Résumé (français)
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| Il peut paraître surprenant de rédiger une recommandation pour la pratique clinique pour un geste aussi simple et aussi courant que l’épisiotomie, le plus fréquemment réalisé en salle d’accouchement en dehors de la section du cordon ombilical !
En fait, depuis la première incision chirurgicale du périnée d’une parturiente réalisée en 1742 par Felding Ould, l’épisiotomie a connu des fortunes diverses. Sans en refaire l’historique, ce n’est que très progressivement qu’elle a connu un engouement tel que certains n’hésitaient pas à la pratiquer de façon systématique pour l’accouchement de la primipare. La sonnette d’alarme a été tirée par une première revue de la littérature, de 1860 à 1980, publiée en 1983 par Thacker et Banta [1] : aucune étude véritablement rigoureuse comparant risques et bénéfices de l’épisiotomie prophylactique n’avait jamais été réalisée. Mais le premier réquisitoire vraiment structuré contre l’utilisation large de l’épisiotomie a été développé dans une revue très complète de Robert Woolley en 1995 [2].
Probablement parce que j’avais fustigé cette pratique intensive, convaincu par la lecture de ces revues, lors d’un débat de la Société Française de Médecine Périnatale en 1997, mes collègues m’ont demandé d’assumer la présidence de cette RPC. Dans un texte intitulé « Épisiotomie : contre une utilisation de routine », nous avions écrit que « nos pratiques les plus empiriques ont souvent la vie dure, professées avec d’autant plus de conviction, voire de « terrorisme » qu’elles n’ont pas de fondement scientifique » [3]. A posteriori, cette sentence me paraît un peu sévère : l’empirisme de nos anciens n’était jamais dénué de bon sens… On pourra bien sûr objecter que depuis j’ai rejoint le clan des « anciens », je préférerais qu’on y voie une analyse plus pondérée d’un praticien qui, après s’être beaucoup consacré à l’obstétrique, s’emploie maintenant à temps plein à la réparation des séquelles traumatiques de l’accouchement : douleurs, incontinence urinaire et anale, et prolapsus. Ce praticien aimerait vous convaincre de la grande difficulté à analyser l’impact de l’épisiotomie sur ses conséquences souvent lointaines, et par voie de conséquence, de l’erreur qu’aurait commise notre groupe de travail à vouloir « éradiquer l’épisiotomie » ; ce n’est pas une maladie honteuse !
La question pourrait être posée différemment : comment faire pour que le périnée des accouchées soit le plus souvent intact ?
Hélas, nous savions déjà que la résistance tissulaire diminuait de la superficie vers la profondeur : la peau est plus résistante que le muscle qui l’est plus que la muqueuse… Les moyens modernes d’imagerie, en particulier l’échographie, ont confirmé que sous une peau périnéale « intacte » pouvaient se cacher des lésions des muscles élévateurs de l’anus et du sphincter anal. Comment alors ne pas poser cette question provocatrice : une épisiotomie n’aurait sans doute pas permis de prévenir ces lésions, mais peut-être aurait-elle permis de les voir ?
Si nous mettons ce paradoxe en exergue, c’est pour insister d’emblée sur la complexité du problème.
Sans déflorer l’analyse scientifique rigoureuse réalisée par le groupe de travail, dont je voudrais saluer ici la compétence et l’efficacité sous la férule de Michel Dreyfus, coordonateur consciencieux, et les conseils éclairés de François Goffinet, virtuose du niveau de preuves, nous limiterons notre rôle introductif à en donner les définitions, les limites, les biais, et les pièges.
Tout d’abord, il y a épisiotomie et… épisiotomie : si, en France, elle est très couramment médio-latérale, sachez qu’elle a été pratiquée carrément transversale (ce qui n’a plus cours) et qu’elle est très prisée sous sa forme médiane dans certains pays anglo-saxons ; c’est sans doute cette pratique qui a mis le doute sur le rôle préventif de l’épisiotomie. Nos collègues étaient en effet convaincus que cette section franche, atteignant volontiers le sphincter anal, réparée aisément, éviterait la redoutable incontinence fécale ; malheureusement, le travail initiateur publié par Hordnes et Bergsjo en 1993 [4], puis quelques autres études sur le long cours, ont démontré des taux d’incontinence anale inacceptables.
Mais si nous revenons à l’épisiotomie médio-latérale, chacun sait qu’elle est très « opérateur dépendante ». On imagine volontiers une sage-femme réaliser une section plus courte et plus médiane qu’un obstétricien convaincu de la nécessité de sectionner le solide faisceau puborectal des muscles élévateurs de l’anus.
Une épisiotomie peut donc varier dans son orientation, dans sa longueur cutanée, dans sa profondeur (qui ne dépend pas seulement de la conviction de l’opérateur mais aussi du choix du moment de sa réalisation), et plus encore dans la qualité de sa réparation. Aucune étude, même parmi celles randomisées avec rigueur, ne prend en compte tous ces critères. C’est un biais majeur et constant.
Toutes ces études randomisées sont aussi parasitées par l’impossibilité de faire un bras avec, c’est-à-dire une épisiotomie systématique et un bras sans, c’est-à-dire jamais d’épisiotomie. Il a donc fallu définir une population où l’épisiotomie était largement utilisée (nous avons retenu le terme usage libéral) et une population où l’épisiotomie était réduite à une utilisation minimale (nous avons retenu le terme usage restrictif). Les lecteurs pourront se rendre compte que selon les études, ces taux varient du simple au double, ce qui rend leur comparaison bien délicate. Pour prendre un exemple chiffré, la seule étude qui a tenté d’évaluer l’intérêt de l’épisiotomie dans la situation bien connue qu’est le périnée « prêt à se rompre » a montré un taux de 41 % d’épisiotomies dans le bras restrictif et de 77 % dans le bras libéral [5]. Nous sommes bien loin des conditions idéales d’une randomisation !
À propos de taux brut ou global, ne tombons pas dans un biais grossier qui ferait que, selon le côté où l’on veut faire pencher la balance, on chiffrerait le nombre d’épisiotomies en le rapportant au nombre de naissances ou à celui des accouchements par voie basse. Un calcul simple permet de comprendre qu’un taux de 30 % d’épisiotomies rapporté aux naissances par voie vaginale se réduira, s’il est exprimé par rapport aux naissances totales, à 24 % si le taux de césariennes est de 20 % et à 15 % si ce taux est de 50 %.
La grande majorité des études que nous allons rapporter ont été réalisées dans des pays anglo-saxons. La culture de l’evidence based medecine y est plus développée que sous nos climats ; on pourrait en discuter les avantages et les inconvénients…, mais force est de constater que cela nous oblige à connaître la nomenclature anglophone. Les stades de l’accouchement sont différents des nôtres : le deuxième stade (second stage) commence à dilatation complète et finit à la naissance ; la phase d’expulsion à proprement parler n’est pratiquement jamais individualisée.
Plus lourde de conséquences est la description différente des lésions périnéales. Nous avons regroupé dans le tableau I une comparaison de la classification francophone en trois stades et de la classification anglophone en quatre stades. Les anglophones distinguent les lésions superficielles du périnée de celles des tissus musculaires et du centre tendineux ; cela porte peu à conséquences car il s’agit de lésions bénignes. En revanche, dès qu’il existe une atteinte du sphincter anal externe (strié), il s’agit d’un stade III pour les anglophones. La célèbre école londonienne du St Marks Hospital propose sous la plume de Sultan [6] une analyse plus fine de l’atteinte des sphincters anaux externe et interne en individualisant trois sous-groupes au stade III. Quand il s’agit d’évaluer les conséquences de la pratique de l’épisiotomie sur le taux des déchirures périnéales sévères, il est capital que soit réalisé un examen très rigoureux, bien loin d’être facile, pour inclure la patiente dans le stade adéquat. C’est la raison pour laquelle nos collègues anglais ne se contentent pas de détailler leur classification ; ils organisent des formations théoriques et pratiques (vidéos, mannequins anatomiques, sutures sur tissus animaux) à l’intention des sages-femmes et des obstétriciens, non seulement pour affiner leur diagnostic lésionnel mais aussi pour leur apprendre à réparer correctement une épisiotomie ou une déchirure périnéale du troisième ou quatrième degré. Allez consulter le site Internet /www.perineum.netum.net pour vous en convaincre !
L’on sait par ailleurs que toutes les femmes ne sont pas égales devant le risque de déchirure périnéale : âge, origine ethnique, qualité tissulaire et en particulier typologie du collagène vont influencer l’élasticité périnéale et la récupération secondaire du traumatisme obstétrical. Mais il n’existe pas de moyen simple de juger cette fragilité périnéale potentielle.
De plus, bien d’autres facteurs confondants vont intervenir ; la situation la plus typique est sans doute l’extraction instrumentale. Un forceps n’est jamais fait par hasard : travail long, anomalies du rythme cardiaque fœtal, macrosomie, dystocie, anesthésie locorégionale, voire générale, vont additionner leurs effets délétères ; comment évaluer avec objectivité le rôle de l’épisiotomie, si souvent réalisée dans ces circonstances ?
Nous espérons avoir convaincu par ces quelques commentaires nos lecteurs qu’il serait déraisonnable de définir le seuil idéal du taux global d’épisiotomies. N’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps, les établissements libéraux qui réalisaient plus de 18 % de césariennes étaient mis à l’index ; bientôt, ceux qui en feront moins de 20 % seront suspectés de faire bien peu de cas de la souffrance fœtale !
Notre but, plus modeste et sans doute plus réaliste, est de faire baisser progressivement le taux global moyen d’épisiotomies pour qu’il devienne inférieur à 30 %, sachant qu’il persistera toujours des variations selon les différents modes d’exercice de la profession. Le soutien continu de la gestante puis de la parturiente par un praticien attentif, ainsi qu’une organisation moins directive de l’accouchement et de ses postures pourraient y contribuer. Enfin, une politique incitative bien conduite devrait porter ses fruits, et probablement amener ce taux à diminuer encore, comme cela a pu être constaté dans d’autres pays où cette stratégie a été appliquée. Mais à quand une large étude multicentrique française pour forger véritablement notre opinion ?
La pratique de l’épisiotomie restera certainement un acte individuel, réalisé en accord avec la patiente qui aura reçu au préalable toutes les informations nécessaires à cette prise de décision, conformément aux recommandations de l’HAS de 2005 (« Comment mieux informer les femmes enceintes ? ») [7].
La dimension psychologique devra être prise en considération. Elle a pris, comme souvent aux États-Unis, sous la pression d’associations d’usagers et d’avocats hyperactifs, des proportions excessives : des accoucheurs ont été accusés de mutilations volontaires ! Il n’en reste pas moins vrai qu’une incision des voies génitales n’est pas une banale incision chirurgicale. L’épisiotomie ne peut plus être un geste systématique de l’accouchement normal de la primipare. Elle doit être la décision réfléchie et acceptée par la parturiente d’un praticien conscient qu’elle ne peut être réalisée que de façon élective.
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RÉFÉRENCES
[1] Thacker SB, Banta HD. Benefits and risks of episiotomy: an interpretative review of the English language litterature,1860-1980. Obstet Gynecol Survey 1983; 38 : 322-38. [2] Woolley RJ. Benefits and risks of episiotomy:a review of the English-language literature since 1980. Part 1&2. Obstet Gynecol Survey 1995; 50 : 806-35. [3] Jacquetin B. Episiotomie : contre une utilisation de routine. In : Collet M, Treisser A, editors. Société Française de Medecine Périnatale. Paris: Arnette, 1997, p. 215-31. [4] Hordnes K, Bergsjo P. Severe lacerations after childbirth. Acta Obstet Gynecol Scand 1993; 72 : 413-22. [5] Dannecker C, Hillemanns P, Strauss A, Hasbargen U, Hepp H, Anthuber C. Episiotomy and perineal tears presumed to be imminent: randomized controlled trial. Acta Obstet Gynecol Scand 2004; 83 : 364-8. [6] Sultan AH, Stanton SL. Occult obstetric trauma and anal incontinence: pathophysiology and treatment of faecal incontinence. Eur J Gastroenterol Hepatol 1997; 9 : 423-7. [7] Comment mieux informer les femmes enceintes ? Recommandations pour les professionnels de santé. HAS / service des recommandations professionnelles, 2005, p. 1-135.
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