Date: Wed, 9 Nov 2005 21:53:32 +0100
To: frederique.teurnier@…
Subject: Re: Lettre officielle aux ministeres et CNN
Cc: …
Bonjour,
Il n’y a PAS de polémique autour de l’épisiotomie, nous sommes tous d’accord pour dire que cette pratique est nocive telle que pratiquée actuellement, qu’elle n’apporte aucun des bénéfices présumés et est lourde de risques pour la femme qui la subit. Si polémique il y a, c’est autour des moyens à mettre en oeuvre pour faire baisser son taux rapidement et de façon drastique.
Il est évident que les étudiantes doivent être formées. Il l’est beaucoup moins que des gestes mutilatoires soient pratiqués sur le corps des femmes en travail, surtout sans leur consentement. C’est ainsi qu’il convient d’interpréter notre intervention auprès de la DGS :
http://naissance.ws/CIANE/courrier/DGS060905.pdf
Les étudiantes sages-femmes devraient surtout être correctement formées à la physiologie de l’accouchement, à la psychologie et au respect de la loi et du code de déontologie. Nous avons des témoignages de femmes ayant subi la pratique de jeunes sages femmes toutes fraîches émoulues de l’école, qui étaient incapables d’accompagner une femme sans péridurale, incapables de suturer une épisiotomie autrement que sous péridurale — donc à vif sinon -, incapables de comprendre que “Non, je ne veux pas d’épisiotomie” n’appelle pas comme réponse “C’est moi qui décide” — et ce bien avant l’expulsion, donc hors toute urgence.
Une autre facette de la question apparaît, au vu des études collectées pour ces RPC : est-il indispensable que les sages-femmes apprennent à pratiquer des épisotomies si le taux “raisonnable” se situe à moins de 10% ? Dans cette fourchette statistique, les épisiotomies ne concerneraient que des situations pathologiques: extraction instrumentale “lourde”, bébé en détresse… Le fait que l’épisiotomie soit devenu un geste de sage-femme n’est-il pas la preuve qu’il a été imposé comme un geste routinier/systématique, à l’inverse de ce que prétendent les professionnels ?
Que les obstétriciens pratiquent des accouchements physiologiques, cela n’a aucun lieu d’être. Les obstétriciens ont une formation concernant la pathologie de l’accouchement, pas la physiologie… Pourquoi les gynécologues obstétriciens pratiquent-ils des accouchements physiologiques alors que les sages-femmes ne peuvent pratiquer des accouchements pathologiques ? Chacun son mandat, chacun à sa place. Celle des obstétriciens est la pathologie.
Oui l’épisiotomie est un geste grave, qui doit être fait à bon escient ; si ce n’est pas toujours le cas — et nous pouvons même aller plus loin en disant que ce n’est pas souvent le cas -, la faute en incombe déjà à l’enseignement donné sur ce geste, aux sages-femmes comme aux obstétriciens. Tant qu’elle sera enseignée comme préventive des déchirures graves ou indispensable dans certaines indications (forceps, occipito sacré…), l’épisiotomie ne sera pas faite à bon escient.
Tant qu’il sera affirmé, lors de l’enseignement, que l’épisiotomie est une “petite” incision sans conséquence, elle ne sera pas considérée comme grave.
Tant qu’il ne sera pas réellement pris en compte, lors de l’enseignement et de la pratique en hôpital, de la loi Kouchner sur le consentement indispensable à tout geste porté sur le corps de la personne, l’épisiotomie ne sera pas considérée comme grave ni faite à bon escient.
Tant que les femmes seront infantilisées lors des séances de préparation à l’accouchement, en leur répétant “de ne pas se faire du souci” ou “que c’est une petite incision sans incidence et non systématique” (même dans les services ou le taux est de l’ordre de 90% sur les primipares), puis que ces mêmes femmes seront classées “malades mentales” lorsqu’elles se plaignent encore de douleurs fortes des mois après, l’épisiotomie ne sera pas considérée comme grave.
Comment voulez vous apprendre une chose et ensuite pratiquer l’inverse ?
Dans la mesure où la formation des sages femmes _et_ la formation des obstétriciens — car leur enseignement à eux doit tout autant subir des modifications importantes — influe _directement_ sur la pratique, et que cette pratique, c’est _nous_ qui la subissons, nous estimons que la place et la mission du CIANE et des usagers est _aussi_ d’intervenir sur la formation, quand celle-ci induit des pratiques iatrogènes qui ont été dénoncées comme nocives depuis plus de 20 ans par l’evidence-based medicine et les recommandations pratiques de l’OMS.
Le CIANE souhaite tout autant que vous l’ouverture d’un débat concernant ces pratiques, et espère que ce débat sera démocratique et visible par tous. Si ce débat part sur des a priori tels que “les usagers et le CIANE n’ont pas à intervenir sur l’enseignement”, par exemple, le doute s’installe sur le fait qu’il soit véritable, ouvert, tolérant et surtout qu’il ait les retombées espérées sur les pratiques autour de l’accouchement. Au détriment des mères, des pères et des bébés.
Françoise BARDES
Bernard BEL
Gilles GAEBEL
Cécile LOUP
Max PLOQUIN
Blandine POITEL
Chantal SCHOUWEY
Patrick STORAMembres du groupe de travail “Episiotomie” au CIANE