Un projet de loi visant à rendre obligatoire le dépistage de la surdité dans les trois jours après la naissance a été adopté par les députés et doit être présenté au sénat.
Il est bien sûr important que la surdité puisse être détectée chez les enfants dans les premiers mois de vie.
Cependant, le CIANE considère qu’un diagnostic dès la naissance présente des inconvénients majeurs qui doivent amener à en repousser la réalisation.
La HAS a certes produit, en janvier 2007, une recommandation en faveur du dépistage néonatal. Cependant en décembre 2007, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu un avis remettant en cause cette recommandation : son analyse reste très actuelle et est pourtant manifestement ignorée des promoteurs du projet de loi.
Deux points principaux, avancés par le CCNE, motivent la position du CIANE :
· les perturbations introduites par le dépistage néonatal dans la famille
· le lien tel qu’il est aujourd’hui effectué entre dépistage néonatal et forme des réponses apportées à la surdité.
Au delà de ces deux points, le CIANE s’étonne qu’aucune évaluation sérieuse des expérimentations qui ont cours depuis plusieurs années en France ne vienne étayer les argumentations avancées pour défendre ce projet de loi.
1) Pourquoi les perturbations liées au dépistage néonatal ne sont-elles pas acceptables ?
- ce dépistage débouche sur environ 80% de faux positifs.
- la confirmation ou l’infirmation du diagnostic ne peut être effectuée que trois mois après ce dépistage. D’où l’angoisse des parents qui, dans 4 cas sur 5, n’a aucune raison d’être. Dans tous les cas, les premiers mois de l’enfant sont gravement perturbés par l’attente d’une validation / invalidation du diagnostic de départ. La prévalence de la surdité néonatale étant évaluée de 1 à 4 pour mille naissances, ce sont de 0,5% à 2% des parents qui sont inquiétés pour rien.
- la prise en charge médicale ne commençant qu’à 5 ou 6 mois, quel est l’intérêt dans ces conditions de réaliser un test aussi tôt alors qu’il peut avoir des effets délétères sur la relation parent-enfant?
2) En quoi le dépistage néonatal est-il susceptible de gêner la détermination des réponses appropriées au problème de la surdité ?
Des communautés de sourds revendiquent le droit à conserver leur langue et leur culture: ils refusent d’être considérés comme des handicapés et donc comme les cibles potentielles d’un traitement médical visant à “réparer” ce handicap. Discours que beaucoup de médecins ne veulent admettre: il n’est de pire sourd que celui qui ne veut entendre, dit-on!
Les expérimentations menées il y a quelques années ont permis de voir à quel point ces procédures réalisées dans un cadre médical laissent peu de place ou pas de place du tout à l’expression de points de vue non médicaux sur la question de la surdité et enferment les parents dans un scenario qu’ils pourraient regretter amèrement quelques années plus tard. Lors des débats au sein de la commission des affaires sociales, Marianne Dubois, députée du Loiret, mère d’un sourd profond, dit bien la souffrance engendrée par les tentatives de normalisation opérées notamment par le moyen de technologies comme les implants cochléaires dont on oublie de préciser non seulement les contraintes et les inconvénients, mais aussi à quel point ils ne remplacent pas un système auditif normal.
3) Où sont les évaluations des expérimentations engagées depuis 2005 ?
- l’argumentation développée par les partisans du projet met en avant la réduction des coûts de la prise en charge et de l’accompagnement des enfants atteints de troubles auditifs dépistés plus tardivement aujourd’hui : aucune évaluation économique n’est proposée à l’appui des supposées économies qu’engendrerait un tel dépistage
- les perturbations familiales induites par le dépistage au lendemain de la naissance sont balayées du revers de la main : « le dépistage précoce est déjà expérimenté dans 6 grandes villes française et on n’a pas entendu parler de troubles visibles de l’attachement… » déclare Edwige Antier au Parisien. Le CIANE a participé à un comité d’évaluation du programme expérimental de la surdité congénitale a été mis en place par la DGS en 2005. Le PHRC (Programme Hospitalier de Recherche Clinique) d’Amiens étudiait l’impact psychologique de cet examen et avait mis en évidence une augmentation de l’anxiété chez les parents. Une femme médecin mettait en garde contre les effets du dépistage : “j’ai reçu nombre de petits dépistés au cours de dépistages systématiques…Ce que j’ai pu remarquer, ce sont les conduites parentales induites par le diagnostic : testing permanent de l’enfant à la maison, dépendance trop grande aux professionnels, forcing précoce. Plus précoce est le diagnostic, plus ce type d’attitude spontanée se produit inconsciemment, et la surmédicalisation de la surdité est également inductive. J’ai remarqué que les entendants, particulièrement ceux qui sont censés connaître et soigner, ont bien du mal à imaginer ce qu’est la surdité. En ce qui concerne les différences d’évolution : je ne vois aucune différence concernant le langage entre des enfants diagnostiqués à 6/8 mois et des bébés dont le diagnostic s’est fait à 2 mois, si ce n’est une altération des relations parentales. Les parents que j’ai interrogés à ce propos m’ont dit : heureusement que je ne l’ai pas su tout de suite ! Nous avons pu rentrer sereins à la maison.”
Sur aucun des aspects controversés du projet, ses promoteurs n’ont apporté de réponse convaincante basée sur une évaluation sérieuse des expérimentations en cours.
La position du CIANE
Au vu des éléments précédents, le CIANE considère que :
· le dépistage dès la naissance paraît inopportun, injustifié au regard des délais de prise en charge, et présente des inconvénients majeurs pour l’établissement de la relation entre les parents et le nouveau-né.
· mené dans un cadre exclusivement médical, avec une grande précipitation et sans qu’un accompagnement satisfaisant des parents, notamment en terme d’information dès la grossesse, soit assuré, il s’oppose au respect du droit des personnes à décider, pour elles-mêmes et ceux dont elles ont la charge, les soins dont elles seront l’objet.
· il s’associe aux propositions portées par un certain nombre d’associations de sourds qui souhaitent que le dépistage soit réalisé plus tardivement après trois mois, ce qui permettrait de contourner en grande partie les difficultés soulevées par le diagnostic néonatal.
Haute autorité de santé, Evaluation du dépistage néonatal
systématique de la surdité permanente bilatérale, janvier 2007
Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, AVIS N°103, Ethique et surdité de l’enfant : éléments de réflexion à propos de l’information sur le dépistage systématique néonatal et la prise en charge des enfants sourds, 2007
Débats de la commission des affaires sociales, 17 novembre 2010
Merci pour votre communiqué. Je l’ai mis dans la page “Contre la proposition de loi dépistage précoce de la surdité”
bien jugé, j’approuve votre position
c’est plus juste
merci
nous continons jusqu’ au retrait .…
Ma question c’est pourquoi “obligatoire”, qu’est ce qui justifie une telle obligation?? Pendant la grossesse, les mamans et papas ont déjà tellement d’obligations!
Je ne vois pas et ne comprends absolument ce genre d’obligation, ça me révolte!