Ver­sion pdf du com­mu­niqué de presse

Le 30 mars dernier, dans « La Maisons des mater­nelles » sur France 5, une jeune femme, Lucie, a racon­té avec courage et dig­nité les ter­ri­bles con­séquences d’une expres­sion abdom­i­nale subie, il y a 4 mois, dans une mater­nité française d’excellence.

Son réc­it est glaçant. Cibler les com­pé­tences de celui qui a pra­tiqué le geste pour­rait être ten­tant, mais ce dra­ma­tique évène­ment inter­roge bien plus large­ment, et à divers titres, les pra­tiques obstétri­cales de notre pays.

Tout d’abord, quelle est la con­sid­éra­tion accordée par les pro­fes­sion­nels aux recom­man­da­tions de pra­tiques clin­iques ? L’expression abdom­i­nale a fait l’objet de deux recom­man­da­tions de la Haute Autorité de San­té (HAS), en 2007 puis en 2017. Son inutil­ité pour le rac­cour­cisse­ment de l’expulsion et les évène­ments indésir­ables graves qui pou­vaient en découler ont été chaque fois rap­pelés, justifiant son aban­don. Si ces textes envis­agent que l’expression abdom­i­nale puisse être très excep­tion­nelle­ment util­isée, dans un con­texte où elle serait le seul recours pos­si­ble face à un dan­ger majeur pour la mère et l’enfant, ils imposent que son usage soit inscrit dans le dossier médical.

Le témoignage de Lucie, mais aus­si de toutes les femmes qui nous rap­por­tent avoir subi cet acte, mon­trent que ces recom­man­da­tions ne sont pas respec­tées. On entend que « ceux de l’HAS ne sont pas en salle de nais­sance » — alors même que les recom­man­da­tions sont rédigées par des soignants en activ­ité — et que oui, des pro­fes­sion­nels con­tin­u­ent, en dehors de l’urgence absolue, à pra­ti­quer l’expression abdom­i­nale ! Et cet acte n’est alors JAMAIS tracé dans le dossier médi­cal. Ce qui empêche, effec­tive­ment, d’en quan­tifier la fréquence et d’en analyser les circonstances.

Qu’un interne se per­me­tte de pra­ti­quer un tel acte, alors même que le réc­it ne témoigne pas d’une sit­u­a­tion pathologique, inter­roge sur l’enseignement reçu et sur les régu­la­tions à l’œuvre dans l’équipe con­cernée. Dans les sit­u­a­tions dont nous avons con­nais­sance, l’expression abdom­i­nale n’est jamais le fait d’un « mou­ton noir » mais c’est une pra­tique accep­tée dans l’équipe, ou tout du moins sur laque­lle on ferme les yeux. On ne règlera donc rien en imputant à l’incompétence d’individus isolés ces man­que­ments graves aux recom­man­da­tions: ils relèvent de la respon­s­abil­ité col­lec­tive des équipes.

Le reportage nous apprend que ce geste est encore enseigné au cas où les con­di­tions ne per­me­t­traient pas de pra­ti­quer une extrac­tion instru­men­tale ou une césari­enne. Si l’on par­le ici de l’absence d’obstétricien ou de l’impossibilité d’accéder à un bloc chirur­gi­cal, com­ment est-ce pos­si­ble aujourd’hui dans une mater­nité française ? Si tel est le cas, il y a urgence à revoir les sché­mas organ­i­sa­tion­nels des établissements.

Lucie se demande à quoi servi­rait qu’elle porte plainte. Alors même que sa san­té est grave­ment atteinte, qu’elle ne sait pas si elle pour­ra avoir d’autres enfants, que son mari et ses proches ont cru la per­dre et que sa douleur est évi­dente mal­gré la maîtrise dont elle fait preuve, Lucie n’a pas confiance dans une démarche de recours. Pour nous qui accom­pa­gnons depuis de nom­breuses années des cou­ples dans les suites d’un accouche­ment trau­ma­tique, nous com­prenons ses réti­cences. Dans des sit­u­a­tions graves liées aux accouche­ments et même lorsque des actes ne cor­re­spon­dant pas aux meilleures pra­tiques obstétri­cales sont avérés, cer­tains experts con­sid­èrent encore que l’on est face à un « aléa de la vie ».

Non, les dom­mages créés par une expres­sion abdom­i­nale n’ont rien d’un aléa de la vie: ils sont le résul­tat de la pra­tique d’un acte inter­dit. Il est plus que temps que l’enseignement de l’obstétrique, l’organisation des ser­vices, les assureurs et les tri­bunaux en pren­nent acte !