Le bain des kinous |
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Laura MENARGUES Auxiliaire de puériculture, Laura MENARGUES travaille dans une maternité de la région parisienne. Depuis plusieurs années, elle a mis au point une façon très originale de baigner les nouveau-nés, qu’elle appelle Le Bain des Kinous. Au début de sa vie professionnelle, elle pratiquait comme tout le monde les « douches tonifiantes » sur les nouveau-nés et supportait très mal de les entendre crier. Un jour, elle décide d’asseoir dans le lavabo un bébé qui avait subi un forceps, elle constate alors qu’il ne crie plus. Le bébé de 0 à 4 mois environ, nous permet de découvrir ce qu’a été son histoire. Il retrouve dans l’eau les sensations qu’il avait lorsqu’il était dans le liquide amniotique. Il mime par ses postures, ses attitudes d’engagement, les contractions utérines, avec pour chaque bébé un scénario d’une minute se renouvelant cinq fois et qui varie en fonction de différents paramètres, par exemple du type de péridurale. Il nous mime la position exacte de son corps et de ses membres lors de l’engagement final, lui qui est l’unique acteur de cette pièce qui se joue sous nos yeux. Les mouvements sont soit très actifs, soit à peine perceptibles, différents en fonction de l’âge du bébé et du nombre de bains reçus. L’enfant garde en mémoire ces gestes de base assez longtemps. En effet, j’ai pu constater une mémoire de ces gestes lors de mes premières consultations avec des enfants jusqu’à cinq ans. L’enfant (et je décrouvrirai plus tard qu’il en est de même pour l’adulte) conserve ces postures en mémoire, mais chaque bain a un effet de nettoyage, couche après couche. Dans le bain, le bébé « reproduit » ce qui s’est passé pour lui pendant l’accouchement : mauvaises positions, difficultés d’engagement, forceps, césarienne… Bain après bain, il réadapte progressivement ses positions d’axes d’engagement, en quelque sorte il renaît devant nous. Il m’est apparu très important d’inviter les parents à suivre cette scène de la vie de leur bébé. En fait, il est délicat de parvenir à décoder ce qui se passe réellement à un tel moment. De par ma pratique de 27 ans et près de 3898 bébés baignés, j’arrive à transmettre aux parents l’histoire de leur enfant en me réservant de ne pas leur communiquer certains paramètres assez violents tels qu’un APGAR à 0, une double circulaire etc., ce qu’ils ne sont pas prêts à entendre, du moins dès le premier bain. Je ne cherche pas à faire du fantastique, car ils sont avant tout les parents de ce bébé, avec leur histoire, leur ressenti, leur propre vécu de naissance, et tout ce que cela peut réveiller en eux. De plus, nous savons tous que ce qui est dit aux parents dans cette étape charnière de la vie que représente la naissance de leur enfant peut avoir des conséquences importantes pour l’avenir. Ils sont là pour pour comprendre ce qui s’est passé pour leur bébé. Ils sont en recherche de ce que peut exprimer leur bébé et ils ont parfois déjà tenté de trouver des réponses à leurs questions auprès d’interlocuteurs multiples. C’est une période où ils sont fragilisés. Pour ma part, je n’analyse pas un cas, mais l’histoire de leur « petit trésor ». La prise en compte de la douleurLe bébé est une personne, disait Bernard Martino dans les années 80. Depuis, la prise en charge de la douleur a fait couler beaucoup d’encre. Mais face à la douleur physique de l’engagement lors d’une naissance difficile, qu’en est-il des bébés, porteurs toute leur vie de cette souffrance ? Certes en 1989, et grâce à MM. Cohen-Salmon, Olivier Fresco etc., les associations sur la prise en charge de la douleur se sont mobilisées, mettant en place des échelles d’évaluation, des protocoles, avec des matelas d’eau, des cocons, des antalgiques et la pâte Emla. Ceci reste très efficace pour tout ce qui dans le soin, avec une action ponctuelle lors de la naissance. Mais les antalgiques ont leurs effets secondaires et ne soignent que l’effet. La cause reste engrammée dans les fascias du corps de ce « petit d’homme », agissant sur divers plans de conscience. Que dire de la douleur de ces nouveaux-nés, accueillis dans ce monde par des douches tonifiantes, encore pratiquées dans 35% des maternités ? La méthode du bain des Kinous s’est développée sur ces 27 dernières années, et m’a permis d’observer la traçabilité des engrammes. Au fil de ma pratique, je me suis aperçue que cette traçabilité va perdurer parfois toute la vie, puis de génération en génération, et se révéler dans la difficulté de faire naître à son tour. Tels les reflux gastriques visibles ou silencieux qui provoqueront des otites à répétition par les acidités qui remontent le long l’œsophage jusqu’à l’arrière gorge. Les douleurs épigastriques sont encore visibles chez l’adulte. La liste est longue… Un cordon circulaire privera la personne du plaisir d’une écharpe, d’un col roulé ou d’une cravate… Une anesthésie générale de la maman engourdira quelque temps l’enfant, il sortira partiellement endormi. Tous ces détails ne sont que quelques clignotants qui m’ont permis d’observer, par le bain des kinous, les souffrances des bébés. Souffrances aux diverses étapes de sa vie fœtale et de son engagement, ou lors des premiers soins, avec les conséquences constatées plus tard au niveau de sa qualité de vie au quotidien. Le bébé dit son histoireQuand je prends en charge le bébé, je ne me considère plus comme quelqu’un qui apporte un savoir aux jeunes mères, sur l’hygiène ou sur la puériculture. Je suis juste quelqu’un qui a pu, grâce au nourrisson, voir, comprendre, écouter et ressentir, décoder et transmettre aux jeunes mères et pères un savoir-faire pour cerner les compétences de ce petit être, quelles que soient les difficultés qu’il ait traversées et les traumatismes qu’il ait subis. C’est comme si, à ce moment précis du bain, même à une heure de vie, nous entrions en fait dans son sanctuaire qu’est l’histoire de sa naissance, où il est à la fois acteur, metteur en scène et réalisateur. Je ne suis que co-producteur… Sous la guidance du bébé, je suis allée de découvertes en découvertes, avec la construction d’items amenant des évaluations et remises en questions de mes gestes. Ceci dans le seul but d’améliorer la qualité des soins au bébé. La table à langer est devenue mon meilleur lieu d’observation, où tous les niveaux de lecture prennent leur assise. C’est tout à la fois le lieu de la rencontre, une base ludique et libératrice des tensions, l’occasion d’un massage doux et relaxant, et, après le bain, une base d’atterrisage du revécu de l’enfant de sa naissance. Les jouets ont trouvé en chaque bébé un partenaire attentif et curieux, patient et décideur à la fois, charmeur et zélé, exerçant son corps pour retrouver son axe, sa mobilité et sa vigilance. Mes mains, par un toucher léger, rebondissent sur les tensions décelées en amont. Ce geste me permet de savoir quel « tissage aquatique » est le plus adapté pour le cas de cet enfant. J’établis la carte visuelle des points de tension, sur laquelle évoluera le tissage aquatique au fur et à mesure que se libèrent les tensions. Le lavabo est devenu pour la circonstance un utérus lorsque le bébé s’y est couché, le matelas de bain, gonflé d’eau, a pris l’attrait d’un placenta lorsqu’il s’y est blotti. Puis la « digipuncture aquatique » est née, permettant un dénouement des points de tension le long des chaînes musculaires. Sous nos yeux on voit prendre place, dans la sécurité et la confiance, le déroulement de la vie fœtale particulière à chaque enfant, puis la phase d’engagement qui lui a été propre, et enfin une véritable renaissance selon la façon dont l’enfant est né, où les nœuds sont défaits un à un. Par dessus tout, le bébé retrouve avec ses parents le lien qui pour un temps a pu être modifié ou partiellement absent, avec un bain à quatre mains qui leur rend leur rôle avant tout parental. Les parents sont co-acteurs dans cette phase. La confiance dans leur propre savoir-faire se développe et s’affine avec chaque bain. Et après le bain, la récompense suprême : lové dans sa serviette de toilette tenue aux quatre coins par sa maman, le bébé est doucement balancé, bercé comme dans le souvenir fœtal du mouvement de sa mère… Ainsi, je laisse au nouveau-né la possibilité de me prendre par la main en invitant ses parents et toute personne de son choix, présents à cet instant dans la pièce, à suivre cette de scène de son histoire de vie. A travers mes observations rassemblées et notées tout au long de ces années, et grâce aux images acquises, je pourrai vous faire vivre une partie de ce qu’est le bain des Kinous. Ma méthode a évolué et continuera son parcours… Contact : lebaindeskinous(arobase)yahoo.fr |
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