L’‘enfant mal­trai­té : un Nais­sant qui s’‘obstine à naître

Claude-Émile TOURNÉ

In Nais­sance et Socié­té, 5, Nais­sance et maltraitance

Actes du Col­loque “Éva­lua­tion des pra­tiques médi­cales autour de la nais­sance”, 12 juin 1998
Cahiers de l’Université de Per­pi­gnan, n° 28, 1998, 205 p.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour un col­loque, troi­sième d’une série : sous le titre géné­ral d’“Évaluation des Pra­tiques Médi­cales autour de la Nais­sance”, nous avons depuis 3 ans essayé de nous inter­ro­ger sur ce qu’il en est des pra­tiques médi­cales autour de la Nais­sance en tant qu’intervention de la Socié­té sur le phé­no­mène de venue au monde d’un de ses membres.

Le cadre géné­ral de ces col­loques est en effet le Diplôme d’Université Nais­sance et Socié­té. Né il y a 9 ans de la volon­té de réflé­chir sur les inter­ac­tions du phé­no­mène Nais­sance et du phé­no­mène Socié­té, cet ensei­gne­ment nous a conduit à élar­gir la vision que nous pou­vions avoir de la nais­sance. En même temps, il nous a per­mis de pré­ci­ser avec de plus en plus de rigueur ce qui dans la Nais­sance res­sor­tit à la nature de l’Homme et ce qui est de fait dépen­dant des condi­tions socio­cul­tu­relles du lieu et du moment où cha­cune d’entre elles se produit.

Le pré­sup­po­sé de départ était le suivant :
“Si, comme nous le pen­sons, la Nais­sance est bien le phé­no­mène cen­tral de l’espèce humaine, alors n’importe laquelle des sciences humaines doit pou­voir don­ner à la nais­sance un éclai­rage pertinent”.

Cette péti­tion de prin­cipe nous a conduit à deman­der leur inter­ven­tion à des spé­cia­listes de domaines aus­si divers que la phi­lo­so­phie, la lit­té­ra­ture, la démo­gra­phie, l’archéologie, la psy­cho­lo­gie, l’économie, l’histoire de l’art etc.

Dans le même temps, un espoir qui était le nôtre devait consti­tuer un retour pour les inter­ve­nants qui accep­te­raient de par­ti­ci­per, et c’était la deuxième pro­po­si­tion de notre présupposé :
“Si tel est bien le cas, alors du point de vue de la nais­sance on doit pou­voir pro­po­ser à cha­cune des sciences humaines un éclai­ra ge nova­teur et pro­duc­tif pour la recherche. “

Les deux pro­po­si­tions ont, de façon com­plé­men­taire, mon­tré leur per­ti­nence et leur effi­ca­ci­té. La Nais­sance a révé­lé grâce à ce tra­vail des facettes aus­si nom­breuses qu’insoupçonnées. Et les ensei­gnants et cher­cheurs qui se sont joints à nous en ont, cha­cun pour lui, trou­vé des appli­ca­tions et des voies de recherche.

Ce cor­pus nou­veau a per­mis, au fur et à mesure que pas­sait le temps et que s’accumulaient les notions nou­velles, d’envisager cer­tains aspects de la Nais­sance habi­tuel­le­ment consi­dé­rés comme dévo­lus exclu­si­ve­ment au corps social des soi­gnants avec des outils d’analyse plus per­for­mants. En même temps il appa­rais­sait que les pra­tiques sociales expri­mées par les soi­gnants, impli­quaient de façon directe l’état de la socié­té, sa struc­ture et la manière dont elle donne du sens aux choses et aux gens. C’est ain­si que, frap­pés par ce qui nous appa­rais­sait comme des dérives, nous avons réso­lu de nous inter­ro­ger sur les pra­tiques médi­cales autour de la nais­sance comme mani­fes­ta­tion la plus directe de l’intervention de la société.

Le pre­mier col­loque a cher­ché à défi­nir les ques­tions qui se posent et cher­cher les moyens de les poser correctement.

Le deuxième col­loque a mis en place les res­pon­sa­bi­li­tés, les rôles et les sta­tuts des dif­fé­rents inter­ve­nants du phé­no­mène Nais­sance. Il nous a conduit en par­ti­cu­lier à com­men­cer à défi­nir une notion nou­velle, celle de Nais­sant comme acteur prin­ci­pal de cette Nais­sance à côté de la mère et du père, à côté des soi­gnants et des autres membres de l’espèce, tous concer­nés, tous plus ou moins acteurs.

Des deux pre­miers col­loques il res­sor­tait que le Nais­sant, indi­vi­du igno­ré dans sa res­pon­sa­bi­li­té et dans son rôle, ne béné­fi­cie donc d’aucun sta­tut ? Pour­tant il est au centre du phé­no­mène, consti­tuant sa struc­ture au cours de cette période, struc­ture avec laquelle il devra expri­mer par la suite l’ensemble de sa vie. Il est le prin­ci­pal béné­fi­ciaire du pro­ces­sus quand il se déroule de façon satis­fai­sante. Il en est la prin­ci­pale vic­time lorsque les choses se passent mal, voire lorsqu’elles ne se passent pas comme on pour­rait l’espérer. Lorsque sa struc­ture est mise ain­si à mal, elle donne lieu à tous les déve­lop­pe­ments des sciences péri­na­tales. Mais lorsque c’est de sa place dans la socié­té qu’il s’agit, lorsque son sta­tut de nais­sant igno­ré débouche sur un sta­tut d’enfant refu­sé et en consé­quence mal­trai­té, alors les sciences péri­na­tales se déclarent incom­pé­tentes. Les psy­chiatres d’enfant et les tra­vailleurs sociaux prennent le relais. Pro­gres­si­ve­ment, des cher­cheurs ont éta­bli que le pro­blème était alors l’établissement du lien entre l’enfant et ses parents. Enfin dans la der­nière décen­nie, JM Delas­sus a mon­tré qu’il s’agissait du pro­blème d’une mater­ni­té psy­chique de la mère qui n’avait pas abou­ti à son accom­plis­se­ment. Mais l’implication de la Nais­sance, celle du Nais­sant, celle de celui que cela concerne au pre­mier chef, reste occul­tée, oubliée ou igno­rée. Une espèce d’interdit, de tabou, s emble inter­dire de s’interroger réel­le­ment sur ce qui s’y passe. Et cela est vrai lorsque cela se passe bien : il s’agit alors de quelque chose qui res­sem­ble­rait for­te­ment à une grâce et son résul­tat à un miracle quo­ti­dien. Mais c’est encore plus vrai lorsque cela se passe mal : il semble alors impos­sible de s’interroger vrai­ment sans encou­rir les foudres des cen­seurs que la socio­cul­ture pose en chiens de garde autour des valeurs qu’elle entend privilégier.

C’est pour­tant ce à quoi nous vous convions aujourd’hui avec la ques­tion posée par ce col­loque : la mal­trai­tance a‑t-elle quelque chose à voir avec la Nais­sance, et plus par­ti­cu­liè­re­ment avec les pra­tiques médi­cales qui s’expriment alentour.

La pre­mière consta­ta­tion que nous ferons en exergue de notre réflexion, c’est que la socié­té s’occupe de plus en plus de la gros­sesse, de l’accouchement et de tout ce qui les entoure, et de moins en moins de la Nais­sance des individus.

Le déve­lop­pe­ment des sciences et des tech­niques a abou­ti à une amé­lio­ra­tion de la sécu­ri­té de l’accouchement sans aucune com­mune mesure avec ce qui se pas­sait il y a seule­ment une tren­taine d’années. La mor­ta­li­té et la mor­bi­di­té péri­na­tales ont dras­ti­que­ment été dimi­nuées. La mor­ta­li­té et la mor­bi­di­té mater­nelles ont qua­si­ment dis­pa­ru en tant que telles.

Pour­tant, quand on s’intéresse à un phé­no­mène comme la menace d’accouchement pré­ma­tu­ré, les résul­tats de trente années de recherche, de dépis­tage, de diag­nos­tic et de trai­te­ment sont clairs : en déployant des tré­sors d’ingénierie, en uti­li­sant des mer­veilles de tech­no­lo­gie, en déver­sant des tom­be­reaux de médi­ca­ments dans les veines et dans les fesses des femmes enceintes, le gain moyen en pro­lon­ga­tion d’une gros­sesse mena­cée d’accouchement pré­ma­tu­ré est de DEUX JOURS. Or cette lutte contre l’accouchement pré­ma­tu­ré a été consi­dé­rée comme la prio­ri­té des prio­ri­tés et son résul­tat comme le mar­queur de l’efficacité des méthodes modernes de la péri­na­to­lo­gie. Il faut bien se rendre à l’évidence : l’échec est cinglant.

La rai­son nous paraît être dans l’ignorance voire l’occultation déli­bé­rées de la réa­li­té sui­vante : la Nais­sance est un phé­no­mène natu­rel de notre espèce ; par contre la gros­sesse et l’accouchement sont des phé­no­mènes culturels.

C’est vrai dans toutes les cultures. Chaque socié­té humaine imprime aux gros­sesses et aux accou­che­ments la marque de ses pré­sup­po­sés. L’importance de la nais­sance comme phé­no­mène cen­tral de l’espèce conduit chaque groupe humain à recher­cher les voies et les moyens de son opti­mi­sa­tion. Mais, c e fai­sant, il imprime aux pro­ces­sus une marque cultu­relle. Cette marque sera d’autant plus pré­gnante que les sciences et les tech­niques seront plus évoluées.

Mais les cultures sont deve­nues socio­cul­tures. En effet le déve­lop­pe­ment des socié­tés humaines s’accompagne du déve­lop­pe­ment du lan­gage comme véhi­cule de l’information et de la divi­sion tech­nique du tra­vail comme moyen d’augmenter l’efficacité et la pro­duc­ti­vi­té de cette acti­vi­té humaine spé­ci­fique. Il s’ensuit une struc­ture pro­gres­si­ve­ment de plus en plus dés­in­té­grée de la conscience des hommes. Il s’ensuit aus­si une orga­ni­sa­tion sociale fixant une hié­rar­chie de domi­nance basée sur l’établissement des rap­ports de pro­duc­tion qui naissent à l’occasion de l’activité spé­ci­fique de tra­vail. Il s’ensuit que la soci ocul­ture est l’expression de cette hié­rar­chie de domi­nances. L’idéologie domi­nante qu’elle sécrète et impose est donc l’expression de la pen­sée, de l’idéologie des dominants.

On ne sera donc pas sur­pris que dans nos sys­tèmes le déve­lop­pe­ment des sciences et des tech­niques ait conduit, en matière de nais­sance comme en toute autre matière, à pri­vi­lé­gier le côté “ren­table” des com­por­te­ments sociaux qui s’y rap­portent, tant en maté­riel et en organisation.

Pen­dant des mil­lé­naires, dans des socié­tés où le fac­teur humain de pro­duc­tion était le fac­teur le plus impor­tant, la repro­duc­tion était pri­vi­lé­giée. Le sens don­né à la repro­duc­tion était posi­tif. La pro­duc­tion (qui pro­fite aux domi­nants) appa­rais­sait comme un élé­ment déter­mi­né dans ses pos­si­bi­li­tés de déve­lo ppe­ment par la démo­gra­phie et donc par la repro­duc­tion. Les repro­duc­teurs étaient valorisés.

Les gains de pro­duc­ti­vi­té, dus au déve­lop­pe­ment des sciences et des tech­niques ont pro­gres­si­ve­ment fait pas­ser au second plan dans la pro­duc­tion les fac­teurs humains comme forces pro­duc­tives par rap­port au capi­tal inves­ti. Il s’en est sui­vi une déva­lo­ri­sa­tion du repro­duc­teur qui ne fait que pro­duire, et à long terme encore, du fac­teur humain, par rap­port au pro­duc­teur qui pro­duit, à court terme, de la plus-value.

Citons deux mani­fes­ta­tions de cette ten­dance : l’importation mas­sive de main d’œuvre étran­gère dans un temps cède la place à une volon­té de la reje­ter dès que sa pro­duc­ti­vi­té immé­diate n’est plus inté­res­sante. Toutes les jus­ti­fi­ca­tions idéo­lo­giques sont alors uti­li­sées jusques et y com­pris celles qui lui dénient la digni­té humaine.

Une autre mani­fes­ta­tion de la même ten­dance est la valo­ri­sa­tion des com­por­te­ments “mater­nels” de nos ministres ou pré­sen­ta­trices télé qui tra­vaillent jusqu’à la veill e de leur accou­che­ment et reprennent le tra­vail le len­de­main. Elles sont le porte-parole d’un sens social de la pro­créa­tion qui dit : moins de temps on y passe et mieux ça vaut.

On com­prend ain­si que le phé­no­mène NAISSANCE en tant que fait de NATURE soit un obs­tacle objec­tif au déve­lop­pe­ment de la GROSSESSE et l’ACCOUCHEMENT comme fait de culture.

Il faut donc l’occulter au maxi­mum, seul le fait de culture doit être pri­vi­lé­gié. Moins on par­le­ra de la Nais­sance et mieux cela vau­dra. Une des manières les plus effi­caces d’utiliser le lan­gage et ses per­ver­sions pour abou­tir à ce résul­tat ce sera d’utiliser le mot nais­sance pour dési­gner tout et n’importe quoi. Habi­tuel­le­ment le mot cou­rant désigne des temps, des moments, le plus sou­vent l’accouchement, par­fois la gros­sesse. Mais sur­tout pas la Nais­sance, période de struc­tu­ra­tion de l’humain, période où il consti­tue son être maté­riel et social.

La signi­fi­ca­tion de la Nais­sance, fait de Nature, est de plus en plus éloi­gnée du sens que lui donne la socio­cul­ture. Il est donc indis­pen­sable de l’occulter au maximum.

Les indi­vi­dus de l’espèce humaine ont la par­ti­cu­la­ri­té de savoir qu’ils sont mor­tels, de se savoir mor­tels. C’est presque une défi­ni­tion. On pour­rait ajou­ter que du coup, sur­tout et dans le même temps, ils se savent vivants. Ils se regardent vivre, mou­rir certes, mais naître aus­si. Ils deviennent conscients du fait qu’ils sont mor­tels, donc vivants. Cette prise de conscience est plus vague, moins pré­sente. Elle a beau­coup moins été déve­lop­pée par les p orte-parole auto­ri­sés de la socio­cul­ture que sont les phi­lo­sophes et les théo­lo­giens. Cela est pro­ba­ble­ment dû au fait que le vivant, du fait de son orga­ni­sa­tion qui le pousse à main­te­nir sa struc­ture coûte que coûte pour assu­rer sa sur­vie est un rebelle en puis­sance. Que dire alors du fait qu’il serait né d’autre chose que d’une volon­té “trans­cen­dante”, que dire du fait qu’il aurait pu être acteur à part entière de sa struc­tu­ra­tion, qu’il aurait eu sa part de res­pon­sa­bi­li­té dès l’origine dans son adve­nue dans la socié­té. Le moins pos­sible bien sûr. Car la prise de conscience de cette res­pon­sa­bi­li­té le pose­rait comme sujet dès l’initiation du pro­ces­sus de Nais­sance avec toutes consé­quences que cela entraî­ne­rait pour les autres d’exigence d’en res­pec­ter le déroulement.

D’où cette conscience pour cha­cun de nous, impé­ra­tive du fait de son ori­gine, mais main­te­nue dans le vague par sa non valo­ri­sa­tion sys­té­ma­tique, qu’il a été cet acteur cen­tral de sa Nais­sance, ce nou­veau venu qui fait sa struc­ture et sa place avec et dans la struc­ture et la place des autres.

A cause pro­ba­ble­ment de ce mode de mémo­ri­sa­tion par­ti­cu­lière en struc­ture et non en mémoire de la période où cha­cun de nous a été ce pas­sa­ger du ventre mater­nel, fruit d’un désir et por­teur d’un espoir, mais sur­tout acteur d’un pro­ces­sus qui l’amènera à venir se confron­ter pour faire sa place, à l’image que l’on s’est faite de lui. D’où sur­tout cette conscience du fait que quand on parle de Nais­sance, cha­cun entend que l’on parle de sa Nais­sance à lui.

On glose int ermi­na­ble­ment sur la mort, et cela est facile car il s’agit néces­sai­re­ment de la mort des autres, puisque nous sommes des vivants et que la mort est exclu­sive de la vie. Par contre, quand il entend par­ler de Nais­sance cha­cun entend non moins néces­sai­re­ment par­ler de celui qu’il a été, et qui ne peut, sauf à être dis­qua­li­fié de son auto­no­mie et de sa com­pé­tence actuelle, qu’avoir été un acteur authen­tique et res­pon­sable du pro­ces­sus. Alors ou bien on parle vite d’autre chose, ou bien on doit accep­ter de don­ner un sta­tut à cet indi­vi­du au rôle et à la res­pon­sa­bi­li­té évi­dente : ce sta­tut, c’est celui du Naissant.

Seule­ment voi­là, la prise de conscience passe par le reflet.

Le reflet, c’est ce qui émerge à la conscience pour le reflet conscient. C’est aus­si tout ce qui, de l’environnement et du milieu, “affecte” le sys­tème ner­veux central.

Toute sti­mu­la­tion d’un organe sen­so­riel abou­ti­ra à pro­duire dans les struc­tures ner­veuses cen­tral es une “per­tur­ba­tion”, un “affect” pro­vo­quant la chaîne déco­dage – réponse. Cet affect né à l’interface de l’individu et du monde par l’intermédiaire des organes sen­so­riels est une sensation.

Les sen­sa­tions issues de l’intérieur du corps (le milieu inté­rieur) se com­portent de la même façon. Ceci nous amène déjà à conce­voir que les phé­no­mènes qui se pro­duisent dans les struc­tures ner­veuses et qui viennent affec­ter le corps phy­sique (le soma) par leurs ser­vo­mé­ca­nismes en retour, se pro­duisent dans un espace dif­fé­rent de l’espace soma­tique. Cet espace est celui du psychisme.

La plu­part des sen­sa­tions res­tent non conscientes. Mais toutes peuvent deve­nir conscientes sous la pres­sion de la néces­si­té adap­ta­trice ou du choix délibéré.

L’impression est un pro­ces­sus dif­fé­rent : il concerne les mêmes affects mais il les traite de façon incons­ciente pour en lais­ser une trace dans les struc­tures ner­veuses. Cette trace cor­res­pond au codage par­ti­cu­lier d’un réseau d’interconnexions neu­ro­nales. Elle s’installe dans les struc­tures ner­veuses soit de façon labile (c’est la mémoire à court terme), soit de façon durable (c’est la mémoire à long terme).

Dans la période de Nais­sance, l’impression se fait de manière différente.

Nous avons défi­ni la Nais­sance comme la période la vie où l’information-structure de l’individu est ouverte et sou­mise aux ser­vo­mé­ca­nismes en pro­ve­nance de l’environnement. Cette période, nous avons pro­po­sé de lui trou­ver un terme au moment où la plu­part des études psy­cho­lo­giques et psy­cha­na­ly­tiques montrent qu’avant lui il n’y a pas de mémoire. Or d’autres tra­vaux ont mon­tré que des traces mémo­rielles peuvent être retrou­vées chez l’individu de cette période “sans mémoire”. Nous pen­sons que, si cette période est sans mémoire, c’ est parce que ce qui s’imprime alors le fait sur la struc­ture en for­ma­tion. Il n’y a pas de mémoire, il n’y a que de la struc­ture. L’impression, à ce stade, par­ti­cipe à la for­ma­tion de la struc­ture du sys­tème nerveux.

Le reflet psy­chique est donc l’activateur, le modem du SNC, ce qui affleure aux sur­faces du “conscient” et de l’ “auto­ma­tique”, c’est ce qui est uti­li­sable et uti­li­sé. En même temps le reflet est ins­tan­ta­né, tota­le­ment labile. C’est lui qui fait agir, pen­ser, réagir, dans le ici et main­te­nant. Il peut lais­ser une trace mémo­rielle s’il est trai­té par le méca­nisme d’impression. Il est pro­ba­ble­ment trai­té sys­té­ma­ti­que­ment de cette manière, mais c’est la labi­li­té de l’impression qui com­man­de­ra sa durée dans les struc­tures nerveuses.

L’impression, la trace mémo­ri­sée des affects, sto­ckée dans la mémoire ou dans la struc­ture, se com­por­te­ra comme un affect par­ti­cu­lier. Il fau­dr a qu’elle “affecte”, qu’elle “émerge”c’est-à-dire qu’elle soit reflé­tée pour pou­voir être uti­li­sée et uti­li­sable. La trace mémo­ri­sée des affects consti­tue pour le sujet un des maté­riaux avec les­quels il va consti­tuer sa conscience. Pour affleu­rer à la sur­face de cette conscience, pour deve­nir objet de pen­sée, elle doit subir le même trai­te­ment que tout autre affect, sen­so­riel par exemple. En par­ti­cu­lier, le reflet qui s’en for­me­ra doit être accep­table sinon il sera trai­té comme un élé­ment intrus agres­sif et trai­té comme tel.

Une des condi­tions de la for­ma­tion du reflet est donc l’acceptabilité à l’interface. Comme le reflet est par struc­ture com­po­site, et que cette accep­ta­bi­li­té avec ses consé­quences va déter­mi­ner un des élé­ments qui le com­posent, elle va le déter­mi­ner com­plè­te­ment. Cela mérite une explication.

Le reflet est le résul­tat d’une série de fonc­tions condi­tion­nelles (struc­ture de l’affect, sen­sa tion, trans­port, etc…). Cha­cun des maillons de la chaîne trans­forme radi­ca­le­ment le résul­tat. Ce qui, au bout de la chaîne, va faire agir ou réagir les struc­tures réflexes ou émer­ger à la conscience sera un affect com­po­site dont le chan­ge­ment, la trans­for­ma­tion voire la simple varia­tion d’un seul élé­ment change radi­ca­le­ment la “valeur”. Le reflet est une image psy­chique dont le com­por­te­ment en tant qu’affect sera iden­tique à celui d’une image clas­sique de la réa­li­té telle que cha­cun peut l’expérimenter à tout instant.

Nous sommes en effet dans la loi du tout ou rien par le jeu du saut qua­li­ta­tif. Les élé­ments com­po­sant le reflet sont cha­cun com­po­sites avec à la base une struc­ture qua­li­ta­tive et un varia­teur quan­ti­ta­tif dépen­dant du “ici et main­te­nant”. Le”tout”constituant le reflet qui se forme sera signi­fiant d’un aspect de la réa­li­té dans le ”ici et main­te­nant”. Il sera dif­fé­rent de moment en m oment. L’écoulement du temps fait que le reflet d’une même chose sera en per­ma­nence dif­fé­rent, qu’à chaque ins­tant du temps les struc­tures ner­veuses seront affec­tées dif­fé­rem­ment par la même chose.

D’autant qu’en fait la chose change aus­si avec le temps. Elle ne parait immuable que sur un laps de temps suf­fi­sam­ment court. Et la vie d’un indi­vi­du est suf­fi­sam­ment courte pour que les reflets suc­ces­sifs de la même chose appa­raissent comme équi­va­lents pour l’observateur.

Ses struc­tures ner­veuses changent aus­si avec leurs élé­ments de réfé­rence, leurs condi­tions émo­tion­nelles etc. Et leur trans­for­ma­tion est suf­fi­sam­ment rapide pour que le sujet puisse per­ce­voir la même chose avec des traces mémo­ri­sées consciem­ment dif­fé­rentes. (Exemples :la taille des mêmes objets n’est pas la même pour un enfant et pour la même per­sonne deve­nue adulte).

Notion d’agression et de réponse à l’agression en matière de reflet

Si l’acceptabilité du reflet de l’affect est mau­vaise, il se com­porte comme un agent agres­sif auquel l’organisme va répondre sui­vant les modes habi­tuels de réponse à l’agression, soit la fuite soit la lutte ou réponse agressive.

Ce filtre d’acceptabilité ne concerne que la for­ma­tion du reflet conscient.

La fuite consis­te­ra en une occul­ta­tion de l’affect, un refus de le lais­ser émer­ger tel quel à la conscience .

La lutte ou réponse agres­sive consis­te­ra en une dis­tor­sion du reflet qui émerge. C’est ce que le lan­gage cou­rant désigne sous les termes de “refus de regar­der la réa­li­té en face”. C’est aus­si le méca­nisme du refou­le­ment de l’affect mémorisé.

En même temps, plus le reflet tel qu’il émerge sera gra­ti­fiant, plus il béné­fi­cie­ra de réenforcement.

L’individu vit dans un envi­ron­ne­ment dont il n’appréhende qu’une par­tie de la réa­li­té. Elle dépend de ses sens, de leur qua­li­té de récep­tion, de la qua­li­té de déco­dage de l’information reçue.

Le monde est pour lui un ensemble d’“impressions” dont les asso­cia­tions sont infi­nies dans leurs “pos­si­bi­li­tés” (théo­ri­que­ment infi­nies) mais le nombre des affects pos­sibles est limi­té (par les sens). Seul change le niveau d’intensité de cha­cun d’eux et leur répar­ti­tion dans l’association qui conduit au reflet.

Ce reflet est appe­lé image quand il concerne une chose. L’image est un ensemble d’affects asso­ciés : forme, cou­leur, odeur etc.

On réser­ve­ra le mot “impres­sion” à ce qui s’imprime comme mémoire de l’être :
• soit dans la struc­ture pen­dant la période de Nais­sance. Il s’agit pro­ba­ble­ment de ce que les étho­lo­gistes ont appe­lé l’empreinte. Impri­mée dans la struc­ture elle condi­tion­ne­ra toute la vie de l’individu. Ceci d’autant plus que cette empreinte recon­naît un moment bien pré­cis pour sa mise en place. La plus clas­sique est celle qui concerne l’image mater­nelle pour la petite oie au sor­tir de son œuf décrite par K. Lorenz. Il nous semble que ce méca­nisme se met en place chez le mam­mi­fère dès les pre­miers ins­tants du développement.
• soit dans la mémoire ner­veuse par la suite : ces élé­ments mémo­ri­sés seront acces­sibles à la prise de conscience et uti­li­sables dans les pro­ces­sus associatifs.
• soit dans l’”inconscient” c’est-à-dire dans la mémoire non direc­te­ment acces­sible à la conscience et qui ne le devien­dra que par à‑coups et sous la pres­sion des circonstances.

Par com­pa­rai­son avec ce qu’il est conve­nu d’appeler l’intelligen ce arti­fi­cielle, les élé­ments impri­més en struc­ture cor­res­pon­dront au sys­tème de l’ordinateur, les élé­ments mémo­ri­sés à la mémoire, les élé­ments sto­ckés dans l’inconscient au logi­ciel. Le sys­tème condi­tion­ne­ra tout le fonc­tion­ne­ment de l’ordinateur quelle que soit la taille et le conte­nu de la mémoire, quelle que soit la diver­si­té et la qua­li­té des logi­ciels. Ceux-ci devront d’ailleurs lui être ”com­pa­tibles”. Les logi­ciels asso­ciés au sys­tème condi­tion­ne­ront la forme de sto­ckage et l’utilisation des élé­ments sto­ckés en mémoire.

Mais en tout état de cause, ce qui émerge à la conscience, ce qui appa­raît sur l’écran de l’ordinateur, c’est tou­jours le reflet
• soit de la réa­li­té exté­rieure per­çue par les cinq sens, le plus sou­vent de manière directe, immé­diate, éven­tuel­le­ment par médiation
• soit des élé­ments mémo­ri­sés de la réa­li­té : le conte­nu de la mémoire impri­mé dans la struc­ture et dans les sys­tèmes de mémorisation.

Le reflet dépend de toute une série d’éléments dont cha­cun aura une influence déter­mi­nante sur le résul­tat final uti lisable.

Il dépen­dra d’abord de la réa­li­té de la chose reflé­tée, de ses qua­li­tés phy­siques (taille, poids, tem­pé­ra­ture, struc­ture…), chi­miques (com­po­si­tion), de son accessibilité…
Il dépen­dra ensuite de la qua­li­té de l’information, le signe reçu par les sys­tèmes sen­so­riels et qui ne rece­vra de sens qu’à leur contact. Cette qua­li­té dépend du mode de trans­port, des milieux tra­ver­sés, de l’action d’émission, du tra­jet emprunté.

Il dépen­dra en outre de la qua­li­té de la récep­tion, c’est-à-dire du signal deve­nu signi­fiant au sor­tir des organes récep­teurs puis des sys­tèmes trans­met­teurs et enfin des centres intégrateurs.

Il dépen­dra enfin de la qua­li­té de la recons­truc­tion de l’image c’est-à-dire de sa per­cep­tion consciente en fonc­tion des modèles expé­ri­men­taux ou cultu­rels, en fonc­tion du sens don­né à cet affect par la socioculture.

Il dépen­dra sur­tout in fine de l’acceptabilité de cette image. Car a l’interface sujet-monde, au moment d e lais­ser péné­trer un affect sous forme de reflet dans les struc­tures ner­veuses, l’organisme PSYOCMHAOTIQUE se com­por­te­ra vis-à-vis de cet affect comme vis-à-vis de toute ten­ta­tive d’effraction de la réa­li­té exté­rieure soit dans son enti­té soma­tique, soit dans son ter­ri­toire. L’identification de cet affect comme gra­ti­fiant ou agres­sif sera une mesure sys­té­ma­tique comme pour toute situa­tion extérieure.

L’affect iden­ti­fié comme gra­ti­fiant sera réen­for­cé et s’exprimera dans toutes ses qua­li­tés posi­tives, y com­pris si au pas­sage quelques élé­ments néga­tifs se perdent en route.

L’affect iden­ti­fié comme agres­sif fera l’objet d’une réac­tion de fuite ou de lutte.

Mais en tout état de cause cette réac­tion par rap­port à cet affect se met­tra en œuvre avant la for­ma­tion du reflet. Notons immé­dia­te­ment qu’elle res­te­ra donc par­fai­te­ment inconsciente.

Le reflet est le mode uti­li­sable par les struc­tures ner­veuses de l’information-circulante. Au-delà de la période de Nais­sance, l’information-circulante ne chan­ge­ra plus les carac­té­ris­tiques de l’information-structure. Elle déter­mi­ne­ra, par ser­vo­mé­ca­nisme, les com­por­te­ments de l’individu orga­nisme total PSYOCMHAOTIQUE. Mais l’Information-circulante n’interviendra en pra­tique que par l’int ermé­diaire de son reflet.

L’Information-circulante a une signi­fi­ca­tion (sui­vant la défi­ni­tion ci-dessus). Elle n’acquiert un sens que sous la forme de son reflet.

La socié­té est l’ensemble inter­ac­tif des indi­vi­dus et de leurs groupes. Les rela­tions sociales dans une socié­té don­née sont le résul­tat d’une com­bi­na­toire “accep­table” par tous les indi­vi­dus qui la com­pose dans le “Ici et Main­te­nant” du reflet psy­chique que cha­cun a de la réa­li­té. Com­bi­na­toire “accep­table” ne signi­fie pas accep­tée. Elle peut, elle est sou­vent impo­sée aux indi­vi­dus par les sys­tèmes répres­sifs plus ou moins appa­rents et phy­si­que­ment actifs. En fait l’enseignement, la morale, l’éducation, l’utilisation des mass médias façonne le reflet psy­chique des indi­vi­dus. Confron­tés cha­cun à ses pro­blèmes de sur­vie immé­diate, les indi­vi­dus ne peuvent reflé­ter de la réa­li­té que ce qui s’en pré sente (l’environnement immé­dia­te­ment acces­sible à la per­cep­tion sen­sible) ou ce qui en est pré­sen­té par les moyens de com­mu­ni­ca­tion, indi­vi­duel et col­lec­tifs. Les média aux mains des domi­nants du sys­tème imposent des repré­sen­ta­tions de la réa­li­té qui seront à la base de la for­ma­tion du reflet psy­chique des indi­vi­dus. La com­bi­na­toire des reflets psy­chiques sera d’autan t plus accep­table que d’une part les reflets psy­chiques seront plus proches, et que d’autre part la com­bi­na­toire “la meilleure” sera pro­po­sée par­mi les élé­ments d’information trans­mises par les médias.

Et je sou­li­gne­rai à ce pro­pos que l’utilisation du mot infor­ma­tion pour dési­gner ce que trans­mettent les médias et moyens d’éducation n’est ni for­tuite ni iro­nique. Il s’agit bien d’éléments d’information. Il faut sim­ple­ment ajou­ter ce qui est habi­tuel­le­ment sous-entendu (la com­po­sante illo­cu­toire du mot), infor­ma­tion du reflet psy­chique indi­vi­duel, c’est-à-dire mise en forme, mise sous une forme déter­mi­née, de ce reflet psy­chique individuel.

La com­bi­na­toire des reflets psy­chiques, infor­més de façon iden­tique, y com­pris sur ce qui est une “com­bi­na­toire accep­table” des reflets psy­chiques, sera sans grand conteste “accep­table” pour le plus grand nombre. Cette com­bi­na­toire résulte dans un reflet social : c’est le sens impo­sé par la forme ¡ sociale. C’est lui qui rend “accep­table” au bout du compte le mode d’interaction entre les indi­vi­dus et les groupes d’individus. Pour les indi­vi­dus, la mise en place des modèles donne du sens aux affects et per­met de les clas­ser comme accep­tables ou inac­cep­tables, avouables ou non quand ils s’originent à l’intérieur de l’individu. Ces modèles par­ti­ci­pe­ront ain­si tout natu­rel­le­ment à la mise en place et au fonc­tion­ne­ment des filtres d’affects dont nous avons vu qu’ils sont un élé­ment déter­mi­nant de la for­ma­tion du reflet psy­chique de chacun.

Le lan­gage, par sa struc­ture même et son mode de for­ma­tion dans l’évolution du reflet psy­chique de l’espèce, fixe et sta­bi­lise la signi­fi­ca­tion. Cette signi fica­tion est et reste incons­ciente dans le sens où elle est ce qui, dans la réa­li­té des choses qu’elle désigne, pré­existe à la conscience que le sujet peut en avoir.

Par fonc­tion struc­tu­relle, il véhi­cule cette signi­fi­ca­tion : c’est sa fonc­tion locu­toire. Ce que dit le lan­gage, c’est la signi­fi­ca­tion, c’est-à-dire ce qui, de la réa­li­té des choses, est et res­te­ra absent de la conscience.

Mais il véhi­cule aus­si le sens grâce à sa fonc­tion illo­cu­toire. Plus ou moins des-intégré de sa signi­fi­ca­tion en fonc­tion du degré d’évolution de la socié­té dans laquelle il est uti­li­sé, le sens est ce qui, du lan­gage, appa­raî­tra à la conscience du sujet. Sa forme d’apparition sera le reflet de la réa­li­té qu’il est cen­sé repré­sen­ter, reflet qui se forme avec toutes les contin­gences et ava­tars que nous en avons pré­cé­dem­ment décrits. Tra­vaillant au niveau du lan­gage qui consti­tue la conscience pra tique de l’individu, la base et le mode de fonc­tion­ne­ment de sa conscience, la mise en forme de ce reflet sera à la base du tra­vail de mise en forme de ce qu’il est conve­nu d’appeler la pen­sée de cet individu.

Au bout du compte le reflet psy­chique don­ne­ra un sens à la réa­li­té plus ou moins éloi­gné de sa signification.

Dépen­dant de ses modèles de réfé­rence, le sens don­né par l’individu est donc très dépen­dant de la socio­cul­ture et l’information est une mise en forme du reflet.

L’asymétrie d’information qui donne aux domi­nants un outil de pou­voir, le fait par l’intermédiaire d’une mise en forme du reflet des indi­vi­dus qui donne du sens à la réalité.

Le sens don­né par les indi­vi­dus à la réa­li­té dépend donc de la socioculture.

Ceci explique l’invraisemblable dérive de la pro­fes­sion obs­té­tri­cale : dans la der­nière période le nombre d’interventions au cours des a ccou­che­ments ne cesse d’augmenter :
• 50 % de péridurales
• 20 % de césariennes
• plus de 70% d’interventions de toute nature

Car les modèles qu’impose la socio­cul­ture prennent des formes de dif­fu­sion qui en font aujourd’hui une obli­ga­tion pour le pro­fes­sion­nels. Les confé­rences de consen­sus sont des réunions de spé­cia­listes qui font sem­blant de confron­ter le points de vue. En fait ces der­niers sont soi­gneu­se­ment choi­sis pour aller tous dans le même sens. De leurs tra­vaux res­sort ce que l’on appelle un consen­sus. Sur un thème don­né il donne alors les direc­tives du bien faire. Ceci pour­rait n’avoir qu’un inté­rêt anec­do­tique si dans le même temps les tri­bu­naux ne jugeaient pas en matière médico-légale sur la base des “don­nées acquises de science”. Ne pas faire ce qui est requis par la socio­cul­ture devient alors pas­sible de condam­na­tion judiciaire.

Or la Nais­sance (sur­gis­se­ment d’un être dans un monde fini, limi­té, dont il va modi­fier les limites et la struc­ture) c’est d’abord un reflet pour les autres.

A côté des méca­nismes propres au déve­lop­pe­ment soma­tique géné­ti­que­ment pro­gram­mé la Nais­sance c’est d’abord l’apparition de l’être en tant que reflet pour les autres : cela se tra­duit par les notions de
• mater­ni­té­con­sé­quences au niveau des individus
• pater­ni­té­con­cer­nés de l’apparition dans leurs struc-
• paren­ta­li­té tures ner­veuses du reflet de la Naissance

La mater­ni­té est un état psy­chique. C’est quelque chose qui se joue dans les struc­tures ner­veuses indé­pen­dam­ment des pro­ces­sus bio­lo­giques. C’est un phé­no­mène qui va s’apparenter de ce point de vue à la pater­ni­té par exemple.

Une pre­mière ques­tion se pose en effet me semble-t-il au moment de par­ler de mater­ni­té : la mater­ni­té exige-t-elle un enfant pour se produire ?

On sait par exemple que la gros­sesse dite ner­veuse conduit une femme non enceinte a vivre la plu­part des symp­tômes de gros­sesse. Bio­lo­gi­que­ment dans ces situa­tions il se pro­duit un blo­cage de l’activité mens­truelle. L’apparition du gros ventre est le pro­duit arti­fi­ciel de la prise de poids et des intes­tins dilatés.

En fait sur le plan bio­lo­gique, il se pro­duit un blo­cage d’une struc­ture ner­veuse de com­mande cher­chant à repro­duire un “modèle” de type conscient.

A l’origine on peut infé­rer des habi­tudes de pen­sée qu’il y aurait le “désir”. Mais le désir de quoi ? Est-ce un désir de maternité ?

Cela vou­drait dire que la mater­ni­té est un état dési­rable. Peut-on dési­rer être mère comme on peut dési­rer être nonne, ins­ti­tu­trice ou capi­taine des pom­piers ? Cela dépend évi­dem­ment du modèle de mère que l’on a à sa dis­po­si­tion. Cela dépend de la construc­tion, du mode de struc­tu­ra­tion de ce modèle.

D’emblée nous pos­tu­le­rons qu’il n’y a pas d’être sans mère, au moins bio­lo­gi­que­ment, donc il n’y a pas d’individu sans modèle de mère.

Néces­sai­re­ment ce modèle est construit en deux ”strates” successives.

En struc­ture : pen­dant toute la période de Nais­sance l’individu se struc­ture avec cette rela­tion fon­da­men­tale à la mère.

Trois temps suc­ces­sifs peuvent être décrits :le temps de la sym­biose, le temps de la dépen­dance, le temps de la frustration-autonomisation-ouverture sur le monde.

Deux termes de pas­sage séparent les trois temps :
• l’accouchement (enfan­te­ment pour la mère, expul­sion pour l’enfant).
• l’intervention des autres pour accé­lé­rer la séparation

La sym­biose : c’est le temps de la gros­sesse. C’est bien une sym­biose entre l’organisme mater­nel ”para­si­té” et qui accepte le para­si­tisme et l’organisme fœtal qui se nour­rit du maternel.

L’organisme mater­nel conserve sa mobi­li­té, son auto­no­mie motrice dans l’environnement et ses rela­tions avec les autres. Sa vie conti­nue avec deux exi­gences : man­ger et boire, le “copu­ler” étant deve­nu secondaire.

L’organisme fœta l dis­pose d’une com­plète auto­no­mie de fonc­tion­ne­ment tout en étant tota­le­ment dépen­dant. Par l’intermédiaire du pla­cen­ta, il récu­père de quoi satis­faire ses besoins fon­da­men­taux. Il trans­forme, comme tout être vivant, son envi­ron­ne­ment (mater­nel) à son profit.

Il s’agit bien d’une sym­biose puisque l’organisme mater­nel acquiert des carac­té­ris­tiques propres à assu­rer le pro­ces­sus de gros­sesse puis d’enfantement tan­dis que l’organisme fœtal pro­fite tota­le­ment de la situa­tion. Sa struc­ture se consti­tue grâce à deux types d’informations : l’information géné­tique, pré­do­mi­nante à ce moment, et l’information envi­ron­ne­men­tale qui peut, dès ce moment, impo­ser des modi­fi­ca­tions au dérou­le­ment du programme.

Cette période de sym­biose est déjà un moment où le reflet du mater­nel s’inscrit dans les struc­tures ner­veuses du fœtus.

Les affects qui en pro­viennent — sonores comme la voix, le cœur, les gar­gouillis — olfac­tifs et gus­ta­tifs par les modi fica­tions chi­miques de l’environnement fœtal — pro­prio­cep­tifs par les modi­fi­ca­tions adap­ta­tives aux varia­tions de l’homéostasie mater­nelle — se reflètent en struc­ture dans le sys­tème ner­veux du bébé, par inter­fé­rence avec le pro­gramme géné­tique de développement

À ce stade, la mère imprime la marque cos­mique d’un tout envi­ron­nant. Elle est le monde dans sa tota­li­té puisque le monde n’affecte le bébé que par son inter­mé­diaire. Elle est en même temps par exemple la voix du père que le bébé retrou­ve­ra, dis­tincte, quand sera inter­ve­nue la pre­mière rupture.

L’accouchement consti­tue la rup­ture de cette sym­biose. Il marque la fin de la période cos­mique de la mère pour le bébé. Il en sort pour accé­der un autre monde. Il sort du monde-mère pour venir dans un monde dont la mère n’est que partie.

La dépen­dance : les retrou­vailles avec la mère-partie du monde per­mettent de com­bler à nou­veau le manque pré­vi­sible. Les affects changent. La recon­nais­sance /retrouvailles de quelques-uns des affects anté­rieurs per­met de sur­vivre. La dépen­dance va avec la perte de l’autonomie. Les com­mandes ne sont plus des ser­vo­mé­ca­nismes. L’apprentissage de l’attente fait faire celui de la ten­sion, rapi­de­ment com­pen­sé par la détente de la satisfaction.

Du fonc­tion­ne­ment linéaire de la sym­biose où les seuls rythmes étaient les rythmes bio­lo­giques mater­nels sans consé­quences sur la satis­fac­tion des besoins fon­da­men­taux, bébé passe bru­ta­le­ment à un fonc­tion­ne­ment sinu­soïde fait de périodes de réplétion- satisfaction-détente et de périodes de vide-frustration-tension.

Le mater­nage (câlins, caresses, peau à peau…) per­met de pas­ser le temps en atten­dant les périodes fastes. Il acquiert une valeur de satis­fac­tion, ou plu­tôt d’équivalent-satisfaction.

S’impriment alors en struc­ture ce qui sera nom­mé un jour le désir et le plai­sir. La bouche se repère comme organe pre­mier média­teur et ori­gine de ce couple désir-plaisir.

S ‘imprime aus­si l’attente confor­table de la satis­fac­tion du désir par le mater­nage et la peau, l’odorat et l’ouïe comme organes seconds dans la sinu­soïde plaisir-désir .

Dans cette période le modèle-mère perd sa dimen­sion cos­mique pour revê­tir celle d’une dea ex machi­na. Dans un monde où elle n’est plus le tout, elle conserve la toute puis­sance de com­bler le manque, de rem­plir le vide, de com­pen­ser le défaut et d’apporter un type nou­veau de satis­fac­tion par le mater­nage : celui de com­bler le manque de pré­sence, de “cha­leur humaine”, de communication.

La mère qui va et vient dans le monde devient très rapi­de­ment un autre. C’est la pre­mière expé­rience de l’AUTRE comme dif­fé­rent de SOI, comme par­te­naire d’une rela­tion qui peut man­quer. A côté de la connais­sance du couple désir-plaisir, s’installe, par la néces­si­té des rythmes bio­lo­giques, la connais­sance du couple absence-présence qui revêt des carac­té­ris­tiques semblables.

Le désir est impé­rieu­se­ment repré­sen­té par la sen­sa­tion cénes­thé­sique du vide, du manque, du dés­équi­libre homéo­sta­tique mena­çant. Le manque-absence de la mère, l’AUTRE tout-puissant com­pé­tent pour rame­ner le plai­sir, aigui­se­ra les sens, organes capables de déce­ler dans l’environnement la pré­sence de cet AUTRE et d’en faire, par assi­mi­la­tion, un suc­cé­da­né de plai­sir. C’est le plai­sir des sens, c’est-à-dire pro­cu­ré par des sen­sa­tions. Sans base maté­rielle de satis­fac­tion d’un manque, dérive de ce manque pre­mier, il inves­tit l’AUTRE-mère de toutes les qua­li­tés du dési­rable. Le modèle de mère qui s’imprime dans la struc­ture est, dans cette période où alternent les phases de la sinu­soïde, et où la dépen­dance se double rapi­de­ment de la frus­tra­tion, celui d’un autre ( à qui on pour­ra s’identifier), TOUT-PUISSANT pour satis­faire les manques, et capable d’AUTONOMIE dans la relation.

On retrouve là le désir( sexuel) tel que le défi­nit Pla­ton : la pour­suite du TOUT que nous appel­le­rons l’amour.

L’amour est la situa­tion psy­choaf­fec­tive du dési­rant du TOUT per­du. La mère recher­che­ra indé­fi­ni­ment cette inti­mi­té per­due et la rem­pla­ce­ra par tout et n’importe quoi plu­tôt que de la perdre. Le bébé fera ain­si l’apprentissage par la perte du TOUT où la mère-cosmos com­blait néces­sai­re­ment tous les manques poten­tiels, de ce qu’il y a de plus fon­da­men­tal à recher­cher pour retrou­ver l’équilibre fon­da­men­tal per­du par l’expulsion du para­dis ter­restre. Chaque fois qu’il l’aura trou­vé en tout ou en par­tie, il dira “je t’aime”.

Quand le bébé déclenche le pro­ces­sus d’accouchement (il est actuel­le­ment admis que dans notre espèce, c’est ain­si que cela se passe quand le phé­no­mène de la mise au monde est auto­ri­sé à se pro­duire spon­ta­né­ment) il prend par rap­port a la dea qui le contient, le porte et le satis­fait pro­ba­ble­ment de moins en moins, la res­pon­sa­bi lité de déci­der d’aller voir ailleurs si c’est mieux. Comme l’Eternel de la Bible une voix lui dit alors : “Tu veux savoir ? Vas‑y ! Mais tu ne revien­dras pas. Tu regret­te­ras indé­fi­ni­ment d’avoir vou­lu savoir.“ Le regret et la recherche de ce para­dis per­du est à la base de ce que nous nom­mons l’amour.

L’amour sera ce sen­ti­ment qui porte vers l’autre de façon
• pulsionnelle
• exclusive
• ver­sa­tile éven­tuel­le­ment si la frus­tra­tion survient.

L’amour mater­nel sera celui de la mère pour son petit expulsé.
L’amour filial sera celui du petit pour celle qui fut le cosmos-paradis.

Ayant été expul­sé et ayant fait l’expérience du manque qui en résulte il va :
• recher­cher déses­pé­ré­ment à retrou­ver la sym­biose avec la mère
• inves­tir tout ce qui se rapporte/rappelle/s’est impri­mé de la période de grossesse/paradis.
• élar­gir la recherche à tout ce qui peut y ressembler.
• apprendre à com­bler le manque par des objets par­tie ls conve­na­ble­ment choi­sis éven­tuel­le­ment ailleurs que dans la rela­tion à la mère.
• faire payer à la mère l’expulsion-frustration qu’elle lui a infligée.

Note : la ter­mi­nai­son de la gros­sesse est un mystère.

Une hypo­thèse veut que ce soit l’enfant qui déclenche l’accouchement parce que la satis­fac­tion de ses besoins est insuf­fi­sam­ment pourvue.

Ce serait donc bien une “rébel­lion” due à l’expérimentation déjà avant la venue au monde d’un manque, qui serait à l’origine de la rup­ture de la sym­biose ori­gi­nelle. La mère ne pour­voyant plus suf­fi­sam­ment aux besoins, l’enfant se résou­drait à déclen­cher les méca­nismes de son expulsion.

Notule : le déclen­che­ment arti­fi­ciel, inter­ve­nant avant la per­cep­tion de ce manque à l’origine du déclen­che­ment auto­ma­tique du tra­vail se com­por­te­rait alors co mme un manque à être, un défi­cit d’expérience réus­sie, de désir pri­mor­dial mani­fes­té et satis­fait. D’où peut-être une dif­fi­cul­té à devenir/s’autonomiser comme sujet chez ces enfants expul­sés avant leur heure. Car ils font sou­vent payer cher à leurs parents ce manque à dési­rer en mani­fes­tant de façon incon­grue et intem­pes­tive leur exi­gence à être recon­nus comme êtres désirants.

La mère, vécue par son bébé, d’abord comme un TOUT cos­mique, puis comme une dea ex machi­na, objec­ti­ve­ment en situa­tion d’être comme Dieu le Père chas­seur du para­dis ter­restre, n’est pas un DIEU.

Petit à petit il se décou­vri­ra un AUTRE encore plus puis­sant puisqu’il pour­ra l’éloigner, faire obs­tacle à sa ten­ta­tive per­ma­nente de retrou­ver la sym­biose. C’est le Père ou une quel­conque per­sonne de la horde vers laquelle la mère tour­ne­ra son désir, en se détour­nant de celui de l’enfant.

Un beau jour l’enfant découvre que le ”Roi est nu”. La mère toute puis­sante n’est pas si puis­sante que ça. Il me semble que c’est à ce moment-là que l’on peut com­men­cer à par­ler d’amour. Le désir du TOUT est le moteur. La décou­verte de l’imperfection soit casse le désir, soit engendre l’Amour.

L’enfant est un reflet pour les autres avant même que d’exister : dans le pro­ces­sus de mater­no­gé­nése ce reflet va occu­per une place déter­mi­nante dans la struc­tu­ra­tion psy­chique de la mater­ni­té. L’ambivalence mater­nelle expulser-retenir sera cer­tai­ne­ment un moteur de la mater­no­gé­nése qui est le fruit de la sym­biose. Le sen­ti­ment mater­nel est exa­cer­bé par la culpa­bi­li­té de l’expulsion.

L’idée que la Nais­sance est d’abord l’apparition de l’être en tant q ue reflet pour les autres per­met de com­prendre les inter­ac­tions pré­coces, celles qui se mettent en place avant même la réa­li­té de l’individu.

Il en sera ain­si de ce que l’on nomme le pro­jet d’enfant, le désir d’enfant, le désir de gros­sesse. Certes on peut conti­nuer à les conce­voir comme de simples méca­nismes internes à l’individu qui les vit avec les réfé­rences à sa propre vie, ses frus­tra­tions, ses manques à être, ses dési­rs, indé­pen­dam­ment de toute rela­tion avec un autre, un enfant, un nais­sant. Mais alors com­ment expli­quer les rela­tions posi­tives qui se créent dès la révé­la­tion du phé­no­mène Nais­sance en cours dans le corps deve­nu mater­nel : réac­tions dites ambi­va­lentes devant les per­tur­ba­tions actuelles et pré­vi­sibles, les dif­fi­cul­tés poten­tielles, les risques encou­rus. L’ambivalence ne peut s ‘ima­gi­ner que par rap­port à un être non pas pro­je­té mais actuel, objet d’amour et de haine, por­teur d’espoir et de crainte, fac­teur unique de la réa­li­sa­tion culmi­nante, explo­sive, orgas­mique, de la fémi­ni­té après laquelle plus rien ne sera pareil.

Il en sera ain­si du deve­nir mère. Cette mater­no­gé­nése per­met de remettre en place et de com­prendre les rela­tions dra­ma­ti­que­ment vécues au décours de l’accouchement dans des couples mère-enfant où le lien entre pro­jet, désir et réa­li­té n’a pu être authen­ti­que­ment fait. La mater­ni­té psy­chique qui se met en place très tôt dans l’organisme total de la petite fille est déjà un pro­jet rela­tion­nel avec l’en fant qui sera la conti­nui­té du monde. Le reflet de cet autre futur se pré­ci­se­ra au fil des années de l’enfance puis de l’adolescence. Il se nour­ri­ra des images des pro­ta­go­nistes de la rela­tion qui se donnent à voir et à connaître autour de la petite puis jeune fille. Il se consti­tue­ra sui­vant des courbes sinu­soïdes super­po­sées d’ambivalences évo­lu­tives d’un ima­gi­naire nour­ri des couples amour-haine, désir-plaisir, mutation-refus muta­toire, développement-stagnation, grandir-rester petite etc. Avec le temps de l’évolution bio­so­cio­psy­cho­lo­gique, ces sinu­soïdes devien­dront pro­gres­si­ve­ment congruentes en même temps que leur ampli­tude dimi­nue­ra et que leur ligne de base ira plus vers l’amour, le désir, la muta­tion, le déve­lop­pe­ment, le gran­dir… Mais dans une évo­lu­tion har­mo­nieu­se­ment gérée entre les écueils des contraires, ce qui sera le point de mire, le but ultime à concré­ti­ser, c’est la rela tion à cet autre dont le reflet se pré­cise au fil du temps qui passe. La mater­no­gé­nése ne peut se faire sans cette réfé­rence men­tale à un autre qui sera pour soi, en soi puis hors de soi, le sau­veur de soi et du monde. Et les per­tur­ba­tions de cette mater­no­gé­nése avec les dégâts qu’elle fait à la venue au monde des enfants seront entre autres à cher­cher dans un défi­cit de consti­tu­tion de ce reflet.

Il en sera ain­si du deve­nir père. Com­ment ima­gi­ner, pour celui qui devient père, un autre mode de rela­tion que dans le reflet psy­chique avec cet indi­vi­du révé­lé par la tech­nique, incon­nu, incon­nais­sable dans l’instant. Com­ment ima­gi­ner l’invraisemblable trans­for­ma­tion des com­por­te­ments de cet indi­vi­du dont le corps, au contraire de la mère, n’est pas direc­te­ment affec­té par le pro­ces­sus, dont l’organisme n’est pas concer­né autre­ment que dans le reflet qu’il en construit dans ses struc­tures ner­veuses. L’acceptation enthou­siaste ou le re fus abso­lu de la pater­ni­té ne peuvent être le fait que d’une men­ta­li­sa­tion d’une rela­tion avec un autre, une rela­tion faite d’un contrat où les contraintes sont pré­vi­sibles et les gra­ti­fi­ca­tions impos­sibles à ima­gi­ner. C’est en réfé­rence à cette situa­tion qui conduit un homme à se sen­tir père sans autre réfé­rence que la révé­la­tion de l’intrusion d’un autre dans le corps de sa com­pagne de jeux sexuels que j’avais pro­po­sé de l’identifier comme “l’envoûté de l’intrus magique”.

Toute la période de Nais­sance (qu’on peut donc faire remon­ter au début de mise en place du pro­jet) sera en même temps réa­li­sa­tion de l’être POUR LUI (mise en forme de sa struc­ture) et idéa­li­sa­tion de l’être par les autres (mise en forme de son reflet).

La mise en forme de la struc­ture, la créa­tion de ce que nous appe­lons à la suite de LABORIT l’information-structure, c’est-à-dire la mise en forme de l’organisme PSYOCMHAOTIQUE a :
• un temps limi­té : le temps de finitude-complétude de l’organisme du nais­sant est limi­té dans le temps et cet espace de temps où sont pos­sibles les struc­tu­ra­tions idéales est rédhi­bi­toire. Il fau­dra que ce temps soit uti­li­sé au maxi­mum des pos­si­bi­li­tés de ren­de­ment de la conjonc­tion du pro­gramme géné­tique et des sti­mu­la­tions de l’environnement.
• un carac­tère cumu­la­tif : l’ensemble des élé­ments qui se mettent en place trouvent dans l’organisme qui se construit un espace où se situer. La conjonc­tion des organes et de leurs struc­tures res­pec­tives for­me­ra cet ensemble vivant dont il a été mon­tré par ailleurs que grâce à l’information il est autre chose que la simple somme de ses par­ties. Pour­tant la pré­sence simul­ta­née de toutes les par­ties sera indis­pen­sable au fonc­tion­ne­ment har­mo­nieux de l’ensemble. Cet aspect quan­ti­ta­tif qui condi­tionne la valeur de la struc­ture est irré versible.
• un moment de fini­tion : au terme de la Nais­sance l’information-structure se ferme et ne pour­ra plus béné­fi­cier d’aucun apport. Seule la matu­ra­tion sera encore pos­sible. Cette fer­me­ture de l’information-structure est irrémédiable.

La mise en forme du reflet est par contre ins­tan­ta­née. Elle est en per­pé­tuelle évo­lu­tion, en per­pé­tuelle trans­for­ma­tion ; elle dif­fère d’un ins­tant à l’autre.

Ce qu’est le reflet dans le moment et dans le lieu, dif­fé­rent du moment pré­cé­dent et de l’endroit où il se forme dépend :
• de l’état de la struc­ture de celui qui naît (un peu)
• de l’état de la struc­ture de celui qui en prend connais­sance, dépen­dant des élé­ments mémo­ri­sés dans ses cir­cuits, en struc­ture (incons­cients) et en mémoire (conscients ou non).

Il dépend en plus des affects contin­gents de l’environnement c’est-à-dire de tout ce qui peut venir inter­fé­rer entre le sujet et la réa­li­té de la nais­sance, par­ti­cu­liè­re­ment les modèles que lui impose la socié­té . Car c’est de cette ensemble com­po­site que sur­git le reflet avec l’individu fonc­tionne, pense, mais aus­si et sur­tout agit.

Et cet ensemble com­po­site fonc­tionne comme une image. Consti­tuée de toute une série d’éléments cor­res­pon­dants aux pos­si­bi­li­tés de per­cep­tion du sujet en rela­tion avec les carac­té­ris­tiques de la réa­li­té qu’elle reflète, l’image est tota­le­ment trans­for­mée par la modi­fi­ca­tion, même imper­cep­tible d’un seul des élé­ments qui la com­posent. C’est ain­si qu’un peintre peut indé­fi­ni­ment peindre la même mon­tagne qui ne sera jamais la même sui­vant l’heure du jour, la sai­son ou le temps qu’il fait. Il sait que c’est la même réa­li­té qu’il peint, pour­tant cha­cune des images qu’il repro­duit sur la toile est suf­fi­sam­ment dif­fé­rente des autres pour pro­duire chez l’observateur toute une palette de sen­ti­ments différents.

Or la mal­trai­tance, ce com­por­te­ment délé­tère des parents vis-à-vis de l’enfant, intègre la notion d’un lien mal construit. Les sévices, les vio­lences, les coups et les bles­sures qui s’ensu ivent mani­festent de la part des parents une inca­pa­ci­té à consi­dé­rer cet indi­vi­du sans défense, à leur mer­ci, ce n’est pas un enfant dési­ré qu’ils ont mis au monde et dont, comme parents, ils ont natu­rel­le­ment la garde et la res­pon­sa­bi­li­té dans le but de lui per­mettre de se faire une place auto­nome dans le monde. Il n’a pas de place dans leur vie où il s’est intro­duit par effrac­tion sans qu’à aucun moment le reflet que les parents s’en forment approche tant soit peu la réa­li­té de ce qu’il est.

En fait, le mal­trai­té est quelqu’un qui n’est pas à la place que l’autre vou­drait lui assi­gner. Que l’on pense au vieillard mal­trai­té parce que sa sur­vie gêne les autres. Que l’on pense à l’immigré mal­trai­té parce qu’il n’a plus sa place dans la socié­té. Que l’on pense à ce que cela donne lorsque la dif­fé­rence et la fai­blesse pri­vées de la pro­tec­tion mini­male de la morale et de l’éthique jette des groupes humains entiers dans la situa­tion d’indésirables et que la solu­tion envi­sa­gée pour le pro­blème qu’ils posent alors fut dite “solu­tion finale”.

C’est le même méca­nisme qui se met en place. C’est une affaire de reflet dans les struc­tures psy­chiques des puis­sants par rap­port aux faibles. Si le com­por­te­ment pro­tec­teur n’est pas pri­vi­lé­gié, le com­por­te­ment mal­trai­tant devient la règle. Si l’autre est vécu comme occu­pant indû­ment une place qui n’est pas la sienne, son éli­mi­na­tion devient pour celui qu’il dérange l’équivalent d’une néces­si­té pour sa sur­vie. Son occul­ta­tion voire son éli­mi­na­tion, d’abord sym­bo­lique, abou­tit rapi­de­ment à l’élimination phy­sique ou à ses suc­cé­da­nés que sont les mau­vais trai­te­ments. Aucune éthique ne pro­tège contre les com­por­te­ments dic­tés par les exi­gences de la survie.

Pour l’enfant qui advient, ce reflet se construit pen­dant la période de Naissance.

La signi­fi­ca­tion de cet enfant est claire : c’est un Naissant.

Nou­veau membre de l’espèce, il en per­met la sur­vie par la “repro­duc­tion”. Il doit donc “natu­rel­le­ment” béné­fi­cier d’un sta­tut lui per­met­tant de refu­ser les dys­fonc­tion­ne­ments impo­sés à son dév elop­pe­ment et en même temps d’exiger que se mettent en place des sta­tuts com­plé­men­taires que sont les parents et le reste du corps social.

Mais le sens de cet indi­vi­du qui naît dépend du reflet que s’en forment les autres : il dépend en par­ti­cu­lier de ce qui, à son ori­gine était ou non pro­jet d’enfant, du désir qui a pré­si­dé à sa mise en route, des condi­tions de sa mise en route.

Des ques­tions se posent dont les réponses auront une impor­tance capi­tale pour la for­ma­tion du reflet : le Nais­sant qui se pro­file comble-t-il un manque ?ou au contraire prend-il une place là où il n’y en a pas ?

Résul­tat d’une pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée ou échec de contra­cep­tion, concep­tion à la suite d’un viol, échec ou refus d’IVG, ou nais­sance issue d’un pro­jet de couple ou d’un acte amou­reux intense même si inopi­né, le Nais­sant sera vécu de façon différente.

Quelles que soient les condi­tions dans les­quelles il a été conçu, si son “image” est trans­for­mée dans un sens contraire à l’espérance, par exemple par la révé­la­tion d’une ano­ma­lie mineure ou tout sim­ple­ment du sexe qui ne cor­res­pon­drait pas au sexe dési­ré, le reflet du Nais­sant peut être tota­le­ment négativé.

Le reflet de l’enfant qui vient au monde est le résul­tat de la confron­ta­tion entre la per­cep­tion de sa réa­li­té et le fan­tasme dans lequel ses parents ont noué avec lui la rela­tion première.

S’il n’y a pas eu d’enfant fan­tas­mé ou si le fan­tasme a été d’emblée néga­tif, c’est-à-dire s’il n’y a pas eu de reflet d’un Nais­sant atten­du, le reflet de l’enfant réel est impos­sible à positiver.

L’accueil de l’enfant qui advient se fera sur la confron­ta­tion de son reflet et du reflet du Nais­sant qui lui a pré­pa­ré la place.

Le vécu de la nais­sance par les parents aura dans la for­ma­tion du reflet une impor­tance déterminante.

Le dé sir ou le non désir de cette gros­sesse lui don­ne­ra une colo­ra­tion affec­tive dès le départ.

Si la gros­sesse est bien ou mal vécue, que ce soit pour des rai­sons phy­siques, psy­cho­lo­giques, sociales, éco­no­miques, la tolé­rance psy­cho­so­ma­tique à la muta­tion qu’elle consti­tue pour la mère influen­ce­ra l’accueil du Nais­sant dans le reflet, et ce jour après jour.

Si la dyna­mique n’est pas res­pec­tée, par exemple par un déclen­che­ment arti­fi­ciel de l’accouchement, la tolé­rance psy­cho­so­ma­tique au pro­ces­sus de nais­sance sera modifiée.

Au bout de la gros­sesse, l’accouchement peut-être bien ou mal vécu, soit comme res­sen­ti du corps, soit comme pro­jet per­son­nel réa­li­sé ou non. L’anesthésie, l’analgésie, les opia­cés peuvent per­tur­ber dura­ble­ment les pre­miers contacts avec l’enfant. Les inter­ven­tions sur le corps peuvent lais­ser des cica­trices psy­cho­so­ma­tiques indélébiles.

La qua­li­té du pre­mier contact, immé­diat ou dif­fé­ré, visuel ou char­nel, peau à peau ou yeux à cou­veuse lais­se­ra des traces dans le vécu. Un allai­te­ment réus­si ou non aura aus­si son importance.

Et la qua­li­té de ce vécu sera déter­mi­nante car elle sera garante de la qua­li­té de la rela­tion. Or une rela­tion cela com­mence par une ren­contre et la ren­contre c’est tou­jours un choc.

Le choc de la ren­contre c’est bien enten­du l’interaction pri­maire entre les effé­rences et les affé­rences croi­sées de deux indi­vi­dus. Affé­rences et effé­rences phy­siques, qui se doublent ins­tan­ta­né­ment du fait des mod èles enre­gis­trés, de phé­no­mènes psy­cho­so­ma­tiques pro­fonds. Conscient ou incons­cient de ce choc, l’individu le res­sent pour­tant et ce der­nier, comme toutes les “expé­riences” au sens large du terme, va lais­ser une trace dans les sys­tèmes de mémo­ri­sa­tion. Le sens géné­ral de toute ren­contre est clair. C’est le tis­su psy­cho­so­cial humain qui se trame de cha­cune d’elle, c’est l’individu en tant que nœud de rela­tions qui se struc­ture de cha­cune un peu plus. Mais il est clair aus­si que chaque ren­contre ne va pas, ne peut pas avoir la même signi­fi­ca­tion. Le temps, le lieu, les inter­ac­tions réci­proques sur la base de modèles conscients ou incons­cients, la répé­ti­tion des ren­contres et la pour­suite ou non des rela­tions qui s’ensuivent vont en condi­tion­ner la signification.

Pour deve­nir une rela­tion, la ren­contre doit se conti­nuer par un contrat qui en consti­tue­ra les condi­tions et les bases. Et le contrat de fond, celui qui condi­tionne le fonc­tion­ne­ment de la rela­tion, cha­cun le signe dans sa tête avec ce de l’a utre qui inter­agit avec lui. Et ce sera un contrat de confiance, de méfiance, des deux à la fois sou­vent. En tous cas ce sera un contrat d’autant plus mul­ti­forme que chaque ren­contre va irré­mé­dia­ble­ment le modi­fier, peu ou beau­coup, sur le fond ou sur la forme, sur tout ou par­tie de ses élé­ments. Une rela­tion durable ne pour­ra ain­si se consti­tuer que tout autant que deux condi­tions seront réunies :
• d’abord que le contrat de cha­cun puisse être autant que faire se peut expli­ci­té à l’autre
• ensuite, et c’est plus dif­fi­cile, il faut que cha­cun tente dans la mesure de ses moyens, de res­sem­bler le plus pos­si­bl e à l’image de lui avec laquelle l’autre a éta­bli son contrat.

Ain­si chaque ren­contre sera sus­cep­tible d’aller dans le sens d’un ren­for­ce­ment de la rela­tion tout autant qu’elle fera coïn­ci­der un peu plus l’image que ren­voie l’autre avec celle que l’on avait de lui et donc vali­de­ra un contrat dont cette image est le signa­taire involontaire.

Un corol­laire bien com­mode de cette condi­tion, c’est que cha­cun s’aveugle sur la par­tie non conforme de l’image de l’autre. On voit ain­si qu’une rela­tion durable a habi­tuel­le­ment fort peu de chances de s’installer du fait sim­ple­ment que ses condi­tions sont rare­ment réa­li­sées dans la per­son­na­li­té fon­da­men­tale de cha­cun, per­met­tant la signa­ture d’un contrat de cha­cun avec l’image qu’il a de l’autre, qui soit bien, et par hasar d, un contrat de l’un avec l’autre. Dans la plu­part des cas c’est la volon­té de pour­suivre qui va entraî­ner les deux com­por­te­ments condi­tion­nels que j’ai cités plus haut.

En tout état de cause une rela­tion, com­men­cée par une ren­contre, ne peut donc se conti­nuer que par la mise en place d’un contrat que cha­cun signe non pas avec l’autre, mais avec le reflet qu’il a de l’autre.

La rela­tion qui dure sera le fait de la volon­té de cha­cun des par­te­naires de res­sem­bler le plus pos­sible au reflet que l’autre se forme de lui. Elle est faite d’exigences et de concessions.

Il va sans dire que si d’emblée le reflet es t mau­vais il n’y a pas de rela­tions possible.

Or dans la Nais­sance la ren­contre se fait dans l’imaginaire, dans le fan­tasme, dans le reflet que les parents se forment du Nais­sant. Quant-au contrat il se conclut à sens unique, avec un reflet ima­gi­naire et sans que l’autre, le Nais­sant, puisse faire quoi que ce soit pour tendre à l’améliorer.

Si le reflet de la Nais­sance est mau­vais, si le ou les parents refusent de reflet le Nais­sant comme tel, si le reflet qui s’en forme est celui d’un impor­tun, voire d’un dan­ger poten­tiel, alors la rela­tion sera immé­dia­te­ment une rela­tion agres­sive. Et lorsque l’enfant venu au monde, il fau­dra bien faire avec lui, la rela­tion sera faite uni­que­ment d’exigences, sans aucune volon­té de com­pen­sa­tion ni de tolé­rance. L’asymétrie de puis­sance entre les deux par­ties du contrat aggra­ve­ra encore la situa­tion. L’enfant sera vécu comme per­sé­cu­teur de ses parents et trai­té comme tel.

L’hypothèse que nous fai­sons est que ce qui se passe pen­dant la période de Nais­san ce est déter­mi­nant pour cette relation.

L’année der­nière au cours du pré­cé­dent col­loque consa­cré aux res­pon­sa­bi­li­tés, rôles et sta­tuts des inter­ve­nants dans la Nais­sance, Hen­ry SOLANS concluait à pro­pos du Naissant :

Dans les condi­tions de notre socié­té, le Nais­sant ne peut pas naître.“

Seule la sur­com­pen­sa­tion psy­cho­lo­gique grâce au reflet que se forment de lui ses parents per­met de lui trou­ver habi­tuel­le­ment quand même une place dans la famille sinon dans la société.

Mais cette sur­com­pen­sa­tion psy­cho­lo­gi­qu e peut être ren­due dif­fi­cile voire impos­sible par les condi­tions sociales, éco­no­miques, cultu­relles, par le vécu de la gros­sesse, de l’accouchement.

Lorsque dans ces condi­tions délé­tères pour la for­ma­tion de son reflet de Nais­sant, l’enfant vient quand même au jour, il sera reje­té dans la situa­tion de quelqu’un qui a pris une place qui ne lui était pas des­ti­née, qui s’est intro­duit dans un espace où rien ne le fai­sait dési­rer. Il a fait ce qu’il ne devait pas faire. Il a trans­gres­sé l’interdit.

C’est ce Nais­sant qui s’obstine à naître qui sera l’enfant maltraité.


< Précédent

Suivant >
 
   
 
 
  LE CIANE Ville de Chateauroux Conseil général de l'indre Région Centre Mutualite de l'indre