Réflex­ions autour des États généraux de la nais­sance 2006 

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Le CIANE (Col­lec­tif interas­so­ci­atif autour de la nais­sance https://ciane.info) est un col­lec­tif de 132 asso­ci­a­tions d’usagers des ser­vices de mater­nité rassem­blées autour d’une charte et d’une plate­forme de propo­si­tions pour l’amélioration du sys­tème péri­na­tal. Il encour­age, à cet effet, toute inter­ac­tion con­struc­tive entre par­ents, prati­ciens de san­té, chercheurs, respon­s­ables admin­is­trat­ifs et décideurs poli­tiques. Les États généraux de la nais­sance sont une occa­sion unique de con­stru­ire ou con­solid­er des passerelles entre ces acteurs de la périnatalité.

 

Amélior­er le sys­tème péri­na­tal ne peut pas se résumer à une meilleure adéqua­tion entre « l’offre de soins » et « les attentes des usagers ». Raison­ner en ces ter­mes, c’est refuser de voir les femmes enceintes et leurs proches autrement que comme des clients de ser­vices de mater­nité acteurs d’un marché dont les règles auraient été édic­tées une fois pour toutes par des experts médi­caux. Ce dis­cours ges­tion­naire est révéla­teur d’une triple intrusion :
  1. La médecine. La venue au monde d’un enfant n’est pas un événe­ment médi­cal a pri­ori. À sup­pos­er que 10 à 20% des accouche­ments ne puis­sent faire l’économie de gestes médi­caux — esti­ma­tion sujette à con­tro­verse — ces gestes, la tech­nolo­gie et les com­pé­tences qui vont avec, ne peu­vent pas con­stituer une fin en soi. Les asso­ci­a­tions qui mili­tent pour une démédi­cal­i­sa­tion de la nais­sance ne plaident pas seule­ment pour que soit évitée toute inter­ven­tion poten­tielle­ment iatrogène, une reven­di­ca­tion que les « pôles phys­i­ologiques » des mater­nités sont à même de sat­is­faire ; « démédi­calis­er » veut surtout dire replac­er l’événement de la nais­sance au cen­tre de l’histoire d’un cou­ple, d’une fratrie et d’un envi­ron­nement social dont la médecine n’est qu’une com­posante par­mi d’autres.
  2. Le marché. Quand l’offre précède la demande, cette demande s’exprime par la bouche d’experts qui ne sont pas les deman­deurs. Au pire, elle est énon­cée comme une vérité uni­verselle : « Toutes les femmes deman­dent la péridu­rale », « Les par­ents veu­lent des maisons de nais­sance »… Au mieux, elle est quan­tifiée avec un souci de rigueur sci­en­tifique, bien que « for­matée » selon les pro­to­coles d’enquêtes [ate­lier 5].
  3. L’expertise. Cette ques­tion est au cœur de la prob­lé­ma­tique des États généraux de la nais­sance, et plus générale­ment du CIANE qui a vu le jour à l’occasion des États généraux de 2003. Est expert celui qui a de l’expérience (expe­ri­en­tia). Ce sens pre­mier, fondé sur l’idée d’un appren­tis­sage à l’épreuve de la pra­tique, est éclip­sé par le sens plus courant aujourd’hui de spé­cial­iste d’un domaine. Cette évo­lu­tion séman­tique a cela de remar­quable que le sens mod­erne tend à dis­qual­i­fi­er l’expertise fondée sur l’expérience ordi­naire qui fondait la notion prim­i­tive (Isabelle Stengers et Bernardette Ben­saude-Vin­cent, 100 mots pour com­mencer à penser les sci­ences, Les empêcheurs de penser en rond, 2003).
Des usagers aux « par­ents-citoyens »Le plan péri­na­tal­ité 2005–2007 a ren­for­cé la présence de représen­tants des usagers aux côtés des pro­fes­sion­nels dans toutes les instances déci­sion­nelles du sys­tème de san­té. La démoc­ra­tie san­i­taire est en jeu dans cette redis­tri­b­u­tion des cartes. Elle définit un nou­v­el espace pub­lic où « le pub­lic » est appelé à jouer un rôle poli­tique autre que celui de la dénon­ci­a­tion indi­vidu­elle — « tout le monde râle mais rien ne change ».

Ce que les anglo­phones désig­nent par empow­er­ment n’est pas une affir­ma­tion dém­a­gogique de la supré­matie de l’usager-client-consommateur. Félix Guat­tari définit l’empow­er­ment comme la pro­duc­tion col­lec­tive de sub­jec­tiv­ités. Cette déf­i­ni­tion est riche de sens car elle affirme le rôle de l’individu (en tant que sujet) dans la pro­duc­tion d’un savoir col­lec­tif. Le milieu asso­ci­atif, relayé par les col­lec­tifs d’associations, per­met ici de dépass­er le stade de la dénon­ci­a­tion pour s’engager dans l’action col­lec­tive — l’exercice de la démocratie.

Les usagers ain­si trans­for­més en « par­ents-citoyens » devi­en­nent acteurs des trans­for­ma­tions souhaitées du sys­tème péri­na­tal. Toute­fois, des ques­tions de représen­ta­tiv­ité et d’efficacité de la par­tic­i­pa­tion aux instances (réseaux etc.) se posent inévitable­ment à ceux qui con­sacrent du temps et de l’énergie au tra­vail en com­mis­sion [ate­lier 6]. Le CIANE s’interroge aus­si sur les straté­gies à met­tre en œuvre pour aboutir à des change­ments qui ne soient pas de sim­ples amé­nage­ments de l’existant [ate­lier 7].

Rentabil­ité, mais…

La fer­me­ture des petites mater­nités a été jus­ti­fiée auprès du pub­lic par l’intention louable d’améliorer la sécu­rité du dis­posi­tif péri­na­tal. Or les sta­tis­tiques n’ont pas con­fir­mé la per­ti­nence de cette poli­tique de regroupe­ment, d’ailleurs con­traire à celle des pays d’Europe qui affichent de meilleurs résul­tats péri­nataux. Les mater­nités de niveau I ayant échap­pé au regroupe­ment sont de nou­veau men­acées dans leur exis­tence par la mise en place d’un sys­tème de tar­i­fi­ca­tion imposant des critères dra­con­niens de rentabil­ité économique [ate­lier 1]. De nom­breux ser­vices qu’elles ren­dent aux femmes enceintes (accom­pa­g­ne­ment, écoute, sou­tien psy­chologique…) ne sont pas « tar­i­fiés à l’acte » et ne peu­vent donc plus être pris en compte dans le finance­ment. L’effet per­vers de ce dis­posi­tif nou­veau est que plus un étab­lisse­ment priv­ilégie une sur­veil­lance non-inter­ven­tion­niste de l’accouchement (la rai­son d’être du « niveau I »), moins il a de chances de béné­fici­er d’un finance­ment assur­ant sa survie.

La dis­sim­u­la­tion de critères économiques sous des argu­ments d’amélioration du con­fort et de la sécu­rité des femmes en couch­es ne date pas d’hier. Dans les années 1960–70, une équipe irlandaise (dirigée par O’Driscoll) a mis au point un pro­to­cole de « ges­tion active de l’accouchement » (active man­age­ment of labour) dont le dou­ble objec­tif était de faire face à l’encombrement des ser­vices et de réduire les taux de césari­ennes. Il fal­lait pour cela dimin­uer arti­fi­cielle­ment la durée moyenne des accouche­ments en inter­venant de divers­es manières sur la pro­gres­sion du tra­vail. Mars­den Wag­n­er, expert à l’OMS, déclarait à ce sujet : La ges­tion active du tra­vail illus­tre la con­fu­sion dans l’approche médi­cale de ce qui est nor­mal et de ce qui est pathologique en ce qui con­cerne la nais­sance. C’est une forme extrême de médi­cal­i­sa­tion dans laque­lle le rythme de l’horloge a été accéléré. Si le tra­vail de la femme ne pro­gresse pas à un rythme que les médecins ont défi­ni, de manière arbi­traire, comme sat­is­faisant, on dit que la femme souf­fre de « dys­to­cie » et qu’une inter­ven­tion est néces­saire pour accélér­er le tra­vail (Mid­wifery Today, 37, 1996).

Les chiffres mon­trent que le pre­mier objec­tif a très vite été atteint : en 1963 la durée opti­male du tra­vail pour un pre­mier accouche­ment était estimée à 36 heures, en 1968 elle a été réduite à 24 heures, et en 1972 elle est descen­due à 12 heures. On peut l’estimer à 8 heures aujourd’hui. Dans ces con­di­tions, par­ler d’accouchement « phys­i­ologique » est, au mieux, une fraude sci­en­tifique, au pire une escro­querie. Par con­tre, la ges­tion active n’a pas rem­pli sa promesse de dimin­uer les taux de césariennes.

La ges­tion du tra­vail, en France, ne cor­re­spond plus au mod­èle pro­posé par O’Driscoll. Elle se décline sur le mode tech­nologique avec un recours fréquent au déclenche­ment de l’accouchement (20%), aux ocy­to­ciques (50%) et à la péridu­rale (70%, con­tre 10 à 30% en Alle­magne et aux Pays-Bas). De plus, 20 à 50% des déclenche­ments se feraient « par con­ve­nance » et non sur indi­ca­tion médi­cale, avec une plus forte pro­por­tion dans les étab­lisse­ments qui souf­frent le plus d’un manque de per­son­nel, tout cela mal­gré les con­séquences par­fois dra­ma­tiques de cette inter­ven­tion (cf. une fiche de cadrage de la HAS, 25/4/2006) [ate­lier 11].

… à quel prix ?

Il est impor­tant de rap­pel­er que les propo­si­tions du CIANE et de nom­breux pro­fes­sion­nels vont dans le sens d’une réduc­tion des dépens­es du sys­tème de san­té pour ce qui est de la prise en charge de la péri­na­tal­ité [ate­lier 10]. En effet, les don­nées de la médecine factuelle, depuis plusieurs décen­nies, ont prou­vé que de nom­breux gestes médi­caux pour­raient être évités sans pour cela aug­menter le risque péri­na­tal. (Une asso­ci­a­tion met à la dis­po­si­tion du pub­lic une base de don­nées bilingue de références sci­en­tifiques per­me­t­tant des recherch­es ciblées sur les mots-clés sig­ni­fi­cat­ifs http://afar.info/biblio-liens.htm.)

La maîtrise du coût de la péri­na­tal­ité devrait découler de la sim­ple prise de con­science, au niveau poli­tique, du fait que la grossesse n’est pas une mal­adie. Si 80% des femmes abor­dent l’accouchement avec un pronos­tic favor­able, il n’y a aucune rai­son de les pren­dre en charge dans des struc­tures p
révues pour des accouche­ments à risques, sauf d’induire ce risque par un excès d’interventionnisme per­tur­bant le métab­o­lisme des hor­mones naturelles. De même, il est aber­rant — même si des par­ents insuff­isam­ment infor­més le récla­ment — de sol­liciter la présence d’obstétriciens là où les sages-femmes pour­raient pleine­ment jouer leur rôle d’accompagnantes, sous réserve de con­di­tions de tra­vail favor­ables. C’est pourquoi le CIANE défend le principe de la plus grande diver­sité de choix du lieu d’accouchement : domi­cile, mai­son de nais­sance [ate­lier 4], pôle phys­i­ologique, hôpi­tal ou clinique.

On peut met­tre en par­al­lèle l’approche tech­no-sci­en­tifique dom­i­nante de la repro­duc­tion humaine et le pro­duc­tivisme de l’industrie agro-ali­men­taire. Les mêmes straté­gies sont mis­es en œuvre pour réduire les coûts : réduc­tion du nom­bre d’opérateurs humains, sur­veil­lance tech­nologique, pro­to­coles ne prenant pas en compte la vari­abil­ité indi­vidu­elle, et regroupe­ment des lieux de pro­duc­tion ou des « usines à bébés ».

Il y a de nom­breuses ombres au tableau. Les économies réal­isées (à l’échelle locale des étab­lisse­ments) par la sys­té­ma­ti­sa­tion des actes et la réduc­tion des effec­tifs sont bal­ayées par le sur­coût glob­al des dis­posi­tifs indis­pens­ables à cette forme de prise en charge des femmes pen­dant l’accouchement. Tout repose en effet sur la tech­nic­ité et la com­pé­tence des opéra­teurs. Des gestes médi­caux poten­tielle­ment iatrogènes se mul­ti­plient sur des femmes dépos­sédées de leur capac­ité d’enfanter, comme en témoignent de nom­breux réc­its de nais­sances http://naissance.ws/recits.htm. Suite à leur accouche­ment, 10 à 15% d’entre elles sont diag­nos­tiquées en dépres­sion mater­nelle, dont un tiers env­i­ron présen­teraient plusieurs symp­tomes d’un état de stress post-trau­ma­tique (D.K. Creedy, Emo­tion­al well-being of chilbear­ing women: A review of the evi­dence, 2002 Pro­fes­so­r­i­al lec­ture. Grif­fith Uni­ver­si­ty Emo­tion­al well-being of chilbear­ing women: A review of the evi­dence). Le début de l’allaitement [ate­lier 18] mais aus­si la rela­tion par­ent-enfant [ate­lier 15] sont sou­vent com­pro­mis, et les effets à long terme de con­di­tions trau­ma­ti­santes pour le nou­veau-né reti­en­nent l’attention des psy­cho­logues, quand ce n’est pas des crim­i­no­logues [ate­lier 13].

Le prix à pay­er est de plus en plus élevé si l’on y inclut la judi­cia­ri­sa­tion qui fait explos­er les primes d’assurances des obstétriciens du privé et des sages-femmes libérales [ate­lier 2]. Il s’agit bien encore de dépense publique puisque la CNAM (autrement dit, les con­tribuables) pro­pose, depuis 2002, de pren­dre en charge les 2/3 des primes d’assurance des gyné­co­logues-obstétriciens concernés.

Le coût de la péri­na­tal­ité devrait donc englober tous les aspects préc­ités, sans oubli­er les fac­teurs non quan­tifi­ables ni ceux oblitérés par les pro­to­coles d’évaluation. Ain­si, pour la France qui utilise encore la clas­si­fi­ca­tion inter­na­tionale des mal­adies CIM‑9 de l’OMS pour définir la mor­tal­ité mater­nelle, la prin­ci­pale cause des décès compt­abil­isés pen­dant la grossesse ou 42 jours suiv­ant la nais­sance serait l’hémorragie post-par­tum. Par con­tre, au Roy­aume-Uni, selon la clas­si­fi­ca­tion CIM-10 qui pro­longe l’observation aux 12 mois suiv­ant la nais­sance, c’est le sui­cide mater­nel qui vient en tête. Mis en exer­gue par les médias, ces chiffres (qui restent très faibles, 9 à 13 pour 100 000 nais­sances vivantes) ori­en­tent sig­ni­fica­tive­ment les poli­tiques péri­na­tales. En octo­bre 2004, le Con­seil sci­en­tifique de l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en san­té) a réu­ni un groupe de tra­vail sur la préven­tion de l’hémorragie post-par­tum pour lequel le CNGOF (Col­lège nation­al des gyné­co­logues et obstétriciens français) avait émis une propo­si­tion de recom­man­da­tions de pra­tique clin­ique. Le représen­tant du CIANE a fait part des réserves des usagers sur l’utilisation abu­sive du terme « préven­tion », deman­dant que soient pris en compte tous les actes médi­caux réal­isés en amont : per­fu­sion d’ocytociques, immo­bil­i­sa­tion des par­turi­entes, déclenche­ment etc. Le Con­seil sci­en­tifique a accueil­li favor­able­ment cette objec­tion en deman­dant une étude com­plé­men­taire. Le CIANE est inter­venu auprès de la CNAMTS pour faire financer cette étude qui est en phase de lance­ment dans une unité de l’INSERM.

Démoc­ra­tie et co-responsabilité

La prise de posi­tion du CIANE au sujet de la préven­tion de l’hémorragie post-par­tum est un exem­ple du rôle de con­tre-exper­tise que peu­vent être amenés à jouer les représen­tants d’usagers dans les instances de déci­sion. Il s’agit en fait d’accueillir toute exper­tise avec un regard cri­tique qui est aus­si bien celui des sci­en­tifiques que des citoyens en démocratie.

Sci­ence et démoc­ra­tie ne peu­vent exis­ter autrement que dans l’examen con­tra­dic­toire de faits théoriques et de propo­si­tions. Les deux vont de pair. C’est ce qui explique que les idéolo­gies démo­bil­isatri­ces (New Age, créa­tion­nisme, etc.) ten­tent de dis­qual­i­fi­er dans le même amal­game « sci­ence » et « poli­tique ». Dans ce culte de l’individualisme con­sumériste, ces objets « prêts à penser » que sont les croy­ances et les opin­ions per­me­t­tent de musel­er toute pen­sée cri­tique au béné­fice d’une tolérance pas­sive déguisée en lib­erté. Mais il ne faut pas per­dre de vue que la rai­son prin­ci­pale des dénon­ci­a­tions de con­spir­a­tion entre sci­ence et poli­tique est le mau­vais usage que ces dernières font des experts lorsqu’elles s’adressent au public.

Pour réha­biliter la sci­ence et la démoc­ra­tie au béné­fice des citoyens, il faudrait donc en finir avec les experts abu­sive­ment désignés comme « indépen­dants » qui en appel­lent à l’autorité de la preuve, avec pour cor­rélat l’incompétence des non-sci­en­tifiques. […] Appren­dre à oser pos­er la ques­tion « en quoi ce que vous pro­posez est-il per­ti­nent pour notre prob­lème ? » est une façon de démoralis­er le pou­voir. […] Si un
expert désigné oublie si facile­ment de deman­der où sont ses co-experts, si un sci­en­tifique sub­ven­tion­né parce que ses recherch­es sont recon­nues comme « intéres­santes » oublie si facile­ment la ques­tion très con­crète de savoir « qui » elles intéressent et où sont les autres recherch­es qui devraient pren­dre en compte ce que sa démarche lui impose d’ignorer, ce n’est pas en général parce qu’ils sont mal­hon­nêtes ou irre­spon­s­ables, c’est avant tout parce que, comme les citoyens eux-mêmes, ils ont appris à hon­or­er l’image d’une vérité qui tri­om­phe de l’opinion, l’image d’une sci­ence qui donne ses répons­es aux ques­tions des hommes
(Isabelle Stengers, Sci­ences et pou­voirs, la démoc­ra­tie face à la techno­science, La décou­verte, 2002, p. 87, 113–4).

Pos­er la ques­tion de la per­ti­nence des propo­si­tions des experts per­met d’éviter l’écueil d’une récupéra­tion dém­a­gogique de la parole des citoyens sous le cou­vert de démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive « descen­dante », où les « gens d’en bas » sont invités à répon­dre aux ques­tions posées par les « gens d’en haut ». Le sché­ma pro­posé ici est plutôt celui de l’approche coopéra­tive (active democ­ra­cy, voir B. Bel, Approche par­tic­i­pa­tive, approche coopéra­tive http://vcda.ws/docs/ParticipationCooperation.pdf)

Au-delà du risque médi­cal que les études épidémi­ologiques s’efforcent d’évaluer, il est impor­tant d’instaurer un débat entre pro­fes­sion­nels et par­ents-citoyens sur la médecine factuelle et le risque juridique [ate­lier 17]. Il est fréquem­ment reproché aux gyné­co­logues-obstétriciens de déploy­er le « para­pluie du médi­co-légal » pour refuser la prise en charge moins médi­cal­isée d’un accouche­ment dans un sit­u­a­tion dite « à risques » : antécé­dent de césari­enne, présen­ta­tion par le siège, etc. [ate­lier 12]. Or, la jurispru­dence mon­tre que min­imiser le risque juridique implique une coopéra­tion effec­tive entre l’équipe soignante et l’usager. Toute déci­sion devrait être prise par un patient pleine­ment infor­mé des risques et béné­fices de l’intervention médi­cale, et la preuve de cette recherche du con­sen­te­ment devrait être con­signée par écrit. (cf. Bernard Séguy, Prévenir le risque juridique en obstétrique, Mas­son 2006.)

Envis­ager le risque juridique sous cet angle revient à respon­s­abilis­er les par­ents dans leur pro­jet de nais­sance, autrement dit à […] sub­stituer à l’accompagnement péd­a­gogique la co-respon­s­abil­ité con­struc­tive. La co-respon­s­abil­ité a une grande part pour que la grossesse et l’accouchement soient une excuse pour appren­dre à vivre (Corinne Marie, Compte-ren­du inté­gral des Ren­con­tres de Per­pig­nan, 2–5 mai 1991, Mieux naître, 1–2, ADER, 1991, p. 49 http://www.ciane.net/archive/egn2006/content/view/129/).

Une infor­ma­tion tron­quée ou inex­acte peut avoir des con­séquences dra­ma­tiques sur la prise de déci­sion des femmes enceintes, comme on le ver­ra au sujet du dépistage des tri­somies [ate­lier 9]. La pré­pa­ra­tion à l’accouchement (réduite à peau de cha­grin au motif de restric­tions budgé­taires) ne devrait pas se lim­iter à un con­di­tion­nement (sou­vent perçu comme infan­til­isant) des femmes enceintes, délivré unique­ment par le corps médi­cal. Les asso­ci­a­tions ont encore ici un rôle à jouer, comme dans d’autres secteurs de la vie famil­iale et de la péri­na­tal­ité : con­tra­cep­tion [ate­lier 8], allaite­ment mater­nel [ate­lier 16], « devenir par­ent » [ate­lier 14]…

Sages-femmes, accom­pa­g­nantes, lieux de naissance

Selon le mod­èle irlandais des années 1970, le tra­vail était dirigé par une sage-femme présente auprès de chaque par­turi­ente pen­dant toute la durée de l’accouchement. Mais cette dis­po­si­tion a été aban­don­née lorsque le pro­to­cole a été adap­té au mod­èle nord-améri­cain pour être ensuite réim­porté en Europe. La place de la sage-femme auprès de la femme enceinte a été con­sid­érable­ment réduite et les effec­tifs de ces professionnel(le)s de san­té ont décru au béné­fice d’une sur­veil­lance pure­ment tech­nologique. Ce rôle d’accompagnatrice est aujourd’hui réaf­fir­mé et revendiqué, en France, face au numerus clausus et con­séc­u­tive­ment à l’annonce de l’arrivée sur le « marché » de doulas ou accom­pa­g­nantes à la nais­sance [ate­lier 3].

En 1992, l’avis du comité d’ex­perts Chang­ing Child­birth devant la com­mis­sion per­ma­nente de péri­na­tal­ité au par­lement du Roy­aume-Uni sug­gérait de priv­ilégi­er l’accompagnement glob­al (con­ti­nu­ity of care) en rap­pelant que c’est le rôle essen­tiel de la sage-femme. Il sug­gérait aus­si, études à l’appui, d’abandonner la poli­tique de fer­me­ture des petites mater­nités pour motif pré­sumé de sécu­rité. Aujourd’hui, pour une pop­u­la­tion équiv­a­lente à celle de la France, le nom­bre de sages-femmes est presque trois fois plus élevé au Roy­aume-Uni, et le min­istère de la san­té bri­tan­nique a récem­ment déclaré qu’il faudrait for­mer env­i­ron 10 000 sages-femmes de plus pour sub­venir aux besoins des usagers (voir http://www.ciane.info/article-2872974.html).

Ces besoins inclu­ent l’accouchement à domi­cile (AAD), objet de l’attention favor­able des pou­voirs publics depuis que le même rap­port a con­clu qu’on ne peut pas inciter toutes les femmes à accouch­er à l’hôpi­tal pour des raisons de sécu­rité. Le taux d’AAD a dépassé 2% au Roy­aume-Uni, et il ne cesse d’augmenter, ayant atteint 20% dans des villes comme Tor­bay. Au Pays de Galles, plusieurs villes en sont à 20% et la pro­por­tion de 10% a été prise comme objec­tif sur l’ensemble du ter­ri­toire (Key prin­ci­ple 1.3, Bri
efing Paper 4, Deliv­er­ing the Future in Wales: A Frame­work for Real­iz­ing the Poten­tial of Mid­wives in Wales, Welsh Assem­bly Gov­ern­ment, juin 2002). Ces taux se rap­prochent de ceux des Pays-Bas où l’AAD con­naît un regain (33%) après une péri­ode de préférence pour des étab­lisse­ments appar­en­tés à des maisons de naissance.

En France, la ques­tion de l’accouchement à domi­cile a été évo­quée (en 2004) par un cadre de la CNAMTS, à l’occasion de réu­nions informelles avec des représen­tants du CIANE. Une étude com­par­a­tive avec les pays lim­itro­phes serait d’une grande util­ité, sachant que cette pra­tique con­tribue à la réduc­tion des coûts pour une plus grande sat­is­fac­tion des usagers.

Des alter­na­tives ?

Impuis­sants à enray­er la machine obstétri­cale, les par­ents rejet­tent (par­fois rad­i­cale­ment) toute idée de médi­cal­i­sa­tion. Une pro­por­tion crois­sante se tour­nent vers des pra­tiques de san­té « alter­na­tives » validées ou non par des méth­odes sci­en­tifiques : natur­opathie, ostéopathie, acupunc­ture etc. Débat­tre sur leur légitim­ité reviendait à n’envisager ce phénomène de société que sous l’angle du pou­voir médi­cal et de la régu­la­tion pro­fes­sion­nelle, sous le cou­vert de « pro­tec­tion du pub­lic ». Il sera par con­tre intéres­sant d’engager une dis­cuss­sion à pro­pos des sys­tèmes de croy­ances et de la notion d’autonomie du « patient-citoyen » dans ses rap­ports avec tous les pro­fes­sion­nels de san­té [ate­lier 20].

L’avenir

Le CIANE tient à réaf­firmer que les change­ments atten­dus dans le domaine de la péri­na­tal­ité ne ver­ront le jour qu’avec une prise de con­science des prob­lèmes à plus grande échelle. Un chemin con­sid­érable a déjà été par­cou­ru, depuis la tenue des EGN en 2003, dans le sens d’une plus grande trans­parence démoc­ra­tique, par­fois au prix de rap­ports de force inhérents à tout débat poli­tique. Il est temps de dress­er un bilan des actions entre­pris­es pour repar­tir sur de nou­velles bases.

Un des fac­teurs de change­ment est la for­ma­tion des pro­fes­sion­nels. Il est de bon augure pour la qual­ité des travaux que la majorité des inscrits aux États généraux de la nais­sance soient des sages-femmes ou étudiant(e)s sages-femmes. (Plusieurs enseignantes d’écoles de sages-femmes ont aus­si annon­cé leur par­tic­i­pa­tion.) Un appel a été lancé pour val­oris­er les travaux des jeunes diplômé(e)s. Six mémoires de fin d’études, dont les prob­lé­ma­tiques sont proches de celles des par­ents, ont été mis à dis­po­si­tion du pub­lic en texte inté­gral (voir site web) et fer­ont l’objet d’un échange con­struc­tif [ate­lier 19].

Ouver­ture

Le Comité d’organisation des États généraux de la nais­sance ne saurait se sub­stituer à l’ensemble des par­tic­i­pants (plus de 350 atten­dus à ce jour) pour définir les prob­lé­ma­tiques de cette ren­con­tre. Les 20 ate­liers thé­ma­tiques pro­gram­més sont le fruit de plusieurs mois de tra­vail de défrichage et de cen­taines de mes­sages échangés avec des usagers, respon­s­ables asso­ci­at­ifs, prati­ciens de san­té et sci­en­tifiques. Néan­moins, des thèmes impor­tants (on pour­rait citer la mater­nité des femmes séropos­i­tives) n’ont pas été pré­parés, faute de propo­si­tions. C’est pourquoi un espace de forum ouvert (Open Space) a été prévu pour faciliter l’émergence de ques­tions nou­velles et la for­mu­la­tion de propo­si­tions qui fer­ont l’objet d’une con­ver­gence avec celles des ate­liers thématiques.

 

Bernard Bel
Comité d’organisation
États Généraux de la Naissance
Château­roux, 22–24 sep­tem­bre 2006
http://www.ciane.net/archive/egn2006/