De : CIANE, Collectif Interassociatif Autour de la NaissancE
A : Dr. Robert Maillet, Hôpital St. Jacques, Besançon
Copies :
- Comité d’organisation des journées de Tarbes
- Collège National des Gynécologues et Obstétriciens de France
- Centre d’Ethique Clinique de l’Hôpital Cochin
- Comité Consultatif National d’Ethique
- Associations et organismes de presse
Monsieur,
Le CIANE regroupe plus de 40 associations d’usagers et de professionnels. Mis en place à l’occasion des Etats Généraux de la naissance en juin 2003, il continue ses travaux, en particulier dans l’interface usagers et représentants du gouvernement et du système de soins.
Nous avons pris connaissance des actes du colloque auquel vous avez participé en octobre 2000 à Tarbes, “Extractions instrumentales : ventouse ou forceps : que choisir ?”. (http://www.jpgtarbes.com/detail/archives/02120801.asp)
Nous avons trouvé ce document extrêmement instructif, aussi bien sur l’emploi des instruments que sur les effets secondaires qui peuvent parfois se produire. En particulier, vous prenez bien note du fait que des péridurales trop dosées entraînent souvent le recours aux extractions instrumentales.
Nous nous demandons par contre pourquoi tous ces effets secondaires et dangers sont presque toujours passés sous silence lors des cours de préparation à l’accouchement donnés aux femmes enceintes. Nulle n’est informée de cet effet secondaire de la péridurale, ni non plus des dangers des forceps ou spatules pour le périnée maternel et les temporaux des bébés. Etant donné que ces extractions instrumentales concernent environ 15% des accouchements, il est plus que regrettable qu’une information loyale ne soit pas délivrée aux femmes enceintes.
Nous sommes d’autre part choqués par l’une de vos “Indications d’intérêt maternel”, “l’indocilité” dans le cas des spatules, la “non coopération maternelle” dans le cas des forceps.
Que signifient ces termes en pratique ? Dans l’ancien temps vous auriez vraisemblablement parlé d’une femme hystérique. Le terme “indocile” signifie “désobéissant”, “indiscipliné”, “insoumis”. Parler d’intérêt à utiliser des instruments impressionnants en cas d’ ”insoumission” peut apparaître comme un moyen de punition. De plus, ces propos tenu par un homme (même de l’art) peuvent avoir une co-notation “sexiste”, passible aujourd’hui de sanctions sur le plan pénal. Imaginez la réaction d’une association telle que “Ni putes, ni soumises” à la lecture de ce texte.
Il ne saurait être question d’utiliser des termes comme “indocilité” dans une relation contractuelle liant médecin et patient, comme le rappelle la loi sur les droits des malades. Un patient n’a pas à obéir à un médecin, un médecin n’a pas à lui donner des ordres, même en cas d’urgence. L’expression de “désarroi maternel, malgré un soutien psychologique” serait plus proche de la réalité et surtout plus respectueuse de la dignité de la personne.
Nous comprenons que vous puissiez percevoir certaines situations comme devenant urgentes lorsque vous vous trouvez confronté à une femme qui vous semble en proie à une crise de panique. La première question à poser est, pourquoi cette femme panique-t-elle ?
Il se peut qu’elle se soit sentie totalement déshumanisée, réduite à un corps sans tête, obligée de rester immobile et de subir divers actes sans parfois être même informée de la raison de ces actes, sans même parfois que le soignant ne lui adresse un regard ni une parole. Il n’est ni étonnant ni anormal qu’une personne se révolte lorsqu’elle est systématiquement dépersonnalisée.
Hors péridurale, il se peut aussi que l’immobilité forcée en décubitus dorsal augmente les douleurs de l’accouchement à un point tel qu’elle cherche juste à se relever pour soulager sa souffrance un tant soit peu. L’en empêcher pose des questions éthiques insurmontables.
Toujours hors péridurale, il se peut aussi que le bébé coince légèrement dans sa progression et que la femme en couche ressente le besoin impérieux de bouger pour aider la progression de son bébé. Dans ce cas un ordre contradictoire lui enjoignant de rester immobile à plat dos (ou même semi-assise) a toutes les chances de la rendre très “indocile” puisqu’elle sait qu’elle doit bouger pour aider son bébé à naître. En outre, un ordre de poussée dirigée dans un tel contexte risque fort de transformer en dystocie véritable ce qui n’était qu’un léger blocage. Bernadette de Gasquet, qui participait au même colloque, a certainement pris la peine de détailler l’importance de la mobilité d’une femme en couche. L’OMS qualifie d’ailleurs de pratique iatrogène l’immobilité imposée pendant toutes les phases du travail.
Finalement, il existe aussi une phase de l’accouchement bien connue qui s’appelle la désespérance. Elle se produit en général juste avant la sortie du bébé. La femme éprouve à ce moment une très grande angoisse et parfois même une peur presque panique de mourir. Il ne sert à rien de sortir des forceps ou des spatules pour arrêter cette phase de désespérance. La seule chose raisonnable à faire est d’être là humainement avec cette femme, de l’accompagner empathiquement, voire de verbaliser calmement cette phase de désespérance. Si elle est correctement interprétée par l’entourage, cette phase de désespérance se résoud d’elle-même par la naissance du bébé, sans besoin d’aucune intervention.
Nous vous serions plus que reconnaissant d’éviter à l’avenir d’utiliser, mais surtout de les penser, de tels termes irrespectueux en parlant des femmes en couche. Elles sont des êtres humains responsables, et non des petites filles face à une autorité.
Cécile Loup, Gilles Gaebel, et Bernard Bel, pour le CIANE
Collectif Interassociatif Autour de la NaissancE <http://naissance.ws/CIANE/>
Réponse du Prof. Maillet, 26/02/2005