Deux rapports viennent d’être publiés dressant un état des lieux de la santé des femmes et de l’offre de soins en périnatalité : le rapport de Santé Publique France [1] et l’Enquête nationale périnatale 2021 [2]. Le constat est mitigé : des progrès sont enregistrés sur l’utilisation raisonnée de la médicalisation et sur l’utilisation du projet de naissance. Mais il reste beaucoup à faire en matière de bientraitance, de prise en charge de la douleur de la césarienne et de post-partum. Par ailleurs, l’enquête révèle une évolution préoccupante de la mortalité néonatale, des inégalités persistantes dans la prise en charge ainsi que des problèmes de recrutement qui sont susceptibles d’affecter l’accueil et le suivi des femmes. En résumé, il est urgent de prendre à bras le corps la question des soins apportés aux femmes et aux enfants en périnatalité.
Médicalisation de l’accouchement: entre progrès et défis
L’ENP 2021 note une tendance à la moindre médicalisation de l’accouchement, ce dont nous nous félicitons Les recommandations de bonnes pratiques sur l’administration d’oxytocine pendant le travail (2017) et sur la prévention et la protection périnéale (2018), que le Ciane a contribué à faire émerger à travers des années de militantisme, portent leurs fruits.
On note une diminution notable:
- du travail dirigé: 33,2% des femmes en travail spontané ont eu leurs membranes rompues artificiellement en 2021, contre 41,4% en 2016. Et 30% de ces femmes ont reçu une administration d’oxytocine durant le travail en 2021, contre 44,3 % en 2016.
- de l’épisiotomie: Le Ciane se réjouit que le taux d’épisiotomie ait baissé de 20,1% en 2016 à 8,3% en 2021, après un long combat. Dès 2004, le Ciane a interpellé régulièrement le Collège national des gynécologues-obstétriciens de France au sujet de cette incision redoutée des femmes. Il a fallu attendre 2018 pour que les nouvelles recommandations soient plus nettes.
Le taux de césarienne, bien qu’élevé (21,4%) reste stable en France selon l’ENP 2021. L’ensemble du système de santé a fait des efforts pour contenir leur nombre, alors que, partout dans le monde, les taux explosent.
En revanche, le taux de déclenchement est en augmentation passant de 22% en 2016 à 25,8% en 2021, ce qui est préoccupant. Tout comme l’augmentation des césariennes a fait l’objet d’un suivi attentif de la part des autorités de santé, la croissance du recours au déclenchement doit faire l’objet d’une grande vigilance.
Enfin, le Ciane regrette que le recours à l’expression abdominale, pratique interdite, n’ait pas été interrogé dans l’ENP 2021. Le collectif reçoit encore de nombreux témoignages de cette mauvaise pratique.
La douleur des femmes doit être entendue
Si 90% des femmes se disent « satisfaites » voire « très satisfaites » des méthodes utilisées pour soulager la douleur à l’accouchement, trop de femmes ressentent une douleur considérée comme insupportable : 29,7% en cas de voie basse spontanée et 37,8% en cas de voie basse instrumentale (forcepts, ventouse). Alors que le Ciane dénonce depuis plusieurs années les “césariennes à vif”, 10,4% des femmes césarisées ressentent une douleur insupportable en début d’opération. Et plus d’une femme sur dix garde un « plutôt mauvais » ou un « très mauvais » souvenir de son accouchement. Il est temps d’appliquer les recommandations du Caro sur l’insuffisance d’analgésie au cours de la césarienne (2019) et d’initier cette même réflexion concernant les accouchements instrumentaux.
La bientraitance, une urgence
Alors que le Ciane promeut depuis sa création le Projet de naissance comme outil de dialogue avec les équipes soignantes, l’ENP 2021 révèle que plus de 65% des établissements le proposent souvent ou systématiquement. De plus, la part des femmes rédigeant un projet de naissance a triplé entre 2016 et 2021 (respectivement 3,7 % et 10,2%).Ces données positives doivent être mise en regard d’autres chiffres moins glorieux de l’ENP 2021 : 10% des femmes rapportent avoir été confrontées à des paroles ou attitudes inappropriées de la part des soignants pendant leur grossesse, leur accouchement ou le séjour à la maternité et 6,7% à des gestes inappropriés. En matière de consentement, les femmes rapportent qu’il n’a pas été demandé dans 4,2% des des cas avant la réalisation d’un toucher vaginal durant la grossesse, dans 20% des cas avant l’administration d’oxytocine durant le travail et dans 51,8% des cas pour la réalisation d’une épisiotomie. Le consentement n’a pas été exploré concernant le décollement ou la rupture artificielle des membranes ou concernant les touchers vaginaux pendant l’accouchement. Le Projet de naissance à lui seul n’est pas un gage suffisant de bientraitance. Plus que jamais, la lutte contre la maltraitance et le respect du consentement des femmes doivent devenir des indicateurs de qualité des soins.
Santé psychique et post-partum: doit mieux faire
Proposé de longue date par le Ciane, un volet sur le « suivi à deux mois » a pour la première fois été initié dans l’ENP 2021. Le Collectif estime en effet que les femmes sont plus à même d’exprimer leur vécu à distance de l’accouchement et que cela permet de mieux cerner les problèmes du post-partum, longtemps le grand oublié des politiques de santé.
L’ENP 2021 révèle ainsi des données inquiétantes : 15,5% des femmes déclarent avoir vécu difficilement ou très difficilement leur grossesse et 11,7% avoir un mauvais voire très mauvais vécu de leur accouchement. Environ 17% des femmes déclarent que la période écoulée depuis la naissance a été ressentie comme difficile ou très difficile. Un quart des femmes déclarent à 2 mois présenter encore des douleurs physiques liées à leur accouchement, ce qui mériterait de plus amples investigations. Près de deux tiers des femmes n’ont pas au moins 3 personnes proches qu’elles peuvent solliciter en cas de graves difficultés personnelles. Au total, ce sont près de 17% des femmes qui présentent des symptômes suggérant une dépression post-partum. Et si près de 79% des femmes ont bénéficié de la visite à domicile d’une sage-femme après l’accouchement, qu’en est-il pour les autres (21%) ? Face à ces constats sans appel, la politique des 1000 premiers jours, initiée en 2021, doit être effective et évaluée rapidement.
En complément de ces données, le Ciane a produit les résultats d’une enquête menée auprès de 8500 femmes, de niveau socio-économique globalement plus élevé que dans l’ENP 2021. De nombreuses propositions détaillées visent à améliorer le vécu des femmes, dont le bien-être est souvent fragilisé par le système de santé lui-même (lire ici).
Mortalité périnatale, Inégalités persistantes, et difficultés de recrutement, trois sujets de préoccupation
Constat alarmant du rapport de Santé Publique France: la mortalité néonatale (entre 0 et 27 jours de vie) a augmenté ces dernières années, passant de 1,6 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2010 à 1,8 en 2019, en métropole. Partout, la hausse se concentre sur la première semaine de vie. La situation est particulièrement dégradée dans les DROM. Le rapport note aussi une paupérisation accrue, notamment en Île-de-France. Or, selon l’ENP 2021, seules 35% des maternités ont un accès systématique à une Permanence d’accès aux soins de santé (Pass), et plus de 21% un accès non systématique. Et l’accès à un autre dispositif pour faciliter la prise en charge des femmes en situation de précarité ou de vulnérabilité a baissé, passant de près de 53% en 2016 à moins de 29% en 2021. La précarité est connue pour augmenter les risques de prématurité et dégrader les issues obstétricales, ce qui a un coût humain et financier plus élevé que celui de la prévention en anténatal.
Comprendre les causes de la détérioration des chiffres de mortalité, mettre en place une politique volontariste et des moyens dans les DROM, lutter contre les situations de précarité doivent être des objectifs prioritaires pour les années à venir.
Les données de l’ENP 2021 concernant l’offre de soins sont inquiétantes. Le recours à l’intérim ou à des vacataires pour les gynécologues obstétriciens et anesthésistes est massif: 41 % pour les pédiatres et 38 % pour les sages-femmes. L’absence de stabilité des équipes de soins et la rotation de celles-ci est un sérieux frein à la mise en place de projets d’équipe, à une culture partagée de la bientraitance et à l’évaluation des pratiques professionnelles. Sans aucun doute, ce sont les femmes qui en pâtissent. Même si l’ENP note que les refus d’inscriptions sont en baisse, les maternités de types III, elles-mêmes en augmentation, sont engorgées. Les maternités réalisant plus de 3500 accouchements par an refusent les inscriptions dans 48% des cas. La crise du recrutement qui s’est amplifiée depuis l’ENP 2021, avec des délestages entre établissements, majorent sans doute encore la situation. Il y a urgence à revoir les décrets concernant les effectifs nécessaires en maternité et à rendre attractives les professions liées à la périnatalité.
[1] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2022/sante-perinatale-un-rapport-inedit-pour-decrire-et-ameliorer-l-etat-de-sante-des-femmes-et-des-nouveau-nes
[2] https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/474363/3629098?version=3
Bravo et merci pour votre travail