Résumé (français)
:
| Article commenté par Georges Boog (CHU de Nantes) :
Le rôle de la corticothérapie anténatale sur la synthèse du surfactant a été découvert de manière fortuite en expérimentation animale par Liggins en Nouvelle-Zélande à l’occasion de travaux chez la brebis destinés à montrer le rôle des corticoïdes dans le déclenchement du travail [1].
C’est donc tout naturellement à Auckland qu’a été entrepris un travail prospectif sur les sujets exposés au corticoïdes entre décembre 1969 et février 1974 lorsqu’ils ont atteint l’âge de 30 ans. Il s’agissait au départ d’une étude randomisée portant sur un groupe de femmes traitées, entre 24 et 36 semaines d’aménorrhée (SA)), par la bétaméthasone 12 mg (6 mg de phosphate à longue durée d’action et 6 mg d’acétate à courte durée d’ action), renouvelée 24 heures plus tard et associée à une tocolyse pendant 48 heures. Le groupe contrôle avait reçu un autre corticoïde, en l’occurrence l’acétate de Cortisone, 70 fois moins actif. Après une première analyse des 717 premières gestantes traitées, les doses de bétaméthasone avaient été doublées.
988 survivants, anciens prématurés et à présent âgés de 30 ans, ont donc fait l’objet de l’étude menée entre le 1er février 2002 et le 31 décembre 2003 [2]. En plus des antécédents personnels et familiaux, le questionnaire soumis comportait des données sur la profession, le statut social, les addictions éventuelles (tabac et alcool). Les paramètres relévés dans les dossiers étaient le poids, la taille, les circonférences céphalique, abdominale et iliaque, l’estimation du tissu adipeux au niveau du bras, et des régions sous-scapulaire et supra-iliaque et la tension artérielle mesurée de façon automatique après 5 minutes de repos. Après une nuit de jeûne, les sujets subissaient une prise de sang pour les mesures de glycémie, cortisol et lipides (en première partie de cycle pour les femmes), suivie d’une épreuve de charge en glucose avec estimation des glycémies et de l’insulinémie à 30 minutes et après 2 heures.
Par rapport au groupe contrôle, le groupe traité par la bétaméthasone avait un terme de naissance identique (30,6 SA), un taux de mortalité semblable entre le 1er mois de vie et l’âge de 30 ans RR = 0,99 [0,73-1,34], sans différence significative sur la date du décès (0,5 an [0,3-13] et 2,9 ans [0,2-19]. Le groupe d’étude avait débuté le traitement en moyenne 4 jours plus tôt que le groupe contrôle, mais l’intervalle entre l’entrée dans l’ étude et l’accouchement était identique. Aucune différence n’est apparue sur le plan marital, ni intellectuel, ni social, pas plus qu’au niveau des pathologies vasculaires graves, qu’il s’agisse des ischémies coronariennes (1 vs 2), des accidents vasculaires cérébraux (1 vs 2), des diabètes (2 vs 3) et des hypertensions artérielles traitées (p= 0,09). Les femmes du groupe bétaméthasone prenaient plus souvent une contraception par pilule (p = 0,03).
La taille des adultes était plus importante de 2 centimètres dans le groupe traité, mais cet excès n’était plus retrouvé après ajustement en fonction du sexe (les hommes étant plus nombreux que les femmes dans la série bétaméthasone). Les auteurs n’ont retrouvé aucune différence significative concernant les autres paramètres biométriques comme le poids (p = 0,13), le périmètre crânien (p= 0,76), l’indice de masse corporelle (BMI) (p = 0,60), l’épaisseur du tissu sous-cutané (p = 0,60 à 0,87), la pression artérielle systolique (p = 0,66) ou diastolique (p = 0,87). Il en était de même pour les données biologiques : cholestérol total (p = 0,23), HDL-cholestérol (p = 0,57), LDL-cholestérol (p = 0,28), et triglycérides (p = 0,63). Par contre, le cortisol matinal était plus élevé de 7% dans le groupe traité (446 vs 415 nmol/L ; p = 0,06), mais cette disparité disparaissait après ajustement pour le sexe, le poids de naissance, l’âge gestationnel, le BMI et la contraception orale (p = 0,17).
Les différences significatives ne sont apparues que lors de l’épreuve d’hyperglycémie provoquée. En effet, si à jeun les glycémies étaient comparables (4,9 vs 4,8 mmol/L (p= 0,88), tout comme les insulinémies (8,0 vs 7,6 mUl/L ; p = 0,33), c’est lors de la charge en glucose que l’on remarquait d’abord une augmentation de l’insulinémie à la 30ème minute (60,5 vs 52,0 mUI/L (p = 0,02) , d’ailleurs plus importante chez les femmes que chez les hommes et plus marquée chez les sujets exposés in utero à la double dose de bétaméthasone (ratio des moyennes géométriques = 1,28 [1,04-1,58]), sans que l’on ait pu observer de différence dans les glycémies, puis à 120 minutes, l’on mettait en évidence une baisse de la glycémie (4,8 vs 5,1 mmol/L ; p= 0,05) sans répercussion significative sur l’insulinémie (p= 0,20).
Ainsi, cette étude met-elle en lumière une tendance à l’insulino-résistance 30 ans après l’exposition intra-utérine aux corticoïdes. Dans leur auto-critique, les auteurs remarquent que, par rapport au groupe des sujets non suivis, le groupe d’étude comportait davantage d’enfants nés plus prématurément (p =0,005), avec un poids plus faible (p= 0,008), plus souvent issus de grossesses multiples (p = 0,04), avec plus de filles (p < 0,001). Les autres critiques concernent, d’une part, le fait que seulement 5% des prématurés étaient nés avant 30 SA, d’autre part, la nécessité de poursuivre le suivi à plus long terme pour déceler d’éventuelles conséquences cliniques sur l’état cardio-vasculaire et métabolique au-delà de la trentaine.
D’autres études ont déjà été consacrées au suivi des prématurés soumis aux corticoides in utero. A l’âge de 14 ans, Doyle et al. [3] en Australie, avaient constaté que les pressions artérielles sytolique et diastolique étaient plus élevées chez les enfants exposés que chez les témoins, avec des augmentations respectives de 4,1 mm Hg et 2,8 mm Hg, mais que, parallèlement, ces enfants traités avaient aussi une taille plus élevée et un meilleur quotient intellectuel [4]. A l’âge de 20 à 22 ans dans l’étude hollandaise de Dessens et al. [5] la tension artérielle systolique était, au contraire, diminuée dans le groupe traité par les corticoïdes, alors que la pression diastolique n’était pas modifiée par rapport au groupe placebo. Ces études laissent donc planer un doute sur l’innocuité à long terme de la corticothérapie prénatale. Bien sûr, en l’état actuel des connaissances, il ne saurait être question de renoncer à cette thérapeutique qui a fait chuter de moitié la mortalité néonatale, les maladies des membranes hyalines, les hémorragies intra-ventriculaires et les entérocolites des grands prématurés. Néanmoins, ses indications doivent être bien posées, les doses doivent être les plus faibles possibles, et leur répétition doit être mûrement réfléchie, voire abandonnée. Il est, en effet, démontré que les glucocorticoïdes délivrés en période anténatale modifient le nombre des récepteurs hépatiques au cortisol et interviennent sur le contenu en ARN messager, ce qui peut altérer les inter-relations entre l’insuline et le glucose.
Références
1. A controlled trial of antepartum glucocorticoid treatment for prevention of the respiratory distress syndrome in premature infants G. C. Liggins, MB, PhD, FRCOG, and R. N. Howie, MB, MRACP
2. Antenatal corticosteroid therapy and blood pressure at 14 years of age in preterm children. Doyle LW, Ford GW, Davis NM, Callanan C. Clin Sci 2000; 98: 137-142 http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=pubmed&dopt=Abstract&list_uids=10657267&query_hl=6&itool=pubmed_docsum
3. Antenatal corticosteroids and outcome at 14 years of age in children with birth weight less than 1501 grams. Doyle LW, Ford GW, Rickards AL, Kelly EA, Davis NM, Callanan C, Olinsky A. Pediatrics 2000; 106: E2
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=pubmed&dopt=Abstract&list_uids=10878171&query_hl=8&itool=pubmed_docsum
4. Twenty-year follow-up of antenatal corticosteroid treatment. Dessens AB, Haas HS, Koppe JG. Pediatrics 2000; 105: E77
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=pubmed&dopt=Abstract&list_uids=10835090&query_hl=10&itool=pubmed_docsum
|