Les fermetures de maternité s’enchaînent : Die, Saint-Claude, Le Blanc, Bar-le-Duc, Privas, …et bientôt Thann et Altkirch. En parallèle, la loi de Santé prévoit de fermer de nombreux services de chirurgie et d’obstétrique, pour créer des hôpitaux de proximité. Les fermetures recouvrent plusieurs cas de figure. Il peut s’agir de petites maternités de zone rurale, réalisant moins de 300 accouchements par an, maintenues jusqu’alors en raison d’une exception géographique. Ailleurs, ce sont des regroupements d’activité au sein des groupements hospitaliers de territoire, pour “rationaliser” l’offre de soin ou répondre au manque de médecins, en zone rurale ou urbaine. Entre 2010 et 2016, ce sont surtout des maternités de taille moyenne, réalisant entre 1 000 et 1 500 accouchements, qui ont disparu, selon la dernière Enquête nationale périnatale.
Pour justifier ces transformations, le gouvernement et les ARS évoquent une baisse de la natalité et/ou le manque de personnel médical. Le faible volume d’actes réalisés dans certaines petites maternités les rendrait peu sûres: peu utilisées, les compétences se perdraient. Les opposants aux fermetures font valoir leur attachement à la proximité des services publics et attirent l’attention sur les risques encourus par les femmes trop éloignées.
Face à la cacophonie ambiante et à l’hétérogénéité des territoires, le Ciane n’a pas de position de principe unique et dogmatique. Alors que le gouvernement engage une consultation sur les solutions envisagées pour les femmes éloignées des maternités, le Ciane souhaite souligner les questions demeurées sans réponse, tout en formulant des propositions.
Des questions sans réponses
1. Quel est le volume des fermetures annoncées ?
La loi de Santé et les ordonnances annoncées pour les 18 prochains mois doivent aboutir à la création de 500 à 600 hôpitaux de proximité, c’est-à-dire sans service de chirurgie ou d’obstétrique. En juin dernier, le gouvernement en a listé 241 déjà existants. Mais à ce jour, il n’a détaillé ni l’ampleur des fermetures de services d’obstétrique à prévoir, ni leur rythme. Tout laisse penser que la carte hospitalière va s’en trouver profondément transformée.
2. Quel est le maillage idéal sur le territoire ?
Cette question revient surtout à s’interroger sur la distance idéale de sécurité entre le domicile d’une patiente et la maternité la plus proche.
Les études montrent que les accouchements hors maternité sont rares. Cependant, leur probabilité et les risques associés à ces accouchements augmentent avec la distance entre le domicile et la maternité, surtout pour les multipares [1, 2]. La mortalité néonatale est presque multipliée par quatre lorsque l’accouchement extrahospitalier a lieu à plus de 45 km de la maternité la plus proche [3]. Les fermetures de maternité sont susceptibles d’entraîner des effets indirects : les femmes éloignées des maternités sont plus souvent hospitalisées pendant la grossesse [4] et ont plus souvent un déclenchement sans indication médicale [5].
Actuellement, la Drees réactualise ses études concernant le nombre de femmes résidant à plus de 45 minutes d’une maternité, en évaluant la part d’accouchements à domicile choisis. Les résultats d’une autre étude de la Drees évaluant la morbimortalité maternelle et fœtale en lien avec la distance d’une maternité sont attendus en 2020.
Ces études permettront aussi de savoir dans quelles zones le choix des femmes s’est réduit, notamment entre établissements privés et publics.
3. Quelle est la taille idéale d’une maternité ?
Le seuil de 300 accouchements en dessous duquel une maternité ne serait pas sûre a été établi sans étude préalable. Les éléments scientifiques manquent pour formuler des recommandations définitives sur le volume d’accouchements minimal idéal pour garantir la sécurité d’une maternité. De plus, un glissement sémantique s’est établi entre le seuil de viabilité financière d’une maternité, évalué par la Fédération de l’hospitalisation privée à 1100 accouchements [6] et son seuil de sécurité.
La question de la taille d’une maternité est surtout liée au maintien des compétences médicales. Ces dernières sont meilleures lorsque les médecins réalisent un nombre important d’actes, ce qui ne serait possible que dans les établissements réalisant un grand nombre d’accouchements.
Cependant, alors que la tendance est à la réduction du nombre de césariennes ou de déclenchements, et que certaines situations demeureront rares (sièges), la question du maintien des compétences en obstétrique ne peut plus être pensée uniquement à travers la concentration des naissances dans de grandes maternités. La sécurité des soins repose davantage sur l’organisation en réseau dans laquelle une maternité s’intègre. L’évaluation des différents niveaux de coordination au sein d’un réseau reste encore pourtant embryonnaire.
4. À quel prix maintenir un service d’obstétrique ?
La tarification à l’activité ne permet pas de financer les soins d’obstétrique au coût réel. Les soins sont sous-tarifés, entraînant une “course aux volumes”, la recherche des actes “rentables” et une concurrence dommageable entre les établissements, comme l’a reconnu Agnès Buzyn dès 2017. La T2A a aussi concouru au déficit de certains établissements, sommés de redresser leurs comptes en réorganisant et restructurant leurs activités.
Avant leur fermeture définitive, de nombreuses maternités isolées géographiquement ont été menacées pendant des années. Des stratégies de pourrissement ont-elles été à l’œuvre ou ces maternités ont-elles été maintenues jusqu’à ce que la situation soit intenable, tant au niveau de la sécurité que des finances ? En tout état de cause, l’absence de visibilité sur la pérennité d’un service engendre un cercle vicieux : désintérêt des professionnels de santé pour y exercer, manque de professionnels sur le terrain, recours coûteux aux intérimaires, décision de fermeture.
Cependant, la question du coût du maintien de certains services se pose. Est-il pertinent de rémunérer toute une équipe d’obstétrique et d’entretenir des locaux ou d’avoir recours aux médecins intérimaires pour un très faible nombre d’accouchements par an ? La santé a un coût, assumé par la solidarité nationale et les questions financières ne peuvent être évacuées.
À ce jour, une seule étude a proposé une méthodologie pour déterminer le nombre minimum de femmes enceintes en deçà duquel le maintien d’une maternité “compromettrait l‘intérêt général du fait de la disproportion entre les moyens engagés et le nombre de bénéficiaires” [7]. Cette étude de 2003 mérite d’être réactualisée.
5. Quelles sont les mesures prévues pour les femmes éloignées ?
Face à la vague de protestation contre les fermetures de maternité, Agnès Buzyn a annoncé la mise en place d’un “Pack Engagement maternité”. Il prévoit un hébergement gratuit en hôtel hospitalier, avant l’accouchement, des femmes résidant loin d’une maternité et la présence d’une sage-femme auprès des services d’urgence appelés parfois à intervenir. Mais ces mesures restent à préciser.
À partir de quel terme de la grossese l’hébergement en hôtel hospitalier serait-il proposé et pris en charge ? Pour une ou plusieurs nuits d’hébergement, les frais de garde des autres enfants seront-ils aussi pris en charge ? Peut-on obliger les femmes à accepter un tel hébergement ? Qui assumera la responsabilité d’un accouchement extrahospitalier compliqué lorsqu’une proposition d’hébergement hospitalier aura été faite ?
Certains services d’urgence n’ont pas attendu la proposition du gouvernement pour permettre la présence d’une sage-femme dans l’ambulance. Ne faut-il pas tirer le bilan des expérimentations locales, tant pour les patientes que pour les soignants, avant de généraliser un tel dispositif ?
Propositions du Ciane
1. Plus de transparence dans les décisions
Certaines ARS, comme en Nouvelle-Aquitaine, ont une politique de maintien à tout prix des maternités, moyennant des rotations de personnels soignants entre plusieurs établissements. D’autres choisissent de continuer de payer à prix d’or des médecins intérimaires ou remplaçants. À Guingamp ou à Créteil, l’intervention présidentielle a aboutit à l’annulation des décisions de fermetures de maternités. Quels sont les facteurs qui amènent à des arbitrages différents ? L’hétérogénéité géographique ou les problématiques de démographie médicale expliquent-elles tout ? Davantage de transparence éclairerait les débats.
Par ailleurs, la future carte hospitalière, impliquant la fermeture des services d’obstétrique dans les hôpitaux de proximité, doit être communiquée aux professionnels de santé, aux représentants d’usagers et au grand public. Les décisions prises dans les mois qui viennent auront un impact sur plusieurs décennies. La baisse actuelle de la natalité ne peut être pronostiquée sur la même durée.
En attendant, le Ciane demande un moratoire sur les fermetures de maternité.
2. Plus de démocratie sanitaire
Les autorités sanitaires ont l’impression de s’être heurtées à un mur face à leur proposition de participation des usagers à la réflexion sur une fermeture de maternité. De leur côté, ces derniers ont eu l’impression qu’on leur proposait un marché de dupes dans la mesure où on bornait leur réflexion sur l’aménagement d’un scénario pour l’essentiel déjà écrit.
Le Ciane demande des consultations éclairées avec les usagers du territoire dès qu’une maternité connaît une situation de fragilité, avec différents scénarios à l’étude. Nous proposons aussi une consultation d’ampleur associant des représentants d’usagers d’associations nationales (comme le Ciane) et locales, les soignants (élus des instances représentatives et personnels de terrain) et experts (sociologues et géographes de la santé) pour envisager l’aménagement du territoire.
3. Plus de recherches et d’études
Les nombreuses questions en suspens répertoriées ci-dessus appellent à de nouvelles études scientifiques. Avant de nouvelles réformes, il nous paraît pertinent d’attendre les prochaines évaluations de la Drees pour identifier le nombre de femmes concernées par l’éloignement des maternités et les risques maternels et fœtaux liés à l’éloignement.
Un Observatoire national des accouchements inopinés extrahospitaliers existe actuellement, fonctionnant sans financement et sur la base du bénévolat des professionnels de santé. Ses données sont actuellement incomplètes, faute de moyens. Nous demandons le financement pérenne de cet observatoire. Colligeant l’ensemble des aspects de chaque cas (psycho-médico-sociaux, interventions médicales, organisation des soins et coordination des acteurs), cela permettrait d’identifier les accouchements inopinés hors établissement évitables et les non-évitables. Nous estimons en effet que ces accouchements sont des événements sentinels.
Les études portant sur la sécurité-distance des maternités n’ont pris en compte que les accouchements. Aucune n’a répertorié et analysé les situations urgentes pendant la grossesse. Les retards délétères à la prise en charge des ruptures de grossesses extra-utérines, des hématomes rétro placentaires, des complications des hypertensions artérielles, en lien avec la distance des maternités et les fermetures récentes, restent à mener.
4. Plus d’effectifs dans les maternités
Les décrets de périnatalité de 1998 ont défini des normes d’effectifs afin assurer la sécurité des maternités. Le Collège national des gynécologues obstétriciens de France et le Collège national des sages-femmes de France, avec d’autres instances, estiment qu’elles ne sont plus adaptées. Ils proposent des effectifs plus importants, adaptés à la configuration des services et aux pratiques actuelles [8].
En maternité, les études sur le mal-être des soignants, qui a un impact sur la qualité de soins, sont inquiétantes [9]. Bien des soignants affirment parvenir à limiter les risques graves, au détriment de leur bien-être et/ou de la qualité d’accueil et de bientraitance des mères et des bébés [10]. Dans ce contexte, les fermetures de maternités sont redoutées par les autres établissements, qui devront récupérer certains accouchements, à effectif constant à l’heure actuelle.
C’est pourquoi le Ciane demande la révision des effectifs de professionnels en maternités, selon les propositions du CNGOF et CNSF.
5. Une plus grande attention aux femmes et à leur famille
La solution de l’hôtel hospitalier ne peut exclure les cas d’accouchements inopinés à domicile ou dans l’ambulance, car il est probable que de nombreuses femmes aient accouché avant. Or un accouchement extrahospitalier, même non compliqué, mais ni souhaité ni préparé par les parents, peut être source de stress, voire traumatisant, d’autant plus quand la patiente souhaitait une péridurale.
L’accompagnement psychologique, lors du séjour en maternité ou au-delà, doit être pris en charge par la sécurité sociale à 100 %, pour toutes les femmes ayant connu un accouchement extrahospitalier non programmé.
Un hébergement en hôtel hospitalier entraîne une séparation, plus ou moins longue, de la femme d’avec son/sa compagnon.e et, éventuellement, ses autres enfants. La distance ne garantit pas la présence du/de la compagne pendant l’accouchement, pourtant largement plébiscitée comme gage de sécurité affective et émotionnelle. La séparation avec la famille peut aussi fragiliser la future mère. Le bien-être des patientes doit être évalué et pris en compte.
La prise en charge des modes de garde des enfants doit être totale pour les femmes contraintes à un hébergement hospitalier en amont de leur accouchement.
6. Une meilleure coordination des acteurs
La fermeture d’une maternité, en particulier dans des zones isolées, s’accompagne de la mise en place de nouvelles interfaces de coordination entre les acteurs de soins : libéraux, professionnels des centres périnataux de proximité et des maternités de références, services d’urgence. La coordination sans faille entre ces acteurs et leur disponibilité est le gage de la sécurité des patientes.
Des moyens pour évaluer la qualité de cette coordination doivent être alloués, de même que des indicateurs établis.
À l’heure où le système de santé est censé mettre le patient au cœur de son organisation, il n’est plus envisageable de demander aux patients seuls de s’adapter à l’offre de soins. La réforme d’ampleur des maternités qui s’annonce engage une politique sur une dizaine voire une vingtaine d’années. Tout comme nous payons actuellement les réformes passées concernant la démographie médicale, il serait dangereux d’engager des réformes d’ampleur concernant les maternités sans l’ensemble des éclairages.
Dans les zones déjà concernées par les fermetures de maternités isolées, tout doit être mis en œuvre pour garantir la sécurité médicale et émotionnelle des femmes et de leur famille.
Références
[1] Béatrice Blondel. Out-of hospital births and the supply of maternity units in France. Health & Place, 2011
[2] Evelyne Combier, Adrien Roussot et coll.. Accouchements extrahospitaliers en France, étude populationnelle à partir du PMSI (2012–2014). XXXIIème congrès national ÉMOIS, Nancy 2019
[3] Hugo Pilkington et coll. Where does distance matter ? Distance to the closest maternity unit and risk of fetal and neonatal mortality in France. Eur J Public Health 24, 2014
[4] Combier et al. Perinatal health inequalities and accessibility of maternity services in a rural French region : closing maternity units in Burgundy. Health Place 24, 2013
[5] Coulm B. Et coll. Elective induction of labour and maternal request : a national population based study. BJOC n°123, 2016
[6] Cour des comptes. Les maternités. Cahier 1: Analyse général. Décembre 2014
[8] CNGOF. Ressources humaines pour les activités non programmées en gynécologie-obstétrique. 2018
[9] Hospitalières : des scores élevés de burnout. In: Profession Sage-Femme n°246 — Juin 2018
[10] Ciane. Violences obtétricales: prévenir, comprendre, réparer. 17 oct 2017
Photo d’ouverture : © josegomezpix — istockphoto.com
[…] Par Madeleine Akrich|septembre 19th, 2019|Annonce, Communiqué de presse|0 commentaire […]