LA POSITION DE L’ÉQUIPE DE TOULOUSE |
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Jean-Marc MUNOS La co-responsabilité c’est l’acceptation consciente et volontaire de supporter le poids des actes et des choix que nous faisons, lorsque ces actes et ces choix ont des conséquences pour les autres et que nous les faisons conjointement. La naissance appartient à l’enfant qui naît, les conditions de sa venue au monde ne lui incombent pas. Ce sont les parents qui l’ont conçu, à ce titre ils sont co-responsables du fait qu’il existe, et que sa subsistance a des exigences. C’est pourquoi, dans le souci légitime de lui assurer les meilleures conditions de sauvegarde, ils font appel à la médecine pour surveiller son développement, et assurer le dépistage et le traitement de toutes les pathologies ou incidents qui pourraient lui causer un préjudice. Ils demandent de surcroît à la médecine de surveiller la bonne évolution de la grossesse et de l’accouchement pour la mère. Ce faisant ils demandent de la part de l’équipe médicale chargée de cette surveillance, de la compétence, c’est à dire du savoir, et du savoir faire. Autrement dit des moyens techniques, et une technologie. Si l’équipe médicale accepte de prendre en charge cette demande, elle se rend ipso facto co-responsable des moyens techniques qu’elle utilise pour assurer surveillance, dépistage, diagnostic et traitement de toute pathologie maternelle ou infantile. De nos jours cette prodigalité de techniques et de moyens est acquise, et y défaillir justifie d’en répondre devant la loi. La déontologie médicale fait expressément obligation à tout médecin de veiller à mettre en œuvre tout moyen utile au diagnostic et à la thérapeutique. Mais les parents demandent légitiment plus que de la technique et des moyens, c’est à dire du savoir, ils demandent le savoir-faire, de l’expérience et de la technologie. Pour assurer à la mère et à l’enfant cette technologie, ils choisissent l’équipe médicale ou la maternité qui leur paraît par expérience ou par ouï-dire présenter les meilleures garanties. Ce faisant ils font ce que l’on pourrait appeler un choix ou plutôt un investissement « statutaire », c’est à dire qu’ils s’en remettent à la réputation, à la « stature » du médecin ou de l’équipe. Souvent honorée par ce choix gratifiant, l’équipe médicale prend alors une autre responsabilité, celle de ne pas décevoir les parents. Mais cette responsabilité n’est pas de même nature que celle concernant les moyens et les techniques car elle est beaucoup plus difficilement comptable devant la loi. Il s’agit alors d’un point d’honneur, véritable challenge à relever par l’équipe. Cependant cela n’est pas encore suffisant car les parents font de surcroît un « surinvestissement » dans ce choix, ils présupposent des qualités de l’équipe médicale, qui n’existent peut-être pas. Par exemple, ils s’attendent à être écoutés, compris, accompagnés, dans leur cheminement existentiel semé de craintes, de doutes sur leur propre compétence à être parents. Et ils ne comprennent pas et n’acceptent par les réponses purement techniques ou technologiques que l’équipe médicale fait à leurs angoisses existentielles : pire, ils s’indignent devant les contraintes que l’équipe médicale ou les structures de la maternité leur imposent pour la surveillance de la grossesse et de l’accouchement. Ils parlent alors, (certains, pas tous !) de surmédicalisation. Car ils ont le sentiment que ces réponses et ces contraintes techniques, les dépossèdent d’une part de leur vécu de parent, et il faut reconnaître que cela est souvent objectivement vrai. En fait ce qu’ils demandent le plus souvent inconsciemment à l’équipe médicale en plus du savoir et du savoir faire, c’est le savoir-être. Mais cela, savoir être, ne s’apprend pas dans les programmes de la faculté et l’on peut être un excellent technicien au diagnostic sûr et à l’habilité technologique indéniable et n’être qu’un piètre accompagnateur des angoisses existentielles des parents. La responsabilité de l’équipe médicale se trouve alors investie à son insu d’une autre responsabilité qu’elle n’a pas revendiqué et qu’elle n’est pas toujours compétente à assumer, c’est celle de gérer cette demande contradictoire en apparence des parents avec compétence et compassion. Ou autrement dit de gérer des exigences de savoir, de savoir faire et de savoir-être. En disant cela nous avons conscience que pour beaucoup de parents, seules les exigences de savoir et savoir faire satisfont leurs demandes. Aussi convient-il maintenant de se poser plusieurs questions. Tout d’abord, qu’est-ce qui est à partager autour de la naissance entre parents et équipe médicale ? Est-ce la responsabilité d’avoir donné la vie ? Celle-ci incombe aux seuls procréateurs. Alors est-ce le savoir et le savoir-faire médical ? Que se passerait-il si les parents se mêlaient de poser des diagnostics et d’improviser des thérapeutiques ? Non, cette responsabilité là incombe bien à la seul équipe médicale ! Alors qu’y a‑t-il à partager ? Examinons ce que réclament les parents de plus près : un peu plus, beaucoup plus, d’humanité dans les conditions que les moyens techniques, les équipes médicales et les maternités leur imposent pour la venue au jour de leur enfant. Est-ce là un partage de responsabilité entre parents et équipe médicale qui est demandé ? En quoi est-ce être co-responsable (parents et équipe médicale) que de tenter d’humaniser la technique et les conditions d’accueil de l’enfant, et qui serait comptable de cette coresponsabilité ? La loi ? Sur quelles bases ? Sur quels critères de valeurs ? En fait, ce qu’une partie du public désire c’est un peu plus de savoir être de l’équipe médicale. C’est dans ce savoir être que parents et équipe médicale peuvent se rencontrer et partager, émotions, joies, peines, angoisses et espoirs. Et ce savoir être ne sera jamais comptable devant la loi. Jamais. Car il ne sera jamais exigible. Que chacun se rassuré ! L’équipe médicale devra toujours répondre devant la loi, de ses manquements (moyens techniques, technologie, règles de surveillance) ou de ses erreurs, et les parents devront aussi toujours répondre de leur « maltraitance » vis à vis de leur enfant. La seule co-responsabilité que parents et équipe médicale auront à partager c’est celle du climat et de l’ambiance qu’ils auront en commun décidé de mettre en œuvre autour de l’enfant pour permettre à celui-ci de s’épanouir au maximum de ses compétences innées. Et dans ce partage conscient il y a des enjeux énormes pour l’avenir de notre société. Car, au-delà de toutes les pathologies et de leurs thérapeutiques, — celles-là le corps médical accepte d’en assumer la responsabilité —, une mère et un père épanouis, heureux, confiants en eux qui mettent au monde un enfant dans un climat de sérénité en ayant pleinement conscience qu’ils sont coauteurs, acteurs, de la naissance de leur enfant, ne pourront jamais humainement être pour celui-ci l’objet d’un préjudice quelconque. Inversement un père et une mère angoissés, paniqués, agressés, et ayant de surcroît le sentiment d’avoir été dépossédés d’un des actes de la vie le plus valorisant et le plus maturant entre tous, blessés au plus profond d’eux-mêmes, traumatisés, voir même, culpabilisés, d’un sentiment d’échec risquent de marquer de l’empreinte de ce traumatisme les premiers jours de la vie de l’enfant. Et l’on sait combien ces premiers moments sont déterminants pour tout son avenir, et cet enfant est déjà la société de demain. C’est donc d’un enjeu idéologique qu’il s’agit, plus que d’un enjeu médical, celui de permettre à la société de demain de regagner sinon de garder le sentiment de sa compétence innée à procréer, et le désir de le faire. Et de le faire avec ou sans l’assentiment de la médecine. Voilà donc ce qui, à notre sens, est à partager entre parents et équipe médicale. Le savoir-être de chacun. Mais cela est-il possible ? Non seulement c’est possible mais cela existe déjà, non majoritairement bien sûr, mais partout en Francs, tel ou tel service d’obstétrique ou de pédiatrie, telle ou telle équipe obstétricale a accepté, quelque fois sous la pression d’associations parentales, de faire tomber les cloisons du pouvoir médical, et de remettre en question leurs motivations. Accepter de rencontrer, de parler avec les couples, d’écouter leurs angoisses, de les accompagner dans leur cheminement et dans leurs prises de conscience. A Toulouse, mais ailleurs, déjà en 1964 (26 ans) Jean Faillière et son épouse dressaient les bases d’une préparation des couples à la naissance. Celle-ci eut tellement d’échos favorables auprès des couples qui en avaient bénéficié qu’une association parentale en est née (« l’Association de diffusion d’études et de recherches pour mieux naître »). Elle existe toujours et continue son travail selon sa vocation. Des équipes pluridisciplinaires l’animent, faites de couples parentaux, de sages-femmes, de psychologues, de médecins généralistes, et obstétriciens et kinésithérapeutes qui travaillent ensembles à réaliser cet objectif : permettre à l’enfant de mieux naître. D’autres associations avec des buts semblables existent partout en France. Pour la plupart elles œuvrent sur la base du bénévolat, motivées par les seuls enjeux que nous avons évoqués il y a quelques instants. En acceptant de soumettre à votre réflexion ces quelques considérations sur la co-responsabilité parents-équipe médicale, c’est à ces associations et à ces équipes qui ont eu le courage et la volonté de mettre en question la transparence de leurs motivations, que je pensais et auxquelles je souhaite rendre un hommage vibrant, car elles sont à mes yeux un autre progrès de la médecine qui vient s’ajouter aux prouesses technologiques, celui de dépasser les querelles de recherche de responsabilité devant le juge pour déboucher sur un vrai partage humain des joies et des peines de la vie et de donner la vie, avec en perspective les enjeux de l’avenir. Puissent les pouvoirs publics entrevoir ces enjeux et aider ceux qui y travaillent, financièrement et statutairement. Ni la médecine, ni la santé, ni le public n’ont à perdre quelque chose, mais au contraire beaucoup à y gagner. |