En com­men­taire au texte de Madame KELLER :

Présen­tées très sou­vent comme l’alternative aux excès de la tech­ni­ci­sa­tion et de la médi­cal­i­sa­tion de la grossesse, les « doulas » seraient donc, selon vous, la réponse aux maux dont souf­fre notre société dans l’accompagnement des femmes enceintes.

Je ne pense pas que le besoin de l’ac­com­pa­g­ne­ment humain soit apparu du fait de la tech­ni­ci­sa­tion et médi­cal­i­sa­tion de la grossesse, mais bien l’in­verse : la néces­site de la médi­cal­i­sa­tion est apparue du fait de la dis­pari­tion d’un temps d’é­coute et d’ob­ser­va­tion suff­isant. La grille des pro­to­coles est donc instal­lée pour pal­li­er ce manque. Le nom­bre d’ex­a­m­ens qui inquiè­tent la femme sans aucune con­trepar­tie d’échange ver­bal induit de la patholo­gie, plus d’ex­a­m­ens et plus d’inquiétude.

Un exem­ple : Madame C. passe à sa con­sul­ta­tion après un tra­jet long et haras­sant. Sa ten­sion est à 15/8. Judi­cieuse­ment on la lui reprend. Cette ten­sion se sta­bilise. On lui prélève un bilan, fait un moni­to. Elle doit main­tenant revenir sous 4 jours pour prise de ten­sion et moni­to… Si nor­mal ? Pour­ra-t-on laiss­er cette dame vivre sa grossesse tran­quille ou va-t-elle entr­er dans le cer­cle des anx­iétés médi­cales, se fatiguer… On tombe donc dans la rou­tine des exa­m­ens « au cas où ». De fait, sa ten­sion reprise chez son phar­ma­cien est tout a fait nor­male… Mais… ?

En cours de tra­vail, on prend ten­sion et tem­péra­ture toutes les heures… alors que voir le com­porte­ment de la dame nous ren­seigne assez. Comme aus­si de pos­er une main à l’é­coute. Ce qui lui fait du bien au lieu de lui planter un ther­momètre en pleine con­trac­tion comme je l’ai vu faire !

Or, si la place et le rôle des « doulas » dans notre société doivent être dis­cutés, le Con­seil nation­al de l’Or­dre des sages-femmes souhaite rap­pel­er que la par­tu­ri­tion est avant tout un phénomène de trans­for­ma­tion phys­i­ologique et psy­chologique majeur qui ne doit pas être pris à la légère et qui peut, dans cer­tains cas, engen­dr­er des drames humains épou­vanta­bles, notam­ment si la femme enceinte ne fait l’objet d’aucun suivi médi­cal adapté.

C’est ici faire procès d’in­ten­tion : la doula ne se sub­sti­tu­ant pas au médi­cal, mais pal­liant ses man­ques et souhai­tant ancr­er la nais­sance dans un tra­jet humain.

C’est la rai­son pour laque­lle nous exi­geons des sages-femmes une com­pé­tence qui ne peut être dis­cutée car elles ont une oblig­a­tion de garantie des soins qu’elles don­nent aux patientes et aux nouveau-nés.

Certes, mais cela ne sig­ni­fie nulle­ment, à mon sens, que le vécu des femmes passe au deux­ième plan, bien au contraire !

Quelle était la for­mule déjà ? Un peu de sci­ence éloigne de Dieu, beau­coup y ramène. Je pense qu’on devrait dire cela aus­si de l’hu­main pour les sages-femmes : un peu de sci­ence éloigne de l’hu­main, beau­coup y ramène. Il me sem­ble en effet que la réflex­ion qui naît de l’ob­ser­va­tion des pra­tiques d’ac­com­pa­g­ne­ment glob­al (voir chiffres du mémoire de Mathilde Munier, mais aus­si toutes les recherch­es entre­pris­es sur l’ac­couche­ment à domi­cile dans de nom­breux pays, ou la poli­tique de san­té en Angleterre) mon­trent à l’év­i­dence que les femmes écoutées présen­tent un taux de patholo­gies net­te­ment moin­dre que la pop­u­la­tion globale.

L’art de la sage femme ne con­siste-t-il pas alors à utilis­er la sci­ence et la tech­nique à bon escient ? Sachant qu’une femme écoutée va par­ler, indi­quer d’elle-même que quelque chose l’in­quiète. Est-ce pathologique ? À nous alors, de met­tre toutes nos capac­ités en éveil : humaine, et tech­niques si besoin.

Je pense donc que les pro­to­coles se sont mis en place du fait de la patique en groupe : une femme est vue par plusieurs per­son­nes. Quel relais a‑t-on alors qui soit fiable ? Les chiffres !

Et si nos col­lègues sages-femmes ont ain­si bas­culé vers la tech­nique, je ne suis pas sure que ce soit un libre choix : c’est ce qui se voit, s’écrit, reste… Et donc ce pourquoi on a le temps, cer­taine­ment. Peut-on écrire dans un dossier : je me suis arrêtée aupres de Madame X pen­dant 60 min­utes pour par­ler avec elle des ques­tions qu’elle se pose ? Peut-on dans l’é­tat actuel des charges de tra­vail pren­dre ce temps ?

C’est bien le sens de la let­tre de Chris­tiane Jean­voine : la non prise en compte du temps : l’hu­main ça prend du temps, au con­traire du tech­nique, et même par­fois beau­coup de temps… Alors, l’ar­rivée des doulas qui déci­dent d’avoir ce temps à don­ner, sont bien l’indice que notre pro­fes­sion a per­du de vue toute l’é­ten­due de son art !

C’est une réflex­ion essen­tielle, le Con­seil de l’or­dre peut tout à fait s’y engager. Mais les sages-femmes veu­lent-elles rester et sages et femmes ? (ou sages et Hommes !)

Fran­coise Bardes