Nous avons lu dans Le Monde du 26 novembre, l’article de Sandrine Blanchard : « Les gynécologues-obstétriciens sont appelés à “repenser” leur pratique de l’épisiotomie ».
Les propos du Docteur François Goffinet nous paraissent refléter un changement significatif de point de vue des professionnels pour ce qui concerne l’épisiotomie. Cette évolution vers une pratique « sélective » est l’aboutissement des travaux d’un groupe de travail convoqué par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) en vue de la rédaction d’une nouvelle recommandation de pratique clinique (RPC) rendue publique le 30 novembre.
(Voir un rappel historique sur cette RPC.)
Malgré un optimisme relatif — la France, avec son taux moyen de 58% d’épisiotomies, accuse deux décennies de retard sur des pays comme le Royaume-Uni, qui en est à 13%, ou la Suède à moins de 6% — nous relevons dans cet article quelques euphémismes et un manque de cohérence qui laissent craindre une évolution très lente des pratiques et de la formation des praticiens.
Après avoir reconnu qu’aujourd’hui il ne « demeure […] aucune [des] indications [de l’épisiotomie] », le Dr. Goffinet propose de la réserver « aux cas où le périnée semble prêt à se rompre »… Aucun des 229 articles scientifiques (traitant de l’épisiotomie) dont les références sont en consultation libre sur notre base de données ne justifie ce rôle protecteur du périnée. Il est édifiant, à titre d’exemple, de comparer l’étude de Leeuw et collègues [1] à celle réalisée en Suède par Rockner & Fianu-Jonasson [2]. Avec 34% d’épisiotomies (parités confondues) aux Pays-Bas, les pourcentages de déchirures sévères étaient de 2,7% pour les primipares et 1,3% pour les multipares. En Suède, avec des taux d’épisiotomies de 6,6% pour les primipares et 1% pour les multipares, les taux de déchirures graves descendaient à 2,3% et 0,6% respectivement. Les chercheurs suédois ont par ailleurs confirmé, dans le cadre de cette étude à grande échelle, une corrélation significative entre l’épisiotomie et l’occurence de déchirures sévères.
Statistiquement, l’épisiotomie est associée à un taux plus important de déchirures périnéales. Il est donc inquiétant d’entendre un porte-parole du CNGOF annoncer qu’un taux « raisonnable » d’épisiotomies se situerait aux alentours de 30%. C’était en effet le taux affiché aux Pays-Bas en 1995, dont nous venons de souligner les conséquences iatrogènes en comparaison avec la Suède. C’est aussi le taux actuel aux Etats-Unis et au Canada, un taux dont Lede et collègues, dès 1996, ont démontré (parmi d’autres) l’absence totale de justification [3].
Il n’est pas inutile de rappeler que la pratique d’un geste chirurgical est soumise au consentement éclairé de la patiente après une information complète sur les bénéfices et les risques encourus. Si les bénéfices de l’épisiotomie prophylactique n’ont jamais été démontrés, les conséquences de ce geste mutilatoire peuvent être dramatiques sur le long terme. Nous invitons les lecteurs à consulter les nombreuses références scientifiques et les témoignages de femmes sur le site « Épisiotomie » où figure une réponse plus détaillée à cet article.
L’information donnée aux futures mères lors des séances de préparation à l’accouchement, pour ce qui concerne l’épisiotomie et la protection du périnée, est dans de nombreux cas contraire aux données probantes des études scientifiques. Quelles que soient les recommandations du CNGOF, il restera donc beaucoup de travail à faire en amont, au niveau de la formation des professionnels de la médecine. Le 6 septembre 2005, nous sommes intervenus à ce sujet auprès de M. Didier Houssin, à la Direction Générale de la Santé, pour demander l’abrogation d’un article de l’Arrêté du 21 décembre 2001 faisant obligation pour les élèves sages-femmes de pratiquer au minimum 30 épisiotomies pour un minimum de 80 accouchements (voir document).
Un des objectifs de l’obstétrique française, et dans une certaine mesure son honneur aussi, ne serait-il pas qu’un maximum de femmes sortent de nos maternités avec un périnée intact ?
Le Groupe de travail « Épisiotomie » du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) : Françoise Bardes, Bernard Bel, Paul Cesbron, Caroline Fel, Gilles Gaebel, Cécile Loup, Max Ploquin, Blandine Poitel, Chantal Schouwey, Patrick Stora.
[1] J.W. de Leeuw, P.C. Struijk, M.E. Vierhout, H.C.S. Wallenburg. Risk factors for third degree perineal ruptures during delivery. BJOG, 2001, 108, 4, p. 383. Étude sur 284 783 accouchements vaginaux.
[2] G. Rockner, A. Fianu-Jonasson. Changed pattern in the use of episiotomy in Sweden. BJOG, 1999, 106, 2, p. 95–101. Étude sur 10 661 accouchements vaginaux.
[3] Roberto L. Lede, Jose M. Belizan, Guillermo Carroli. Is routine use of episiotomy justified ? American Journal of Obstetrics and Gynecology, 1996, 174, 5, p. 1399–1402. http://www.gentlebirth.org/archives/episstdy.html
À noter que cette réponse, diffusée à plusieurs centaines de destinataires, n’a reçu aucun écho dans la presse, mis à part les Dossiers de l’Obstétrique, N°346, février 2006, p.35.
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