Yves Ville
Le but du dépistage n’est pas, comme le suggère implicitement le Dr Daffos dans un article récent (en page 9 du Monde du mardi 27 décembre 2005), l’éradication ni même la diminution des naissances d’enfants trisomiques. Le but du dépistage prénatal est d’informer chaque femme enceinte, loyalement et selon les données acquises de la science, sur le risque individuel qu’elle a d’avoir un enfant trisomique et de lui laisser le choix de bénéficier, sans le subir, d’un test de diagnostic.
Qu’ est-ce qu’un dépistage prénatal de la trisomie fœtale?
La définition du dépistage prénatal est le calcul d’un risque statistique pour le foetus de présenter une anomalie. Elle diffère de celle attribuée par l’organisation mondiale de la santé à toute autre forme de dépistage en médecine, qui est un diagnostic précoce de l’anomalie elle-même. Une autre différence fondamentale avec les autres formes de dépistage est que le test diagnostique, qui est un prélèvement ovulaire par biopsie de trophoblaste ou par amniocentèse, présente un risque de faire perdre la grossesse même si elle est normale.
Historiquement, un risque « élevé » avait été défini comme celui d’une femme de 38 ans d’accoucher d’un enfant trisomique qui représentaient les 5% de femmes enceintes les plus à risques. L’âge maternel n’est plus le seul facteur de risque connu, la majorité des enfants trisomiques naissent de femmes de moins de 38 ans. La combinaison de l’âge maternel, de l’échographie du premier trimestre et de l’analyse du sang maternel permet une évaluation précise du risque individuel de trisomie foetale pour toute femme enceinte. Ce calcul peut être entièrement fait au premier trimestre dans tout autre pays que la France dont les contraintes légiférant le dépistage prénatal ne permettent cette évaluation globale qu’au deuxième trimestre de la grossesse. Dans tous les cas la performance attendue du test de dépistage optimale est d’environ 80% au prix de 5% d’amniocentèses réalisées. Augmenter le taux d’amniocentèses ne permet pas avec les tests existant d’augmenter significativement le taux de dépistage.
Pourquoi ne pas proposer une amniocentèse à toutes les femmes ni même à 30% ou 11% d’entre elles ?
D’abord et avant tout parce que le calcul scientifiquement validé de leur risque ne conduiront que 1% à 5% des femmes à demander ce test diagnostique, et seule une information médicale ou médiatique irresponsables peuvent conduire à des taux plus importants d’amniocentèses. Ensuite parce que la fréquence de la trisomie 21 à la naissance en France est de 1/700 et que le risque principal de l’amniocentèse est la fausse couche qui la complique dans environ 1% des cas. Le taux de 2/1000 cité par le Dr Daffos n’est rapporté dans aucune étude sérieuse. De plus, une morbidité cachée et probablement au moins aussi importante de l’amniocentèse est l’accouchement prématuré à la suite de la rupture prématurée de la poche des eaux, qui n’est pas comptabilisée dans les fausses couches mais dont la morbidité périnatale est importante. On ne peut enfin continuer à taire les exceptionnelles complications maternelles pouvant aller jusqu’au décès, qui ne sont exceptionnelles que tant que les taux d’amniocentèses restent raisonnables. Sans rentrer dans un débat d’expert, il est cependant trivial de rappeler que quel que soit le taux de complications, le nombre en sera 6 fois plus important si l’on fait 30% de gestes au lieu de 5%.
Enfin, « rassurer » les femmes qui ne sont pas inquiètes, au moins jusqu’à ce qu’elles rencontrent un médecin qui n’a pas compris le calcul de risque, ne peut pas se réduire à leur proposer une amniocentèse.
Des publications nordiques souvent intitulées « ce que veulent vraiment les femmes » montrent bien que les femmes ont des craintes qui sont en relation avec leur histoire : certaines redoutent effectivement la naissance d’un enfant handicapé, mais d’autres redoutent la perte d’un enfant sain ou pas dans un accident médical.
Le Collectif Inter-Associatif autour de la Naissance (CIANE) qui regroupe 88 associations d’usagers français et européens, est inquiet de l’inflation d’amniocentèses en France et a co-signé avec le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) une demande de recommandations pour la pratique clinique (RPC) en 2004 auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS).
Seule une vaste enquête, qui n’a pas été réalisée à ce jour, permettrait de comparer les politiques des pays voisins. Le dernier à prendre en exemple cependant semble être l’Italie, où le désordre le plus complet règne également dans ce domaine, et aucune statistique nationale n’est disponible. Au Royaume-Uni, au Danemark, et en Suède, les taux d’amniocentèses avoisinaient respectivement 3,5%, 7% et 3,5% en 2002.
Respecter le libre arbitre des femmes enceintes
Toutes les études européennes réalisées en population générale montrent que les femmes, quand on leur en laisse le vrai choix du mode de dépistage, préfèrent connaître leur risque en début de grossesse. Le dépistage au premier trimestre a scientifiquement et sociologiquement fait la preuve d’une efficacité et d’une acceptabilité supérieures à toute autre forme de dépistage. Cette différence est significative dans la précocité du dépistage, et par conséquent du diagnostic, et quand cela est le cas de l’interruption médicale de grossesse. Elle est aussi significative, dans les pays comme la France qui offrent l’échographie du premier trimestre à toutes les femmes, et non pas à la moitié d’entre elles comme semble le croire le Dr Daffos, car elle s’accompagne d’un taux d’amniocentèses et d’un coût pour la société qui est moindre en termes de pertes de grossesses et de coût financier pour une performance égale ou supérieure.
Les performances du « tout premier trimestre » en matière de dépistage et de diagnostic ont pu être démontrées (avec une efficacité de 90% de diagnostic pour 5% de caryotypes) dans les Yvelines pendant deux ans dans le cadre d’une étude en population générale. Ce dépistage peut être réalisé en suivant un contrôle de qualité rigoureux de l’échographie qui peut dès maintenant être généralisé à la plupart des régions Françaises. Les taux d’amniocentèses réalisés avant le début et après la fin de cette étude étaient et sont malheureusement redevenus d’environ 14% pour 80% de dépistage. La loi sur le dépistage prénatal interdit la généralisation de cette forme de dépistage, et cet aspect devrait être ré-examiné en priorité.
L’argument de la perte spontanée de grossesses trisomiques au premier trimestre de la grossesse n’est valable que si le point de comparaison est la naissance, en effet le taux de pertes de ces grossesses entre 12 semaines, date du dépistage au premier trimestre, et 18–20 semaines, dates du dépistage du 2e trimestre, n’est au plus que de 10%.
La compréhension du dépistage par les femmes enceintes dépasse parfois celle qu’en ont leur médecin.
Ce ne sont pas les femmes enceintes qui ne comprennent pas le principe du dépistage et ses conséquences, comme le suggère le Dr Daffos, mais trop souvent certains médecins, comme il le démontre par l’irresponsabilité de ses conclusions. Le temps ou les médecins se sentaient protégés de leur incompréhension du dépistage et du risque médico-légal doit être révolu ; le paternalisme médical excluant l’information loyale sur le dépistage et ses conséquences également.
Un amalgame dangereux
Il est dangereux, et tout aussi irresponsable, de prétendre qu’une approche raisonnée du dépistage est une manoeuvre des lobbies anti-avortement. Cet amalgame ne sert pas la cause des femmes ni celle de la médecine foetale. Il est du devoir des médecins du foetus de promouvoir une approche cohérente du dépistage et du diagnostic prénatal afin que la société continue de leur faire confiance également dans la lourde charge qui leur incombe d’accepter les demandes de parents en souffrance pour interrompre 6 grossesses sur 1000 pour anomalie foetale grave chaque année en France.