Conférence "Droits de l'Homme et Naissance", La Haye, 31 mai- 1er juin 2012

Cas Ternovszky VS Hongrie, contexte et conséquence de la décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

 Lettre à la conférence de Anna Ternovszky: 

Je suis comme des millions de femmes, j'ai voulu avoir le droit de décider - et espère en être toujours capable dans le futur - du lieu et des conditions de naissance de mes deux enfants. Mon ambition est d'aider autant que possible d'autres femmes à obtenir le même droit: choisir en toute liberté, sans que leur décision soit prise par d'autres. C'est le droit de tout à chacun de décider pour lui même, non ? Nous ne devrions même pas avoir en à en parler ici, le sujet étant inhérent à toute condition humaine. Et pourtant, la législation a tant d'influence et de pouvoir sur nos vies ! Et ces lois, qui tentent de réguler ce que nos instincts nous dictent, sont un signe que la confiance alors faite aux femmes a été perdue au long du chemin. Depuis la nuit des temps, une chose était sûre: les femmes savaient mettre au monde leurs enfants, comment perpétuer la vie. Elles étaient respectées pour ça. Et qu'est-ce devenu? Notre sagesse ancienne est remise en question. Et nous, mères, sommes jugées pour nos choix. Ce qui m'attriste profondément..

J'espère qu'en débattant de cette question ici lors de la conférence, petit à petit, nous serons capables d'aider les femmes, mais aussi les médecins, les sage-femmes et les doulas qui ont consacré leurs vies à cet objectif sacré. J'espère que l'attention que nous porterons à ce sujet permettra de définir les conditions qui leur permettrons de poursuivre leur œuvre.

Je suis une maman qui a décidé de donner naissance à mes deux fils à la maison, entourée de ma famille, de ceux que j'aime, et des sage-femme et doulas que j'aurai choisies. C'était la meilleure décision de ma vie. Leurs naissances est un souvenir précieux, inégalé. Et je serai à jamais reconnaissante à ceux qui m'ont entourée à ces moments là, m'ont aidée de leur amour et de leur dévotion, ne portant d'attention à rien d'autre que mon bébé et moi. La personne envers laquelle je nourris le plus de reconnaissance est ma chère sage-femme, Agnès Geréb, qui est restée 20 ou 30 heures à me soutenir sans relâche, m'offrant toute son attention, tout son amour et son respect, présente à mes côtés quand je donnais la vie à mes garçons dans les conditions les plus paisibles et sans qu'on me dérange. Être en sécurité, pour moi, c'était accoucher à la maison, au sein d'odeurs et de lueurs qui font mon quotidien, auprès de mon mari, avec mes frères et sœurs et mes amis, ainsi que les encouragements de mes sage-femmes et doulas.

Je me souviens être restée assise dans la baignoire pendant 10 heures; à chaque contraction mes accompagnants ouvraient le robinet pour ajouter de l'eau chaude, m'apportait de l'air ou une boisson fraîche. Ils me soutenaient quand je vomissais aussi. Ils m'ont apporté toute l'aide dont on peut avoir besoin en cette situation. Ági s'est agenouillée sur le sol de pierre froid, me massant le dos, chantant ou essuyant mon front, tenant ma main quand je le demandais. Jamais je ne me suis sentie mal à l'aise, pas même quand j'étais à quatre pattes, nue, gémissant et me contorsionnant. Je n'avais pas à réfléchir à mon comportement, personne ne disait rien. J'étais acceptée. La douleur était suffocante, mais il y avait une telle foi en moi dans leurs yeux que cela m'a donné une force énorme, une force qui était un sentiment nouveau et que j'ai ressenti profondément. J'avais la chance de me prouver que j'avais les capacités de mettre au monde mon enfant moi-même. J'avais la chance d'aller à ma propre rencontre et de ressentir ce pouvoir immense qui est en moi. Aujourd'hui encore cela me donne beaucoup de force qui prend sa source dans cette expérience. En étant capable de me concentrer sur mes propres sensations, j'ai pu être attentive et ressentir comment mon bébé et moi travaillions de manière synchrone. Nous étions une équipe. À chaque contraction utérine, il rassemblait ses forces et poussait pour trouver son chemin vers la sortie. Je ressentais ses moindres mouvements et c'était juste une coopération extraordinaire entre nous. L'amour dont j'étais entourée à ce moment là est aussi quelque chose que je n'oublierai pas. Ma sœur et la doula étaient agenouillées face à face, leurs jambes me servant de siège d'accouchement vivant. Mon mari derrière moi me soutenait, et Ágnes Gèrèb et Ágnes Király, mes deux sage-femmes massaient mon périnée avec des huiles chaudes pour empêcher la déchirure. Elles mettaient des compresses chaudes sur mon ventre, et c'est ainsi que mon premier fils est venu au monde. Àgi a aspiré le fluide amniotique du nez et de la bouche de mon bébé avec sa propre bouche, puis elle a souris et m'a dit "le premier baiser sera le mien". Puis elle a posé mon bébé sur moi et il a commencé à téter. Personne ne me l'a enlevé, pas même une seconde. Nous sommes restés ensemble pendant des heures et des jours, sans perturbations, et c'est un sentiment que je chéris encore aujourd'hui.

Je tente d'imaginer ce que c'est pour un bébé de quitter le confort du ventre de sa mère et d'arriver dans ce monde étranger. Le voyage déjà doit être angoissant et douloureux, puis la température change, la lumière crue doit être agressive, les premières bouffées d'air: tout est nouveau. La seule chose qui subsiste est sa mère, le rythme familier des battements de son cœur, la chaleur de son corps, sa voix. Le seul endroit où le bébé est en sécurité, c'est elle. C'est pourquoi je pense qu'il est crucial pour mes bébés de rester sur moi à leur naissance, ce qui est possible dans certains hôpitaux mais interdit dans un grand nombre de cas malheureusement.

Pourquoi et comment me suis-je tournée vers la Cour Européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg ? Quand j'attendais mon second enfant, la persécution contre Ágnes avait déjà commencé. Il y avait plusieurs plaintes contre elle, et il était impossible de prévoir où en seraient les choses d'ici la fin de ma grossesse. Il devenait évident que le gouvernement hongrois ne me laisserait pas accoucher chez moi avec assistance médicale sans m'obliger à enfreindre la loi. C'est à ce moment là que je me suis tournée vers Strasbourg et cherché des solutions. Tout m'effrayait. J'avais surtout peur de causer à Ági plus de problèmes qu'elle n'en avait déjà si jamais des complications survenaient lors de la naissance de mon bébé. Je ne voulais pas lui faire porter cette responsabilité parce que ce n'était pas elle, mais moi qui faisait ce choix, consciemment, en acceptant tous les risques. Basée sur l'expérience que j'avais de mon premier accouchement, je savais qu'Ági était le médecin et sage-femme qui était la plus à même de veiller à ma sécurité et à celle de mon bébé. Étonnement la cour hongroise et le ministère de la santé laisse ce bénéfice du doute à tous les médecins, mais persistent à penser qu'Ági ne ferait pas tout son possible avec toutes ses connaissances.

Ágnes Geréb assiste des accouchements à domicile depuis 22 ans. Selon le bureau hongrois des statistiques, pendant ce laps de temps, il y a eu environ 5500 décès périnataux au sein des hôpitaux. Il n'y a pas de risque zéro en maternité, quelque soit le lieu de la naissance. Tout le monde s'accorde pour dire que lors de ces 5500 décès, les médecins ont fait tout leur possible pour sauver les bébés. Aucun d'entre eux n'a été accusé de négligence et jeté en prison. Pourquoi Ágnes Geréb a t'elle été soumise à un traitement différent, selon lequel elle aurait eu de mauvaises intentions? Je n'ai pas accepté la diabolisation qui a suivi le décès d'un bébé pour dystocie des épaules lors d'un accouchement qu'elle a assisté, sachant que des bébés meurent à l'hôpital, en Hongrie et ailleurs, tous les ans, pour le même motif. Aussi longtemps que durera une telle inégalité entre les médecins flattés pour leur bonne foi, et les sage-femmes accusées de mauvaise foi, et que seules ces dernières seront condamnées pour des accidents qui peuvent arriver lors de toute naissance, comment pourrais-je choisir l'accouchement à domicile, quand bien même je suis convaincue ?

De plus, à l'époque de ma seconde grossesse, plusieurs autres charges pesaient contre Ági, me rappelant la chasse aux sorcières du bon vieux temps. Ces charges m'ont effrayées pour Ági si elle devait assister mon accouchement. J'étais très préoccupée que tout ceci m'empêche de donner naissance à mon fils à la maison ou oblige Ági, libérée sous caution, à m'assister secrètement pour ne pas avoir d'ennuis. C'était la situation la plus indigne que j'avais vécue, parce que mon souhait d'avoir à mes côtés Ágnes Geréb et Ágnes Királi pour la naissance de mon deuxième fils était obscurci par la peur et le secret.

J'ai vécu ma grossesse hantée par ces préoccupations et il était donc normal que j'en parle beaucoup à la crèche, avec d'autres mamans qui faisaient ce choix de l'AAD. Une d'entre elles travaillait comme avocate pour l'union hongroise des libertés civiles. Avec ma curiosité belligérante, j'ai demandé s'il existait une instance supérieure vers laquelle les gens pouvaient se tourner dans de telles situations. Elle m'a parlé de la cour européenne des Droits de l'Homme, m'a dit que seuls les particuliers pouvaient la saisir, et que pour le cas qui nous concernait, ce ne pouvait être qu'une femme enceinte. J'étais enceinte, et ma première réaction fut de penser que j'adorerais être cette personne là. Quand on s'est regardées, on a éclaté de rire, mais on savait toutes les deux que ce n'étais pas du tout une blague. Les choses se sont accélérées ensuite, lorsque Dr Tamás Fazekas, un des avocats de l'Union Hongroise des Libertés Civiles m'a contactée. Il s'était impliqué dans le combat d'Ági depuis un moment. Nous nous sommes rencontrés, avons échangés quelques détails et rempli les documents.

Les termes juridiques de notre plainte étaient ceux là: nous accusions l'état Hongrois pour la violation de deux articles de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, celui sur les droits à la vie privée et celui contre les discriminations.

La réponse de l'Etat à notre requête contenait un cynisme que je ne comprends toujours pas. Niant toutes les accusations, ils ont argués du fait que, puisque je refusais les services de santé (les maternités) offertes par l'état - ce qui, ont-ils ajouté, violait le droit à vivre de mon enfant - je n'étais pas autorisée à exiger un quelconque "service alternatif" de leur part. Il était bien évidemment hors de question de ma part de refuser les services de santé.

C'était un sentiment extraordinaire d'apprendre que nous avions gagné et que la CEDH avait condamné la politique périnatale de l'Etat hongrois, ordonnant à mon pays de créer les conditions requises au plus vite. La décision de la cour m'a redonné foi, ainsi qu'à de nombreux autres en Hongrie et ailleurs, en une solution pour que les lois soient changées. J'étais heureuse que le processus soit engagé et que des lois sur la naissance soient adoptées. Cependant, des doutes et des angoisses subsistent.

La cour a réaffirmé sa position sur la vie privée et sur le fait que le choix du lieu de naissance d'un enfant en faisait partie. Selon les juges, l'article de loi de mon pays (celui imposant des amendes aux sages-femmes pratiquant l'AAD) violait mes droits, ainsi que ceux des autres femmes enceintes. La cour a aussi statué sur le fait que j'étais sous la menace de sanctions, et que je manquais d'une réglementation complète et adaptée, ce qui restreignait mes possibilités de choix envers l'accouchement à domicile.

En dépit de la décision de la cour à Strasbourg, Ágnes Geréb fut par la suite condamnée à deux ans de prison, ce qui me met très en colère et me désespère. Est-ce que la décision de la CEDH ne stipule pas que les sage-femmes comme Ágnes ne devraient plus être poursuivies pour avoir assisté un accouchement à domicile ?

À la suite de la décision de la CEDH, la Hongrie a passé de nouvelles lois concernant l'AAD, mais en le soumettant à de nombreuses restrictions. La nouvelle loi stipule que le coût de l'AAD ne doit pas être supporté par la sécurité sociale, même si par ailleurs la mère garde ses droits au sein de la couverture maladie. Pour moi, cela signifie une fois de plus que l'Etat fait part de discrimination à mon égard, et m'oblige donc à payer pour ce qu'ils considèrent comme une lubie.

C'est terrible. Je ne peux pas payer ces dépenses, mais même si je pouvais, je ne le ferai pas, parce que je suis outrée que ce service ne puisse pas être offert à toutes. Qu'est-ce qui peut être plus fondamental pour un pays que la couverture médicale apportée à une mère donnant la vie à son bébé?

Il y a un autre article de la loi qui rend pour moi l'AAD impossible. Entre autre que si le poids de naissance du bébé est estimé supérieur à 4kg, alors cela rend inéligible pour une naissance à domicile. J'ai deux objections à cette règle: d'abord que le mesure faite lors d'une échographie peut varier de +/- 500g, et ensuite que la taille de la mère n'est pas prise en considération. Par exemple, moi je fais 1,80m et mes deux enfants qui sont nés à la maison faisaient plus de 4kg. Peut-être qu'en suivant un régime très strict je pourrais avoir un petit espoir que le gouvernement me laisse accoucher chez moi de mon 3ème enfant...

Si on prend tout ceci en compte, je persiste à penser que la décision n'appartient donc pas aux femmes. La loi sur l'AAD est en vigueur en Hongrie, mais selon cette loi je ne pourrais toujours pas faire ce choix pour toutes les raisons mentionnées plus haut. En conséquence, les possibilités qu'il me reste sont d'accoucher à l'hôpital, ou chez moi mais sans assistance.

Je voudrais exprimer mes espoirs que ce processus, ce qui a été engagé en Hongrie, ne s'arrête pas là. Que le combat continue encore 20 ou 30 ans et fasse valoir les droits des mamans qui souhaitent accoucher chez elles. Je suis convaincue que ce projet ne sera mené à bien que par une collaboration entre tous: les universitaires, médecins, sages-femmes, doulas expérimentées en AAD, mères bien sûr, mais aussi ceux qui créent les conditions de nos décisions: les politiques.

J'espère que nous sommes proches du jour où l'idée d'égalité des droits ne sera plus seulement un slogan. Cela dit, je suis consciente que pour que cela arrive nous devons travailler ensemble dans une collaboration étroite. Faisons du cas de Ági (et de tous les autres cas, de plus en plus nombreux, de sage-femmes) une réveil puissant et un guide pour que nos forces unies nous mènent vers l'acceptation et la possibilité de l'accouchement à domicile par et pour tous, quel que soit l'origine sociale ou géographique.

À propos de Anna Ternovszky: Anna est photographe et céramiste de formation. Pour le moment elle est en congé parental et dirige sa propre entreprise de production et de distribution d'emballages écologiques.

Traduction de S. Guerin-Cauet, pour le CIANE. Collectif Interassociatif Autour de la NaissancE


Modif. September 19, 2013, at 11:20 PM<br />(:addThis username="xa-4b5388e32c732dfe" btn="lg-share":)

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