La Com­mis­sion nationale con­sul­ta­tive des droits de l’Homme (CNCDH) a pub­lié le 22 mai un avis inti­t­ulé “Agir con­tre les mal­trai­tances dans le sys­tème de san­té : une néces­sité pour respecter les droits fon­da­men­taux”. Le Col­lec­tif interas­so­ci­atif autour de la nais­sance (Ciane) se réjouit de cette pub­li­ca­tion, qui, par bien des aspects, rejoint les pré­con­i­sa­tions qu’il a pub­liées en octo­bre 2017.  

“La bien­veil­lance n’est pas une option, ou un label qui serait attribué à quelques étab­lisse­ments et ne béné­ficierait qu’à cer­tains patients priv­ilégiés”, tel est un des pos­tu­lats de la CNCDH auquel le Ciane ne peut que s’as­soci­er. L’approche glob­ale adop­tée — qui inclut la “mal­trai­tance ordi­naire”, les iné­gal­ités de san­té et les dis­crim­i­na­tions — est à saluer : bien­trai­tance dans les soins et respect des droits des usagers sont bien des droits humains fon­da­men­taux.

Des propositions à considérer

Plusieurs des mesures pro­posées méri­tent toute l’at­ten­tion et rejoignent les propo­si­tions du Ciane:

-    La sor­tie d’une logique économique et pro­duc­tiviste qui pré­vaut actuelle­ment, plaçant le sys­tème de san­té sous ten­sion et qui sup­poserait, si ce n’est un aban­don de la tar­i­fi­ca­tion à l’ac­tiv­ité, du moins selon nous son large remaniement.

-    La mise en œuvre d’une véri­ta­ble poli­tique nationale de lutte con­tre la mal­trai­tance dans les soins, avec un pilotage inter­min­istériel, poli­tique qui reposerait sur la col­lecte de don­nées quali et quan­ti­ta­tives et l’élab­o­ra­tion d’indi­ca­teurs de bien­trai­tance dont nous pen­sons qu’ils devraient fig­ur­er dans le pan­el util­isé par la HAS pour l’ac­crédi­ta­tion des établissements.

-    L’amélio­ra­tion de la démoc­ra­tie san­i­taire, avec une exten­sion de la place des usagers dans les Com­mis­sions de rela­tion avec les usagers (CRU) et la présence sig­ni­fica­tive d’usagers dans toutes les insti­tu­tions, de l’hôpi­tal aux agences sanitaires.

-    Une trans­for­ma­tion de la for­ma­tion ini­tiale (inclu­ant les critères d’ad­mis­sion) et con­tin­ue des soignants, pour en finir avec la logique pure­ment cura­tive, l’approche mécan­iste du corps, la cul­ture pater­nal­iste de la médecine et la com­péti­tion per­ma­nente entre soignants. La par­tic­i­pa­tion des usagers à cette for­ma­tion, que le Ciane expéri­mente, devrait être systématisée.

Cer­taines recom­man­da­tions plus spé­ci­fiques nous sem­blent en revanche cri­ti­quables; par exem­ple, la recom­man­da­tion d’une général­i­sa­tion de l’expérimentation des maisons de nais­sance  pour répon­dre à la néces­sité “d’accueillir humaine­ment tous les patients”. Certes, le Ciane milite pour que cette offre de soin soit acces­si­ble sur tout le ter­ri­toire et abor­d­able finan­cière­ment. Cepen­dant, il faut rap­pel­er que les maisons de nais­sance ne sont pas des­tinées à accueil­lir les femmes qui souhait­ent une péridu­rale ou qui présen­tent une patholo­gie et que la mal­trai­tance peut poten­tielle­ment s’exercer dans tous les lieux de soins. Ain­si, les maisons de nais­sance ne nous sem­blent pas la seule réponse à la vio­lence obstétri­cale sur le terrain.

Une connaissance limitée du domaine obstétrical

D’autres pas­sages spé­ci­fique­ment con­sacrés à l’ob­stétrique sont plus prob­lé­ma­tiques. La CNCDH affirme que les maisons de nais­sance “autorisent même, dans cer­tains cas, les femmes à sor­tir des pro­to­coles en les autorisant à accouch­er con­for­mé­ment à un pro­jet de nais­sance défi­ni par elles.”  Il existe, et c’est heureux, des mater­nités et des maisons de nais­sance où les pro­jets de nais­sance sont non seule­ment “autorisés” mais surtout encour­agés et enten­dus. D’ailleurs, les maisons de nais­sance “n’au­torisent” pas à sor­tir des pro­to­coles — qui n’ont en aucun cas voca­tion à être appliqués aveuglé­ment — mais elles per­me­t­tent de répon­dre aux deman­des des femmes d’une médi­cal­i­sa­tion ajustée de leur suivi et d’avoir accès à une per­son­nal­i­sa­tion des soins en adéqua­tion avec leurs attentes.

De même, pour garan­tir le  con­sen­te­ment libre et éclairé des patients, la CNCDH ne pro­pose que de garan­tir l’effectivité du droit à l’accès au dossier médi­cal. Là encore, la propo­si­tion est insuff­isante alors même que la Loi de 2002 sur le droit du patient et de la per­son­ne hos­pi­tal­isée développe claire­ment, et plus large­ment, les con­di­tions d’application du principe de con­sen­te­ment aux actes médicaux.

L’au­di­tion d’un col­lec­tif comme le Ciane, spé­cial­isée depuis 15 ans dans la défense des droits des patients en péri­na­tal­ité, et d’associations comme SOS Pré­mas ou Bamp! aurait pu éviter à la CNCDH des approx­i­ma­tions préju­di­cia­bles à la portée de son pro­pos. On peut s’é­ton­ner que sur un sujet con­cer­nant les usagers du sys­tème de san­té, le CNCDH n’ait pas de lui-même estimé néces­saire d’auditionner leurs représentants.

Enfin, le Ciane estime comme la CNCDH  que la mal­trai­tance est le fait d’un sys­tème et appelle à une prise de con­science urgente des “dys­fonc­tion­nements général­isés” con­statés dans ce domaine. Le Ciane tient cepen­dant à soulign­er qu’on ne peut exonér­er cha­cun de sa pro­pre respon­s­abil­ité en affir­mant que « la mal­trai­tance est avant tout le fait d’un sys­tème et non pas d’un individu ».

Mais un avis qui a sa place dans la réflexion sur les violences obstétricales

Ces cri­tiques n’entament pas la per­cep­tion pos­i­tive du Ciane face à l’avis de la CNCDH. A l’heure où les ori­en­ta­tions nationales visent à bâtir un sys­tème de soin cen­tré sur le patient, il est fon­da­men­tal d’inscrire la lutte con­tre la mal­trai­tance dans les soins comme une pri­or­ité nationale. Assuré­ment, le rap­port atten­du du Haut Con­seil à l’Egalité entre les femmes et les hommes ain­si que celui de l’Académie de Médecine, sur les vio­lences obstétri­cales, vien­dront com­pléter l’avis de la CNCDH con­cer­nant le seg­ment de l’obstétrique. Le Ciane espère que l’ensemble des pré­con­i­sa­tions qui seront sur la table inter­pelleront le min­istère de la San­té et les tutelles con­cernées pour con­stru­ire un sys­tème de san­té plus respectueux des droits de l’Homme, c’est-à-dire plus juste, équitable et bien­trai­tant à l’égard de tous ses usagers.

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