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CIANE -> Participation aux travaux de la HAS -> RPC « Suivi et orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risques identifiées »


Lettre du CIANE au Comité Périnatalité de la HAS

C.I.A.N.E.
Collectif Interassociatif Autour De la NaissancE

À Haute Autorité de Santé
Comité Périnatalité
Service des Recommandations Professionnelles
Le 8 juin 2007

Depuis 2004, le CIANE a soumis plusieurs thèmes de Recommandations de Pratique Clinique (RPC) auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS). Des RPC sur le thème « Définition de la grossesse physiologique et critères d'orientation des femmes enceintes » ont été demandées par le CNGOF. Cette demande a été acceptée le 24 mai 2005 par le Comité technique « Périnatalité » de la HAS. Le CIANE a participé activement aux réflexions du Comité Périnatalité, du groupe de travail, et du groupe de lecture. Le document a été finalisé en mai 2007.

Le titre d'origine proposé par le Comité technique « Périnatalité », « Définition de la grossesse physiologique et critères d'orientation des femmes enceintes », bien que peut-être d'apparence trop simple, était très signifiant, se situant dans la même ligne de pensée que le rapport mission périnatalité (2003, Bréart et al.) : « Il faudrait à la fois faire plus et mieux dans les situations à haut risque, et moins (et mieux) dans les situations à faible risque ». Derrière ce titre, il s'agissait de se placer dès le départ dans l'optique que la grossesse n'est pas une maladie - phrase que l'on retrouve dans la nouvelle mouture du carnet de maternité - mais simplement une période normale de la vie dans la grande majorité des cas. Cette vision contenue dans le titre initial s'opposait pourtant à la vision qui prévaut dans l'obstétrique française. Celle-ci s'appuie en effet sur une constatation d'une logique apparemment imparable : la grossesse et l'accouchement ne peuvent être considérés comme normaux – sans complications – que a posteriori. Il en découle nécessairement que toutes les grossesses sont à risque pendant leur déroulement, ce qui rend impossible de donner une définition de la grossesse normale. Ce point de vue, focalisé sur les risques, entraîne un certain nombre d'effets pervers : multiplication d'interventions potentiellement iatrogènes, coûts inflationnistes, sentiment de dépossession des parents, nouveau-nés « bousculés », augmentation du contentieux médico-légal, etc. sans que l'on n'ait jamais pu démontrer, par des études de bons niveaux de preuve, que les pratiques associées à cette vision aient un réel effet positif sur les indicateurs de morbidité et de mortalité périnatales. Nos voisins européens ont pour la plupart déjà entamé cette réflexion sur la place du médical dans ce qui est d'abord un événement social et affectif et cela s'est traduit par un certain nombre de dispositifs organisationnels qui permettent de donner un sens à l'idée d'« accouchement physiologique ».

Force est de constater qu'en France, la situation n'est pas encore mûre pour infléchir le cours de l'obstétrique. Il suffit pour s'en convaincre d'observer l'évolution du titre donné à ces recommandations de pratique professionnelle.

Le terme « Grossesse physiologique » a été contesté maintes fois et de maintes façons par les médecins. Il n'a pas été contesté par les usagers qui l'avaient choisi en connaissance de cause, et peu par les sages-femmes qui en captaient l'idée sans difficulté. La première critique des médecins était de dire que « Grossesse physiologique » ou « Grossesse normale » n'a pas de sens. Effectivement, pris dans cette logique qui ne peut statuer sur la normalité qu'a posteriori, il devient strictement impossible de définir la normalité pendant la grossesse. Pourtant le bon sens nous fait à tous comprendre ce que peut être une grossesse normale. Au sein du groupe de travail, le titre était un sujet si délicat que, abordé à chaque réunion, la discussion en a été sans cesse reportée à la réunion suivante. Finalement, à la dernière réunion du groupe de travail, après un intense moment de réflexion et de discussion, usagers et médecins étaient arrivés au compromis suivant : « Suivi des grossesses et dépistage des situations à risque », ce qui pour le CIANE représentait déjà une modification substantielle par rapport au point de départ. Mais cela reflétait le contenu des recommandations, et n'accolait pas le terme « risque » à « grossesse » systématiquement.

Même ce compromis n'a pas été accepté par le comité de pilotage. Sans consulter le groupe de travail, le titre final a été modifié en : « Suivi et orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées ». Sans même nous arrêter sur la longueur du titre ou son caractère abscons (qu'est-ce qu'une situation à risque identifiée ?), la « petite » modification apportée remet automatiquement en avant l'idée que la grossesse est nécessairement risquée. Le groupe de travail a été mis devant le fait accompli.

Cette genèse du titre est le reflet de la genèse de toute la RPC. Au final, celle-ci est entièrement axée sur les risques, auxquels se sont réduits les objectifs. Il n'y est plus question de grossesse physiologique, il n'est plus dit explicitement dans les objectifs que certains examens inutiles sont décommandés, ni que les grossesses normales seraient tout aussi bien suivies par les sages-femmes, les généralistes ou les gynécologues de ville, que par les obstétriciens. L'argumentaire reprend même texto ce credo de l'obstétrique française de la normalité sur laquelle on ne pourrait statuer qu'a posteriori, alors qu'il conduit à une impasse, et bien que le CIANE ait plusieurs fois demandé sa suppression.

Nous tenons à saluer le travail considérable qui a été accompli, en particulier par les chargées et chef de projet. C'était un travail particulièrement difficile, impliquant une montagne de publications sur des sujets très variés, avec pourtant extrêmement peu de publications de haut niveau de preuve, la grande majorité des recommandations reposant sur des accords du groupe de travail. Exercice difficile aussi de part les discussions animées au sein du comité de pilotage et du groupe de travail, discussions dont l'origine était une divergence profonde de points de vue.

Le CIANE a donc pris collectivement la décision de refuser que ses représentants soient cités nommément dans la version publique. Le CIANE ne veut pas cautionner le document sous cette forme finale qui fait du risque le seul élément signifiant du suivi des grossesses, même si certains éléments peuvent être considérés comme l'amorce d'une évolution positive (voir l'annexe).

C'est parce que nous croyons qu'une occasion manquée peut être rattrapée que nous tenons à marquer notre désaccord avec le résultat d'un processus mené avec sérieux et honnêteté mais malheureusement soumis à un arbitrage final qui lui fait perdre toute signification.

Pour le CIANE
Cécile LOUP

ANNEXE

DES OBJECTIFS DU CIANE AUX OBJECTIFS DES RPC

Les objectifs visés par le CIANE étaient les suivants :

  • Donner une impulsion qui permette de faire évoluer notre regard culturel sur la grossesse et l'accouchement. Bien que le nouveau carnet de maternité commence par : « La grossesse n'est pas une maladie », elle est pourtant traitée comme telle en pratique. La majorité des médecins et sages-femmes, comme beaucoup de femmes enceintes empreintes d'articles de vulgarisation édictés par les corps professionnels, considèrent la grossesse comme une situation à haut risque par défaut, et non pas comme un processus physiologique normal de la vie.
  • Réduire les analyses et examens au strict nécessaire. La culture du risque dont nous sommes empreints a conduit à un abus de surveillance des grossesses normales, et à un excès d'anxiété des femmes enceintes. La multiplication des examens et analyses auxquels on applique le principe « mieux vaut agir même si il n'y a rien » conduisent à des détections de faux positifs et à des interventions inutiles et iatrogènes. Parmi les examens inutiles, citons entre autres l'échographie supplémentaire de datation demandée par certaines maternités, les échographies à chaque visite mensuelle, les examens gynécologiques à chaque visite mensuelle, ou les analyses dont la puissance diagnostique n'est pas démontrée. Parmi les faux positifs les plus fréquents on trouve : les faux diabètes gestationnels, les fausses-pré-éclampsies, les faux RCIU ou inversement les faux bébés macrosomes, tous conduisant souvent à des déclenchements ou à des césariennes iatrogènes, parfois à un terme prématuré, ainsi qu'à une forte anxiété et sentiment d'impuissance chez les parents.
  • Convaincre aussi bien les corps professionnels que les familles qu'une grossesse normale ne nécessite pas le suivi d'un obstétricien. L'un des objectifs fondamentaux de ces RPC etait de redistribuer le suivi des grossesses physiologiques aux sages-femmes, qui sont formées exactement dans ce but, aux médecins généralistes, ou aux gynécologues de ville.
  • Convaincre aussi bien les corps professionnels que les familles qu'une grossesse normale ne nécessite pas de s'inscrire dans une maternité munie de centres de réanimation ou de chirurgie de haut niveau. Initialement les RPC devaient même examiner la possibilité des maisons de naissance et l'accouchement à domicile.
  • Replacer la grossesse dans son contexte général, comme un événement de la vie intime des familles, social, et culturel, et non pas comme un événement strictement médical. Tenir compte des attentes ou des difficultés de certaines personnes, en mettant l'accent sur l'entretien du premier trimestre qui devrait être un moment de dialogue et de prise de connaissance entre professionnels de la naissance et parents.

Tout au long de l'élaboration de ces recommandations, nous avons tenu compte des arguments des autres acteurs et accepté des reformulations qui nous semblaient aller dans le bon sens et qui apparaissaient réalistes et acceptables aux autres acteurs. Or, dans la version finale des RPC, il est indiqué que : « Les objectifs des recommandations sont :

  • d'améliorer l'identification des situations à risque pouvant potentiellement compliquer la grossesse ;
  • d'adapter le suivi en conséquence ».

C'est tout, ces RPCs n'ont aucun autre objectif.

Il n'est pas besoin de commenter ad nauseam pour percevoir à quel point le contenu de ces RPC s'est éloigné du point de départ du CIANE : ce sont à peu près des directions opposées que tracent ces deux définitions des objectifs.

QUELQUES AVANCÉES À CONFORTER

Les discussions longues et animées du groupe de travail ont cependant permis quelques avancées qui pourraient servir de base à des RPC plus en phase avec les préoccupations du CIANE, à condition d'être complètement explicitées :

  • sages-femmes, généralistes, et gynécologues sont cités en premier dans la liste des professionnels pouvant suivre une grossesse. Le texte reste cependant trop timide sur cet aspect : pourquoi ne pas dire explicitement qu'à terme les obstétriciens devraient – comme cela se fait dans les autres pays – concentrer leur activité sur les grossesses et accouchements pathologiques et/ou présentant des risques particuliers ? Faute d'une telle clarification, la déclaration citée plus haut restera vraisemblablement lettre morte.
  • de la même façon, le texte suggère que les femmes dont la grossesse est normale puissent être orientées vers des structures « bas risque ». Mais cela reste une possibilité, non une recommandation : cette réserve est sous-tendue par la volonté de laisser le libre-choix aux femmes enceintes : le « libre-choix » des usagers étant très fortement conditionné par ce qu'ils « savent », c'est à dire par ce qu'on leur dit, ces RPC se devaient d'avoir un but informatif. Il s'agissait aussi de ne pas froisser certains corps professionnels, comme celui des obstétriciens : mais face à la situation démographique et au problème de l'assurance professionnelle, les obstétriciens n'ont-ils pas eux aussi intérêt à ce que l'organisation des soins soit revue dans le sens que nous préconisons ?
  • certains examens inutiles sont bien supprimés. C'est à dire qu'ils n'apparaissent pas dans les tableaux. Mais comme il n'est pas spécifié clairement dans les objectifs que les examens inutiles doivent être supprimés, la plupart des obstétriciens ou des maternités les pratiquant ne changeront strictement rien à leur pratique, se reposant sur l'idée fausse que le plus est le mieux.

Au final, tout ce qui n'est pas « fait » entièrement est aussitôt défait : ces RPC sont aujourd'hui uniquement axées sur les risques ; c'est ce qui les rend inacceptables.


Modif. October 27, 2011, at 04:31 PM<br />(:addThis username="xa-4b5388e32c732dfe" btn="lg-share":)

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