SYNTHÈSE |
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Jacqueline AMIEL DONAT La question en réalité devrait porter sur l’accouchement et non la naissance. On oppose en effet deux termes qui ne font pas partie du même monde : « co-responsabilité » — terme de technique juridique — et « naissance » — terme en lui-même empli de beauté, de sérénité et de merveilleux. C’est autour de l’accouchement que la question de la coresponsabilité parents-équipe médicale doit être envisagée. C’est en effet devant le mystère médical de l’accouchement que les parents se trouvent désemparés. L’accouchement avec tout son attirail de techniques et procédés médicaux semble n’être aujourd’hui qu’une affaire de techniciens, de spécialistes, et les parents se sentent à la fois incompétents et dépossédés au moment de la mise au monde de leur enfant. Or, ce mystère médical dissimule le vrai mystère, celui qui est inhérent à l’homme, qui fait partie de son essence — celui de donner la vie. Et ce mystère qui touche à notre angoisse existentielle, chaque parent, chaque femme et chaque homme en a une connaissance instinctive. Ainsi une surmédicalisation de l’accouchement rejette-t-elle les parents dans une sphère de technicité où leur rôle, accessoire, consiste essentiellement à observer comment l’équipe médicale va mettre au monde leur enfant. Cette infantilisation des parents peut même être complaisante, les parents fuyant leur responsabilité devant le mystère de la vie et trouvant refuge dans leur prétendue incompétence devant le fait médical de l’accouchement. Ainsi l’accouchement n’est-il pas vécu véritablement comme une naissance ? Il constitue souvent une sorte de parenthèse, une rupture dans la continuité de l’histoire d’amour vécue par les parents et l’enfant, un temps intermédiaire au début duquel les parents confient à des spécialistes l’acte de mise au monde de l’enfant, et à l’issue duquel le nouveau né est « repris en charge » par les parents… Cette situation est mal vécue par tous et en premier lieu par l’enfant dont les relations ultérieures avec ses parents ne peuvent qu’en être affectées. Cette discontinuité de leur histoire ne peut qu’être néfaste et la question posée aujourd’hui est bien celle d’un retour en arrière, d’un coup d’arrêt à une situation devenue insupportable : comment faire en sorte que les parents jouent le rôle qui leur revient dans la naissance de leur enfant ? Comment faire en sorte qu’il n’y ait pas d’interruption dans leur histoire d’amour ? Comment faire pour rétablir une relation d’amour au moment de la naissance et, par là même, une relation de responsabilité des parents qui mettent au monde, qui donnent la vie à un être issu de leur chair ? Les parents doivent assumer, dans le plein sens du terme, la naissance de leur enfant. Cela ne signifie pas bien sûr qu’il faille rejeter l’acte medical et prôner absolument une naissance sans intervention médicale. Les parents dans ce cas prendraient un bien grand risque parfois pour leur enfant et pourraient d’ailleurs se rendre coupables de non-assistance à personne en danger, répréhensible pénalement. La dénonciation d’une surmédicalisation ne doit pas conduire à prôner un excès inverse. C’est dans le terme de « co-responsabilité » que peut être trouvée une solution à ce problème, « co-responsabilité » entendue dans le sens d’un partage et d’une unité :
Ce terme de « co-responsabilité » n’est d’aucun secours s’il est pris dans son sens juridique. Le Droit en effet, ne définit pas de « co-responsabilité » dans un sens actif : on parle de « co-acteurs », de partage de responsabilité afin de déterminer qui est fautif, qui doit réparer et indemniser la victime… Dans ce contexte, la coresponsabilité ne pourrait être qu’une « acceptation de risques », un « consentement de la victime » dont les effets toutefois sont réduits : le consentement du patient, en l’occurence les parents, à un traitement ou une opération ne dispense jamais le médecin des devoirs généraux de prudence, de diligence, de compétence, d’habileté qui sont requis dans l’exercice de l’art médical. Les parents sont donc toujours en droit de poursuivre l’équipe médicale sur la base d’une faute commise dans la réalisation de l’obligation de moyens résultant du contrat médical, ou sur la base d’une faute délictuelle (art. 1382 — 1383 ou 1384 – 1 C.civ.). Une « co-responsabilité » peut-elle être envisagée juridiquement dans le sens actif, positif de l’action et non de la sanction ? A l’heure actuelle on ne peut pas parler en ce sens de coresponsabilité parents-équipe médicale autour de la naissance. Il y a certes, une responsabilité du médecin pour les soins, le suivi de la grossesse… Ce sont là des obligations professionnelles de conseil et d’assistance. Mais il n’existe pas d’obligation juridique à la charge des parents. C’est une situation paradoxale d’ailleurs car on connait l’évolution du Droit concernant l’enfant conçu et la reconnaissance de certains de ses droits. Il y a là un vide juridique qui pourrait être comblé par le recours à la notion d’autorité parentale. Cette notion qui a changé au cours du temps est aujourd’hui envisagée en tant qu’ensemble de devoirs des parents à l’égard de l’enfant et non plus en tant que pouvoir sur lui, a « manus » du « pater familias ». Ainsi cette autorité parentale — ensemble de devoirs et d’obligations pourrait-elle s’exercer non pas à partir de la naissance mais dès la reconnaissance juridique de l’enfant conçu, les parents ayant dès lors une responsabilité à son égard… C’est là du Droit-fiction mais c’est tout ce que peut apporter le juriste dans un tel débat. Une véritable co-responsabilité parents-équipe médicale ne peut pas reposer uniquement sur des solutions juridiques. Il faut un changement de comportement individuel de la part des parents — une plus grande responsabilisation et plus d’amour – et de la part de l’équipe médicale qui ne doit pas s’offusquer de cette revendication parentale et l’appréhender comme un empiétement sur sa compétence. Il faut que l’accouchement devienne naissance et que chacun à sa juste place participe à ce beau mystère de la mise au monde d’un enfant. |