par leurs parents. La mal­trai­tance étant une mala­die de la paren­ta­li­té, il faut agir pour que s’instaure une paren­ta­li­té humaine et valable. Cela sup­pose d’accorder toute son impor­tance au proto-regard du nouveau-né, ce regard par­ti­cu­lier, d’une très grande force, qui passe en géné­ral inaper­çu parce qu’il peut être très vite empê­ché par une « mise en peau à peau » immé­diate ou par une prise en charge néo­na­tale. Ce regard, qui doit être dis­tin­gué du « lever des yeux » ulté­rieur, est d’une telle inten­si­té qu’il bou­le­verse pro­fon­dé­ment celle ou celui qui le reçoit ; igno­ré, voire incon­nu de la cli­nique obs­té­tri­cale, il a pour­tant un effet « paren­ta­li­sant ». Le per­son­nel des mater­ni­tés doit être for­mé à l’importance du proto-regard, et lais­ser le temps néces­saire à l’établissement de ce lien « yeux à yeux », car l’expérience montre que, pour une bonne part, les mères en dif­fi­cul­té n’ont pas vécu ce moment et se sentent dépos­sé­dées d’un moment cru­cial de la naissance. […]

Table ronde ouverte à la presse sur l’accès de l’enfant à ses ori­gines per­son­nelles, séance du 16 novembre 2005 (voir source)

Pierre Ver­dier : […] comme l’a bien mon­tré le doc­teur Delas­sus, le sen­ti­ment mater­nel se construit, il ne se pré­sume pas, et la néga­tion de la mère dans l’accouchement sous X empêche cette construction.

Autres sources

  • La Vie comme elle Va : « L’o­ri­gi­naire », 30 juin 2005, entre­tien avec Jean-Marie Delas­sus sur France Culture (for­mat MP3). Suivre ce lien


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