sur le site du CIANE :
https://ciane.net/2006/09/christianejeanvoineseregarderenface/
« Accompagner la naissance : le droit, la déontologie, les attentes des usagers »
Sage-femme libérale
Docteur en médecine
Présidente
Conseil National de l’Ordre des Sages-femmes
Madame,
Je vous remercie d’avoir répondu à mon courriel au sujet des « doulas ».
En lisant votre réponse je m’étonne que vous me fassiez dire ce que je n’ai pas écrit.
En effet le constat que j’ai pu faire devant l’apparition de ces nouvelles professionnelles accompagnant la maternité me semble répondre à un manque notoire. Dans la profession de sage-femme il y a certes un aspect organique ou somatique auquel répond une partie de la technique, et pour lequel nous sommes hautement formées, mais aussi un aspect plus psychologique, relationnel et humain (pour lequel, en ce qui me concerne, je pense aussi avoir été formée au cours de mes études). Si les gestes pratiques et la technique s’acquièrent relativement rapidement, cela est moins facile pour intégrer un savoir être et des connaissances humaines plus complexes, plus élaborées pour répondre aux besoins et aux demandes exprimées par les femmes et les couples. Ce dernier aspect semble la plupart du temps être un aspect moins prisé par les sages-femmes parce que moins valorisant d’un point de vue professionnel. « Tenir la main d’une parturiente », bien que ce ne soit pas de cela dont il soit exactement question mais évoque au moins une présence attentive, bienveillante, demeure un acte presque dévalorisé ou tourné en dérision. Sans doute est-ce l’effet de la valeur donnée à une compétence au travers de ses aspects techniques préférentiellement — le progrès scientifique et technique étant mis en exergue et en avant, plutôt que le progrès également scientifique lié aux connaissances s’attachant aux valeurs humaines, psychologiques et relationnelles etc.
J’ai donc une haute estime de ma profession et de ma place de sage-femme et en aucun cas je ne pense que les excès de technicité doivent être palliés par une nouvelle profession ; ce n’est pas mon discours.
Je reste convaincue que la mission, dans le cadre d’un suivi médical, des sages-femmes doit intégrer de multiples aspects, avec la technique qui doit rester à sa juste place comme un outil à utiliser, mais aussi et surtout avec le travail dans la relation avec le respect, l’écoute et l’échange, le soutien à l’autre. Ces dernières valeurs sont à mon sens des valeurs bien plus importantes à développer dans la profession de sage-femme car ce sont dans ces dimensions que se trouvent les germes de la prévention « aux drames épouvantables » que vous évoquez.
C’est bien pour cela que je continue à parler d’accompagnement global :
– Avec une globalité dans une cohérence et une continuité des soins, offrant un soutien et une aide liés aux aspects relationnels, par la même professionnelle notamment une sage-femme, (de la déclaration de la grossesse à la période postnatale pour toute maternité physiologique : grossesse, accouchement, soins de suite pour la mère et l’enfant),
– Qui intègre en prénatal les consultations prénatales, la préparation à la naissance et à l’accueil de l’enfant,
• et enfin des soins et un accompagnement postnatal guidant et contenant dans la genèse des liens parents-enfant, pour la mère et l’enfant, pour le couple parental, pour la famille, précoce ou non, lors du retour au domicile de la mère avec son bébé (les recommandations de la HAS sur la préparation vont tout à fait dans ce sens).
Et cela est bien l’objet de ma réflexion face à l’apparition d’une nouvelle profession comme les « doulas » qui puise son existence dans une demande exprimée des femmes et des couples, non reconnue et non prise en compte. Ces derniers ne trouvent pas ce qu’ils cherchent d’un point de vue plus relationnel dans l’accompagnement proposé actuellement par les professionnels de la naissance. Et cela je ne peux que le déplorer dans ce qui est relaté par de nombreuses femmes et couples.Cette nouvelle profession ne souhaite en aucun cas être en concurrence avec les sages-femmes (du moins c’est ce qui est formulé dans leurs propos).
Leur proposition de présence auprès des femmes ne vient pas à la place ou en place d’un suivi médical, mais pour combler l’absence de dialogue, d’écoute, de soutien et d’aide par des professionnels, souvent pressés (10 à 15 minutes par consultation au mieux 20 minutes), non disposés à entendre un autre discours que le leur. Pourtant il s’agit avant tout du vécu, d’une histoire personnelle et du corps de chaque femme en particulier. Pour que chaque femme, chaque couple puisse être acteur de sa vie encore est-il nécessaire d’accepter de les entendre et de répondre à leurs besoins réels pour qu’ils puissent mener à bien cette expérience de vie qui leur appartient avant tout. C’est la condition d’une meilleure prévention somatique et psychique : toutes les connaissances en santé publique vont dans ce sens si je ne me trompe.
Alors oui, les « doulas » peuvent trouver et prendre une place définie là où il existe des manques profonds ? A mon sens il s’agit de reconstituer une très ancienne solidarité entre les femmes notamment lors de cet événement. Ces femmes qui seraient « doulas » ont la plupart du temps vécu l’expérience de la maternité (les changements dont vous parlez ne leur sont pas inconnus et elles possèdent sans doute une intuition et une compétence acquises de fait). Une formation valable doit cependant leur être proposée (ce qui est le cas et il ne s’agit pas de trois heures de formation) pour qu’elles aient conscience de leur place, à laquelle elles seront capables de rester. Les travailleuses familiales souvent sollicitées lors de la maternité n’ont pas forcément toutes les connaissances requises en matière de maternité (qui est un temps bien spécifique) et leur approche du tout petit enfant, de l’allaitement ne sont pas nécessairement très élaborées. De plus elles ne sont pas formées pour répondre à la demande lors de l’accouchement d’une présence ou personne encourageante, bienveillante avec qui une relation de confiance s’est établie. Par exemple, quand une femme est seule, isolée, en difficulté dans sa famille ou pour toutes autres raisons, quand il n’existe pas de sages-femmes pratiquant un accompagnement global à proximité, ou quand les femmes (ou les couples) ne trouvent pas de dialogue, d’écoute auprès des professionnels et qu’elles ont besoin de voir reconnues leurs propres compétences, si elles demandent un soutien pour l’accouchement et pour l’allaitement là où rien n’existe, alors pourquoi les « doulas » ne seraient-elles pas des alliées d’abord pour les femmes et les couples, mais aussi pour les professionnel(le)s ?
En tous les cas, fondre toutes griffes dehors comme cela est fait sur cette nouvelle profession, manque de tolérance et cela évite aux sages-femmes de se regarder en face, de s’interroger sur leurs missions, de se remettre en cause pour proposer des soins tenant compte de toute la complexité de la maternité des femmes. Si des évolutions sont constatées (et vous semblez en être satisfaite, personnellement je ne le suis pas), nous sommes loin d’un aboutissement en matière d’accompagnement de la maternité de façon respectueuse et dans une vraie relation d’aide. De nombreuses femmes restent inquiètes voir angoissées, mal informées et cela entraîne des pathologies bien évidentes.
Pour finir en effet je reproche au Conseil National de l’Ordre de na pas avoir soutenu ouvertement la proposition d’Accompagnement Global à la Naissance. Il me semble que c’est l’éthique de la profession qui était en jeu, les capacités et la compétence des sages-femmes dans toute leur plénitude qui auraient été défendues. Cela est aussi le rôle du Conseil de l’Ordre des sages-femmes de le faire (pour les cotations, cela va de soit que c’est le rôle des syndicats de le négocier, je le reconnais).
Vous prenez parti et vous vous insurgez contre le rapport Thulliez et ce qui risque d’en découler concernant les études de sages-femmes (revenues à 3 ans et au niveau de la licence) dans votre communiqué du Conseil national de l’Ordre du 07 août 2006 « La commission sur l’intégration des professions médicales et pharmaceutiques au cursus LMD ».
Affirmer que la profession de sage-femme nécessite 5 années d’étude et l’ouverture vers un doctorat ne peut être qu’une juste reconnaissance du travail des sages-femmes avec toute la responsabilité qui leur incombe, mais encore faut-il se battre pour que la mission des sages-femmes aille de pair avec ce niveau de compétence. Il est décevant qu’aucune prise de position n’ait été formulée, sur le contenu, le rôle de telles professionnelles et la forme de leur exercice, et que des propositions alternatives n’aient jamais été défendues par le Conseil de l’Ordre, surtout quand cela est au bénéfice des femmes, des couples parentaux et des enfants.
Cordialement.
Christiane Jeanvoine