QueFaitLeCIANE

CianeWiki -> CIANE -> Courrier

Commentaires du Prof. J. B. GOUYON sur le projet de label « Naissance respectée »

( Voir document source)

HOPITAL D'ENFANTS
10, Bd Mal de Lattre de Tassigny
21079 DIJON CEDEX
SERVICE DE PEDIATRIE 2
Unité de Réanimation Polyvalente
Professeur Jean Bernard GOUYON
Chef de Service
Secrétariat : ...
Fax : ...

[...]

DIJON, le 12.08.05

Monsieur,

Vous m'aviez adressé il y a quelque temps le projet du Label « Naissance Respectée ».

J'ai lu ce projet avec attention et vous fait part de mes réflexions.

J'ai retrouvé dans le document général (charte du collectif inter-associatif autour de la naissance) des éléments fréquemment discutés avec notre groupe d'usagers régional (observatoire bébé en vue). Il me semble qu'il existe un certain décalage entre le possible (situation actuelle) et le souhaité.

Le postulat de l'initiative est que l'adhésion volontaire d'un établissement est réaliste et correspond à une demande forte des usagers. En corollaire, la non adhésion à cette initiative devrait être "pénalisée" par un éloignement des usagers. Ce processus serait aidé par des actions publicitaires larges.

Il me semble cette vision des choses correspond peu aux réalités actuelles pour les raisons suivantes :

1) La restriction très rapide du nombre d'établissements aux dépens notamment des établissements privés laisse très peu de choix aux femmes enceintes. Pour preuve, la nécessité pour beaucoup d'ente elles de s'inscrire dans des établissements dès le tout début de leur grossesse en prévision de leur accouchement. La réalité au quotidien des maternités est que la durée de séjour des femmes enceintes va en s'amenuisant régulièrement en raison de déficit en lits, notamment dans les établissements de niveau II et de niveau III.

2) L'action publicitaire est interdite par le Conseil de l'Ordre des médecins et toute publicité assurée par un tiers mettrait probablement en difficulté les médecins des établissements labellisés.

3) Il me semble que le rapprochement entre les « mauvais résultats français » et la surtechnicisation de la prise en charge des femmes est licite. Cependant, les arguments donnés sont un peu excessifs notamment lorsque l'on indique que les pays où les sages-femmes accompagnent la grande majorité des femmes durant la grossesse et l'accouchement ont les meilleurs résultats. Par exemple, la Hollande a une procédure de prise en charge fondée sur les sages-femmes. Néanmoins, environ 40 % des femmes nécessitent un avis obstétrical en cours de grossesse témoignant donc d'une médicalisation certaine de la prise en charge de la grossesse. De plus, il me semble que les résultats de la périnatalité en Hollande ont décliné récemment. Au total, les résultats épidémiologiques en terme de mortalité périnatale, néonatale, etc... rélèvent de processus complexes et les remarques faites par le collectif pourraient être plus nuancées.
Il ne faut pas mettre "dans le même sac" les causes de mortalité maternelle et de mortalité périnatale.
Dans le cas de la mortalité maternelle, les causes sont bien connues notamment en ce qui concerne l'hémorragie de la délivrance. Le nombre limité de causes justifie que toute maternité ait les moyens de faire face à ces complications de façon efficace (ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas).
En ce qui concerne la mortalité périnatale, l'amélioration des résultats est sans doute beaucoup plus difficile car c'est toute l'organisation professionnelle qui prend en charge les femmes enceintes qui est à reconsidérer dans le domaine de la prévention. En effet, s'il est bien acquis que la grossesse est un phénomène physiologique, la morbidité et la mortalité périnatale résultent de processus qui doivent être dépistés et pris en charge le plus tôt possible. C'est à mon sens l'absence d'organisation sanitaire et le déficit d'information aux femmes enceintes qui pénalise les résultats français.

4) Le projet du collectif repose sur la nécessité d'une information exhaustive et large sur les « performances » de chaque maternité. Il est notamment souhaité que soit fournie et rendue publique une information descriptive et statistique sur les pratiques et les protocoles entourant l'accouchement et les indicateurs d'activités et de résultats. La mise à disposition du grand public sans explications éclairantes des résultats m'apparaît assez aberrante, libre cours pouvant être alors donné à l'interprétation.

En ce qui concerne la grille d'évaluation, un certain nombre de critères posent questions :

1) Permettre la présence de toute(s) personne(s) souhaitée(s) par la femme enceinte pour son accouchement. C'est bien entendu l'idéal. La réalité actuelle des blocs d'accouchement et des salles de naissance montre la difficulté à assurer cela. Il faudrait envisager la présence d'hôtesses d'accueil, de locaux spécifiques et je ne suis pas sûr que tous les établissements soient disposés à faire ce genre d'investissements compte tenu de leurs difficultés actuelles. En effet, la plupart des établissements hospitaliers sont actuellement en train de geler des postes médicaux ou paramédicaux pour combler leur déficit budgétaire.

2) L'accès de toute sage-femme au plateau hospitalier repose la question des fonctionnements sur le mode « clinique ouverte ». La principale difficulté liée à ces pratiques est que les équipes hospitalières fonctionnent de façon homogène et cohérente avec des protocoles communs à l'équipe (que le collectif souhaite d'ailleurs). Les interventions de personnes extérieures pourraient être une source de dysfonctionnement. J'ai à titre personnel expérimenté ce genre d'organisation en faisant intervenir des pédiatres libéraux dans une unité de soins hospitaliers. La qualité des soins ne s'est pas beaucoup modifiée, mais les difficultés de fonctionnement ont été nombreuses.

3) Point n°7 : il est souhaité que le personnel soignant bénéficie régulièrement d'une formation dans les techniques d'analgésie non pharmacologique. Il me paraîtrait tout aussi important qu'il bénéficie de la même formation sur les techniques pharmacologiques car leur bonne application est absolument indispensable au moment où elles se révèlent nécessaires.

4) Point n°8 : il est souhaité que les examens systématiques soient limités et proscrits en ce qui concerne notamment l'évaluation de la perméabilité des choanes et du tube digestif et l'administration de gouttes oculaires. Il me semble important de signaler que l'absence de diagnostic des atrésies de l'oesphage à la naissance aboutit pour des raisons évidentes à des phénomènes de fausses routes dès la première tétée avec parfois inhalation trachéale massive et détresse respiratoire qui peuvent compromettre la survie de l'enfant. Même si la malformation est rare, son dépistage à la naissance est un garant essentiel du pronostic. Le non dépistage volontaire suivi d'une complication par inhalation poserait très probablement des difficultés au praticien en cas de plainte.

5) Point n°11 : les règles, protocoles, instructions du service devraient être accessibles librement et compréhensibles par les patientes. Il s'agit de protocoles techniques médicaux qui relèvent d'un langage spécifique et leur rédaction sous une forme technique est nécessaire à leur bonne compréhension, à leur précision et à une application efficace. En aucun cas, ces protocoles ne sont destinés à une vulgarisation qui diminuerait leur efficacité. C'est le rôle des équipes soignantes d'expliquer aux patientes les protocoles et de répondre à leurs questions.

Il est fait mention de projet de naissance sans indication sur la nature de ce type de projet.

Il est souhaité que chaque femme puisse bénéficier d'un accompagnement suivi et personnalisé par une même sage-femme. Dans la situation actuelle de pénurie des effectifs et d'application des 35 heures et des récupérations de temps de travail, cette demande est totalement illusoire. Aucun établissement ne pourrait y satisfaire sauf cas très particulier.

Par ailleurs, tous les autres points (et ils sont nombreux !) me paraissent pouvoir être conservés en l'état dans la grille d'évaluation.

Sur le fond, il me semble que la proposition d'une labélisation des maternités par le CIANE résulte de l'absence de communication réelle et efficace entre les usagers et les maternités. Dans ces conditions le risque évident est celui d'un rejet de la labélisation par l'immense majorité des établissements notamment si celle-ci est déconnectée de la réalité du terrain.

Ayant lu ce texte et ayant une certaine connaissance des réalités des maternités, je m'interroge principalement sur les raisons de l'absence quasi totale de communication entre représentants de la périnatalité et de l'obstétrique en particulier et les usagers.

Y a-t-il des études sociologiques réalisées sur ce thème en France ?

Je reste, vous le savez particulièrement concerné et intéressé par les demandes des usagers et j'ai le souhait que les usagers ait une place reconnue au sein des réseaux de périnatalité.

L'implication des usagers dans les options de l'organisation sanitaire est indispensable. Il ne me semble pas y avoir eu jusqu'à ce jour d'échanges suffisants entre usagers et professionnels sur les différentes composantes qui gouvernent l'organisation sanitaire dans notre pays.

A titre personnel, mais aussi comme secrétaire de la fédération Nationale des Pédiatres Néonatologistes, je me tiens à votre disposition pour plus d'échanges et de discussions.

Je vous prie de croire, Monsieur, à l'assurance de ma considération.

Professeur JB GOUYON

Remarque mineure : le glossaire fait référence au DOULA alors que le terme n'est pas utilisé dans le texte.


Commentaires sur le liste du CIANE

  1. Commentaire général : Les principales objections soulevées par le Pr. Gouyon viennent de l'inadéquation entre les souhaits exprimés dans la charte et la réalité de l'hôpital. Pourtant cette charte a été rédigée par des personnes qui, soit ont accouché elles-mêmes, soit ont assisté à des accouchements, soit ont accompagné des accouchements professionnellement. Il existe donc une rupture entre le point de vue des familles et le point de vue hospitalier. Que la réalité pratique du fonctionnement hospitalier soit de plus en plus difficile ne justifie pourtant pas que ce soit les familles qui en payent le prix, d'autant moins que le système de soins est financé par les usagers. La charte vise surtout à reintroduire la dimension humaine de la naissance.
    Par exemple, lorsqu'une sage-femme doit gérer cinq accouchements en même temps, il est évident que la dimension humaine lui échappe car elle n'a ni le temps ni la disponibilité d'esprit. Dans ce cas il est très profitable pour tous que la femme en couche soit entourée par des proches ou des accompagnants extérieurs. On sait que si une femme en couche est en confiance et humainement accompagnée, le travail se passe en moyenne mieux que si elle est laissée seule dans un lieu peu convivial. Ceci n'implique absolument pas la mise en place de lieux d'accueil pour les personnes accompagnantes. Il n'y en a déjà pas pour les compagnons. Les salles d'attente suffisent, elles seront juste un peu plus vivantes.
  2. Le principe de la labélisation ne peut pas être rejeté sur l'argument de "non-publicité" puisqu'il existe déjà un label "ami des bébés" qui fonctionne de la même manière. Sinon il faudrait aussi rejeter, pour les mêmes raisons, les certifications comme ISO 9001.
  3. L'argument du manque de choix quant aux maternités implique au contraire une augmentation de la transparence : si l'on n'a pas le choix de l'établissement, qu'au moins on ait le choix des traitements subits.
  4. L'obtention du label "naissance respectée" ne suppose pas que l'établissement puisse répondre favorablement à toutes les questions du questionnaire. Nous savons que tous doivent faire des compromis en fonction de leurs ressources humaines et financières. Nous prévoyons de mettre un coefficient à chaque question afin d'arriver à un résultat pondéré et de fixer ultérieurement un score à partir duquel le label peut être décerné.
    Dans ce sens, la méthode d'évaluation est différente de celle d'un label comme AB (le "bio") où l'on exige qu'un certain nombre de critères soient simultanément respectés : résidus de pesticides, nature et dosage des produits conservateurs, etc.
  5. Nous ne voyons pas en quoi la publication des statistiques des maternités constituerait un "danger" dans la mesure où elle se pratique depuis longue date dans d'autres pays comme le Royaume-Uni.
  6. Même chose pour les protocoles : si c'est le travail des soignants de les expliquer aux usagers, pourquoi ne pas rendre publiques leurs explications ? C'est un droit des usagers que d'être informés correctement. Les protocoles ne doivent pas être opaques.
  7. L'argument de la légitimité ou de la compétence, selon lequel les auteurs du projet seraient "éloignés du terrain", est à la limite du supportable : qui est plus près du terrain que les femmes qui accouchent et leurs proches ?
  8. Réponse point n°7 : La pharmacologie est devenue la seule gestion de la douleur. Or il en existe d'autres, et en tout premier lieu la liberté de mouvement et le soutien moral. Plusieurs études montrent que la demande analgésique des femmes accompagnées par des doulas est nettement moindre. On trouve ensuite les massages et l'acupuncture. C'est à nouveau une bonne raison de laisser une femme en couche être accompagnée par les personnes de son choix, et non pas seulement son compagnon dont le rôle n'est pas tant de soutenir sa compagne que de donner naissance lui aussi. Si la demande analgésique était réduite, cela soulagerait d'autant le stress des soignants qui retrouveraient alors une disponibilité supplémentaire. Mais il est bien évident, en corollaire, que la façon dont on aborde la douleur dans les préparations à l'accouchement devrait être modifiee, ni niée, ni diabolisée.
  9. Réponse point n°8 : Les occlusions de l'oesophage sont très graves, mais aussi très rares. D'un autre côté les examens pratiques pour leur dépistage systématique sont invasifs, et certainement au moins très désagreables. Nul ne sait quel peut en être l'impact négatif sur un tout nouveau-né. L'un des principes médicaux de base étant de ne pas nuire, il n'est pas raisonnable d'étendre de tels examens invasifs à tous les nouveau-nés sans avoir prouvé d'abord que cela ne leur nuit pas. En d'autres termes il n'est pas raisonnable de risquer de traumatiser tous les nouveaux-nés pour en sauver une proportion infime. La seule solution serait de trouver d'autres moyens de dépistage, non invasifs. Quel est la proportion de nouveau-nés décédés suite à l'accident que vous décrivez ? Si le non-dépistage suivi d'un accident pourrait être une raison de plainte, la pose d'actes sans consentement éclairé des parents, seuls responsables légaux de leur nouveau-né, pourrait aussi être une raison de porter plainte.
  10. Point 1 de la charte : diminution du nombre de maternités... D'où la nécessité de réagir pour limiter leur fermeture et de construire parallèlement une offre alternative suffisante pour les grossesses à profil "physiologique" (dites à bas risques pour 85 % des naissances), par l'ouverture de MdN, de centres physioloqiques et en valorisant un mode d'accouchements à domicile transparent et sécurisé. Ces offres alternatives sont une réponse aux attentes d'une partie des femmes et des couples et sont de plus des modes de naissance plus économiques (entre 35 et 50 % moins cher qu'une naissance "standard" en maternite de niveau I).
  11. Point 2 de la charte : action publicitaire et rétorsions du CNOM... Sauf que l'ordre peut lui-même être attaqué... et accusé de couvrir et protéger des établissements (médecins) ayant de mauvaises pratiques et de porter atteinte aux droits d'opinion et d'information...
  12. Point 3 de la charte : prise charge des femmes par des femmes... mortalité hémorragie du post-partum,... Cf. les études irlandaises ou canadiennes allant dans ce sens... Hollande : nos modèles sont aussi la Suède et depuis peu l'Angleterre...
  13. Concernant l'hémorragie du post-partum, autant que les moyens de prise en charge, c'est plus les moyens de leur prévention qui importent, et surtout de chercher à agir sur un phénomème que l'on contribue souvent à provoquer. Car moins d'hémortagie = moins de morts maternelles ! (cf. Comité des experts français sur le morts maternelles).
  14. Point 4 de la charte : publications des indicateurs... Tout d'abord, rien ne dit que les résultats ne seront pas modulés et mis sous une forme "vulgarisée" et compréhensible par le public. Le pire n'est-il pas pour nous la "loi du silence" qui prévaut actuellement ? Silence qui favorise l'ignorance, la crédulité et l'absence de réflexion critique (positive ou négative) ? L'"effet miroir" que produirait ses informations ne serait-il pas utile à l'amélioration du système actuel. Tout système gérant des dispositifs "qualité" a besoin de transparence pour que s'opère le phénomème de rétroaction, indispensable à la correction des pratiques et donc des résultats. Le système obstétrical actuel n'est pas en situation de "feedback" ouvert. Ce n'est pas les quelques commissions de professionnels "juges et parties" fonctionnant en catimini, qui changeront fondamentalement la donne...
  15. Point 1 du questionnaire : présence de toute personne souhaitée... La présence d'une personne, dite "personne de confiance" est prévue par la loi (loi du 04 mars 2002) et permet de pallier malheureusement une déficience de plus en plus criante (et dénoncée par les pros eux-mêmes) d'accompagnement et de soutien psycho-affectif. À l'hôpital et aux équivalents privés à respecter la loi... et à s'adapter.
  16. Point 2 du questionnaire : accès aux SF extérieures... Disposition prévue par la loi.
  17. Pour ce qui est du fonctionnement homogène et cohérent avec des protocoles communs à l'équipe, nous pourrions plutôt parler de fonctionnement "fermé" et de "compromis" avec des protocoles "maison" décidés en commun par l'équipe et ce, souvent, pour certaines pratiques, en contradiction ou dans l'ignorance des données fondées sur l'"evidence-based medicine". Rappeler que les protocoles "maison" ne sont pas opposables aux tiers. Ce que demande le CIANE, ce sont des protocoles issus de RPP ou RMO nationales validées aussi par les usagers.
  18. Point 3 du questionnaire (cf. n° 7) : techniques d'analgésie... Nous parlons des "naissances ordinaires" qui concernent 85 % des cas, où la technique médicamenteuse n'est pas toujours la plus appropriée compte tenu des effets secondaires sur la femme et son bébé.
  19. Point 4 du questionnaire (cf. n° 11) : protocoles accessibles et compréhensibles... Donc rien n'empèche leur libre accès public sous leur forme médicale et rien n'interdit d'avoir parallèlement une version "vulgarisée". Dire que c'est le rôle des équipes soignantes d'expliquer aux patientes, c'est vrai, mais c'est aussi, parfois dans la précipitation, le meilleur terrain de l'interprétation, de l'omission et de l'indifférence. Les écrits, c'est beaucoup, beaucoup mieux ; pour avoir le temps d'étudier, de formaliser des questions et d'opposer des réserves ou des refus. L'accès à ces écrits est donc la condition indispensable pour pouvoir rédiger un projet de naissance bien avant la naissance et pour permettre aux particuliers, associations et pouvoirs publics de contester ou sanctionner certaines pratiques et/ou attitudes.

Modif. December 27, 2008, at 06:05 PM<br />(:addThis username="xa-4b5388e32c732dfe" btn="lg-share":)

Ce site respecte les principes de la _CharteHONcode. Vérifiez ici.
We comply with the HONcode standard for trustworthy health information: verify here.