Fac­sim­ilé de la let­tre (for­mat PDF)

A l’at­ten­tion de Mr Xavier BERTRAND – Min­istre de la Santé

Mon­sieur le Ministre, 

A l’heure où les étudiant(e)s sages-femmes défi­lent dans les rues de Paris, en tant que porte-paroles du CIANE, nous nous per­me­t­tons de vous écrire afin de vous faire part d’un malaise partagé avec cer­tains pro­fes­sion­nels de santé.

Le CIANE (Col­lec­tif Interas­so­ci­atif Autour de la Nais­sancE) s’est créé en 2003 pour par­ticiper aux Etats Généraux de la Nais­sance en juin de cette année au Min­istère de la San­té et pour porter, à part égale avec les pro­fes­sion­nels, une parole struc­turée et col­lec­tive des femmes et des cou­ples souhai­tant une évo­lu­tion de la péri­na­tal­ité en France. Cette démarche citoyenne a séduit, puisque de 25 asso­ci­a­tions au départ, le col­lec­tif compte aujourd’hui 132 asso­ci­a­tions de patients, d’usagers et de citoyens. Nous avons con­tribué à la Mis­sion péri­na­tal­ité (Pr Gérard BREART) qui a abouti au Plan Péri­na­tal­ité que vous avez présen­té en novem­bre 2004. Nous souhaitons à cette occa­sion vous remerci­er d’avoir inté­gré à ce plan cer­taines de nos attentes et deman­des : plus d’humanité, de prox­im­ité et l’expérimentation des Maisons de Nais­sance — qui, expéri­men­ta­tion ou non, fonc­tion­nent fort bien chez la plu­part de nos voisins, à la plus grande sat­is­fac­tion des femmes et cou­ples qui choi­sis­sent cette option et à l’approbation des con­tribuables et coti­sants en rai­son du bon ratio sécurité/qualité/coût généré par ce système.

Le CIANE, en rela­tion avec les prin­ci­pales asso­ci­a­tions et syn­di­cats de sages-femmes, partage l’inquiétude de cette pro­fes­sion et sou­tient avec force le mou­ve­ment des étu­di­ants sages-femmes pour l’obtention d’un diplôme nationale de niveau « mas­ter » en 5 années d’études, pour l’intégration des struc­tures de for­ma­tion au sché­ma uni­ver­si­taire et l’harmonisation de leur for­ma­tion dans le sys­tème LMD pré­con­isé au niveau européen. A maintes repris­es nous sommes inter­venus auprès des ser­vices du Min­istère de la San­té (à la DGS le 31 août 2005, auprès du Cab­i­net en févri­er 2006) afin d’exprimer nos inquié­tudes et mais aus­si nos attentes :

- les con­traintes imposées à cette pro­fes­sion (numerus clausus main­tenu trop bas, perte de statut et d’autonomie dans l’exercice de leur méti­er, pres­sion de la pro­fes­sion dom­i­nante (les gyné­co-obstétriciens) ont con­duit au départ de 2 à 3000 sages-femmes en âge d’exercer dans les années 2000, lais­sant aujourd’hui cette pro­fes­sion sin­istrée,
- les 16 000 sages-femmes en exer­ci­ce (équiv­a­lent à 12 000 temps plein) sont notoire­ment en nom­bre insuff­isant pour assur­er un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité. L’Angleterre, pour une pop­u­la­tion équiv­a­lente à la France, compte 34 000 sages-femmes en exer­ci­ce (pour 2 200 gynéco–obstétriciens, alors que notre pays en compte 5 400). Ce déséquili­bre français entre SF et gyné­co-obstétriciens est une des raisons de la sur­médi­cal­i­sa­tion que nous dénonçons,
- la perte d’autonomie des femmes et des cou­ples, les dérives et sur­coûts appliqués par ces spé­cial­istes chirurgiens pathol­o­gistes (en dépasse­ments d’honoraires) à des sit­u­a­tions phys­i­ologiques qui relèvent dans la plu­part des autres pays européens de la com­pé­tence des sages-femmes,
- les ser­vices ren­dus par ces 16 000 sages-femmes en activ­ité, à la société civile, à savoir au 21 mil­lions de femmes en âge de pro­créer, au mil­lion de femmes qui débu­tent une grossesse et aux 760 000 nais­sances que les sages-femmes accom­pa­g­nent chaque année, sont une évi­dence que seuls cer­tains mem­bres des pou­voirs publics sem­blent vouloir ignor­er,
- les respon­s­ables de cer­tains ser­vices du min­istère de la San­té n’ont de cesse de con­sid­ér­er la pro­fes­sion de sage-femme comme une pro­fes­sion sous tutelle de celle des médecins (est-ce parce qu’ils sont eux-mêmes médecins ?), alors que c’est une pro­fes­sion médi­cale à part entière (et non une pro­fes­sion para-médi­cale),
- le Min­istère de l’Enseignement supérieur qui recon­naît la qual­ité péd­a­gogique des écoles de sages-femmes et des étu­di­ants issus de la PCEM1, n’intervient pas sur les enseigne­ments, ce qui est regret­table et source d’injustice,
- les ser­vices ren­dus par les sages-femmes et les évo­lu­tions atten­dus par les usagers dans le monde de la péri­na­tal­ité sont la démon­stra­tion de la néces­sité d’une com­pé­tence pro­fes­sion­nelle jus­ti­fi­ant une for­ma­tion uni­ver­si­taire de niveau mas­ter et rel­e­vant d’un pilotage interministériel,

Alors que :

- les indi­ca­teurs de la péri­na­tal­ité en France (mor­bi-mor­tal­ité mater­no-fœtale) ne sont pas bons dans le con­cert européen (cf. les 100 objec­tifs de SP),
- les actes invasifs, voir intrusifs explosent (+ de 20% de césari­ennes, 13 % d’extractions instru­men­tales, général­i­sa­tion de l’accouchement dirigé sous ocy­to­ciques, près de 50% d’épisiotomies (con­tre 6% en Suède par exem­ple), plus de 11% d’amniocentèses (avec sa pré­va­lence de 1% de fauss­es-couch­es),
- la mise en place de la T2A nous fait crain­dre une dérive sup­plé­men­taire et une infla­tion d’actes,

Nous pen­sons, comme le CISS — qui a soutenu votre réforme de l’Assurance Mal­adie — que la sage-femme doit devenir le piv­ot du sys­tème de suivi en péri­na­tal­ité (grossesse, nais­sance et post-par­tum) et ori­en­ter les femmes vers les spé­cial­istes en cas de prob­lèmes et/ou de patholo­gies, tout comme le médecin trai­tant — très majori­taire­ment un général­iste — l’est devenu. Ceci sup­pose donc un niveau de com­pé­tence suff­isant, affir­mant l’autonomie et les spé­ci­ficités (qui ne sont pas un sous-champ de la patholo­gie) de cette pro­fes­sion dans les domaines de la phys­i­olo­gie et de l’eutocie (80% des nais­sances) et per­me­t­tant enfin une recherche clin­ique de qual­ité dans ces domaines et des travaux en coopéra­tion au niveau européen. Le niveau « mas­ter » nous appa­raît donc indis­pens­able pour sat­is­faire à ces ambitions.

Nous savons que vous com­pren­drez ce lan­gage et vous remer­cions pour toute l’aide que vous nous apportez. Dans l’attente d’une man­i­fes­ta­tion de votre part,

Veuillez agréer, Mon­sieur le Min­istre, nos sen­ti­ments les plus cordiaux,

Chan­tal SCHOUWEY
Coor­di­na­trice du CIANE

Gilles GAEBEL
Délégué auprès des Institutions